Salves tirées avec allégresse contre le prêt-à-penser de tous bords, des textes écrits entre 2001 et 2007 par Martin Amis explosent la langue de bois. Réjouissant.
Des tonnes de substances inflammables lancées contre d’orgueilleux édifices : cette description peut aussi bien s’appliquer aux avions kamikazes du 11 Septembre qu’aux premiers romans de Martin Amis, où une ironie pyromane incendiait les valeurs en vogue au début des années 70, carbonisant avec une égale allégresse le prêt-à-penser de la contre-culture et les certitudes encaustiquées de l’establishment.
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Depuis cette explosive irruption dans l’arène littéraire, Amis jouit d’une réputation – totalement justifiée – de terreur des bien-pensants de tous bords. Mais, avec les attaques contre New York et Washington, il s’est retrouvé dans la position inédite d’un satiriste qui, habitué à inspirer de l’effroi (dès la deuxième page, son tout nouveau roman, The Pregnant Widow, rappelle au lecteur que “toute vie humaine est tôt ou tard une tragédie, parfois dès le départ, vers la fin toujours”), en éprouve soudain, comme si ces incroyables actes de destruction avaient, d’un seul coup, démodé la pratique du harcèlement romanesque.
Ecrits entre septembre 2001 et septembre 2007, les articles, chroniques de livres et nouvelles réunis dans Le Deuxième Avion constituent la riposte de l’écrivain. Après avoir croqué Ben Laden (une “nullité omnicide sous un halo de béatitude ascétique”), Amis souligne les liens unissant fascisme islamique, nazisme et stalinisme : “écrasons la raison, tuons la raison, et absolument tout devient possible”.
Mais l’islamisme radical et la théocratie iranienne se souciant peu de sa plume, l’écrivain concentre son ire sur des cibles qui, quoiqu’elles aussi bardées de certitudes, présentent l’avantage de parler le même langage que lui. Sur son flanc droit, il fustige George Bush (“psychologiquement primitif”) et les artisans de la seconde guerre d’Irak – “les pertes ne sont pas seulement actuarielles, elles sont également visibles sur le plan de la morale et de la raison” – ; sur son flanc gauche, il étrille les zélotes du “relativisme multiculturel”, dont il dénonce le masochisme repentant : “Nous sommes à présent mollement habitués à la fétichisation de l’“équilibre”, à la règle de base d’“équivalence morale” de tous les conflits entre l’Est et l’Ouest, l’incapacité à 100 % et 360 degrés de juger toute ethnicité autre que la nôtre (excepté dans le cas d’Israël).”
Ironiquement, l’argument a d’autant plus de poids que c’est précisément l’élite de sa propre ethnicité intellectuelle qu’Amis a le chic d’ulcérer : dans le petit monde des éditorialistes anglais, ses prises de position déclenchent encore des excommunications à rebondissements. Mission accomplie donc pour l’écrivain, dont l’efficacité des missiles se juge aux salves d’imprécations qui les saluent : tant que le Guardian s’indignera ou que le distingué Sunday Times le taxera de raciste islamophobe, et verra dans ses articles un “triomphe du style sur le savoir”, nul ne pourra contester son statut de polémiste le plus élégamment persifleur d’Angleterre.
Le Deuxième Avion – 11-Septembre : 2001-2007 (Gallimard), traduction de l’anglais par Bernard Hoepffner, 272 pages, 21€
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