En accueillant la manifestation Anti_Fashion project, fondée par le manifeste de Lidewij Edelkoort en 2015, la cité phocéenne s’impose comme un espace de discussion et de réflexion sur ce que devrait être le futur de l’industrie textile.
C’est sous un soleil brûlant que nous nous dirigeons vers la Friche de la Belle de Mai, cet espace culturel symbole de la vitalité artistique et alternative de Marseille. Elle est quasiment vide en ce samedi matin, sauf à l’étage où se rassemble un petit nombre de spécialistes de la mode : journalistes, designers, acheteurs, industriels. Tous les métiers sont présents pour discuter de cette question fondamentale : quel avenir pour l’industrie de la mode face à la crise écologique et sociale dramatique auxquelles nous devons faire face ?
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Quel avenir pour une industrie textile en crise ?
Depuis trois ans, cette manifestation entend présenter le travail de divers acteurs de la mode vers une production plus éthique. Cette année, la marque de jeans Kaporal est marraine de l’édition, et la parole est laissée à un large panel d’acteurs. Les personnalités du milieu sont présentes sur la scène comme dans le public : outre un panel autour de la question du made in France avec la Gentle Factory, Kaporal et le Slip français, on tombe sur Maud Pouzin, fondatrice du concept store vegan parisien Manifeste011, Paul Levrez, fondateur de l’Open Mode festival ou encore Sophie Fontanel et assistons à un talk de la fondatrice de la marque Sessun, pionnière en mode durable.
Un rassemblement intéressant donc, et qui laisse, une fois les conférences terminées, un large espace de discussion et de rencontres. Comment sauver une industrie de la mode qui suffoque dans ses propres contradictions ? Comment former la jeunesse face à cette crise ? Mais cette année est aussi marquée par des questions plus techniques et terre-à-terre : comment financer la transition vers le made in France ?
Une nécessité de réalisme et d’indulgence
Nous discutons à la suite de sa prise de parole avec Guillaume Ruby, directeur marque et communication de l’historique Kaporal. La marque lance depuis quelques années sa première ligne made in France appelée Jean de Nimes. Pour Ruby, il faut se poser les bonnes questions mais aussi être honnête et indulgent envers soi-même. “La ligne made in France ne pouvait être lancée que si l’on continuait, en parallèle, à produire normalement afin de la financer”. Oui, lancer une ligne entièrement produite en France et aller vers une telle transition pose de réelles questions de financement, mais aussi d’apprentissage. Cela coûte cher et il est difficile voire impossible d’être rentable dès le début. Il faut également se poser les vraies questions : est-ce que le made in France est toujours de meilleure qualité ? Comment ne pas s’asseoir sur des savoir-faire historiques, et aller toujours dans l’innovation ? Le directeur de Kaporal nous explique : “Alors que la France se lançait à corps perdu dans les délocalisations, certains pays ont continué à évoluer techniquement. Aujourd’hui, en revenant vers une production française, on reprend en réalité la technique là où l’on l’a laissé. Les autres pays, notamment au Maghreb et dans les pays nordiques utilisent déjà des technologies sans lesquelles on ne peut être compétitifs”. On parle ici en particulier des machines 3D qui permettent d’éviter les pertes et chutes de tissus, mais aussi de l’utilisation de machines laser utilisées pour vieillir le jean et de lui donner cet effet délavé qui a longtemps fait son succès, ceci sans utiliser de produits chimiques. Alors que la marque tente de développer sur plusieurs fronts des collaborations upcycling – principe de récupération de vêtements usagés pour en créer de nouveaux – avec des jeunes designers, notamment Florentin Glémarec et sa ligne made in France Jean de Nîmes elle reconnaît la difficulté de cette transition. L’effort ne peut – être fait que sur le long terme.
Mais aussi d’action collective
Si Anti_Fashion project reste une plateforme de discussion intéressante, on regrette pourtant que les acteurs ne travaillent pas plus à l’unisson pour créer de réelles perspectives éthiques à l’industrie. Produire de façon plus respectueuse, et surtout, redonner une possibilité de développement territorial aux régions françaises à travers un renouveau de la filiale textile semble possible, si l’on prend les réalités en face, sans précipitation et avec réalisme. Les très jeunes, eux, notamment en design, semblent avoir déjà bien intégré ces problématiques, on le voit dans le travail des étudiants de l’atelier Chardon Savard présenté à la friche, à base de plastique recyclé et vêtements upcyclés. Mais l’industrie au sens large, au delà de la création, ne peut changer sans un travail collectif, voire gouvernemental. En accueillant ces réflexions Marseille s’impose comme un acteur de la transition, qui marque également l’ouverture à la collaboration avec les autres pays méditerranéens (Open My Med).
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