L’architecte du Mucem, un acteur de la nuit et le directeur des Bernardines évoquent la vie culturelle à Marseille. Pour eux, la culture représente un enjeu économique crucial dont les politiques ne sont pas assez conscients.
Rudy Ricciotti, architecte du MuCEM : “Les vrais héros de Marseille 2013, ce sont les gens du off”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Nous sommes dans une ville où 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. La priorité à Marseille est économique. Il y a un désarroi diabolique que peu de villes en France connaissent. Et la culture a son rôle à jouer. Prenez le MuCEM. Deux millions de visiteurs, une porosité spatiale, populaire, imaginaire. 50 % des visiteurs viennent d’autres départements, 20 % d’étrangers et 20 % de Marseillais.
La dépense moyenne par visiteur qui vient à Marseille pour visiter le MuCEM se situe entre 50 et 100 euros, ce qui représente de 100 à 200 millions d’euros de flux ! La conclusion, c’est que la culture peut être un vecteur de développement économique et pas uniquement social et culturel. Je pense que Marseille a des atouts exceptionnels qui ne sont pas exploités.
Il y a un climat psychologique d’auto-flagellation proprement méditerranéen. Un espèce de syndrome permanent où l’on répète que “rien ne va”. Je ne veux pas tomber dans les poncifs mais Marseille a une richesse culturelle multiple, des personnalités majeures. Les vrais héros de 2013 pour moi, ce sont les gens du off. Ils ont fait un travail formidable, ce qui prouve qu’on n’a pas toujours besoin de subventions pour faire fonctionner la culture. Les acteurs culturels ont une capacité d’auto-développement, comme c’est le cas avec la scène new-yorkaise ou berlinoise.”
Yann Relatif, copropriétaire du bar La Dame Noir : “Les jeunes sont de plus en plus nombreux à venir visiter Marseille”
“Les relations entre les lieux de nuit et la mairie sont quasiment inexistantes. Les comités inter-quartiers (CIQ) ont pris le pouvoir. Dans chaque quartier, une vingtaine de personnes décident sous le prétexte de pseudo-nuisances de la fermeture de tel ou tel endroit, sans en prendre en compte la dimension économique.
Nous sommes en perpétuelle confrontation avec eux. Et comme la municipalité les considère comme des électeurs potentiels, elle leur donne raison. Alors que l’on représente quand même une vraie réalité économique et qu’on participe à la bonne image de la ville… Depuis trois ou quatre ans, les jeunes sont de plus en plus nombreux à visiter Marseille et ils savent très bien où sortir… Nous avons été cités dans le Washington Post et même dans le Lonely Planet 2014!
Il est utopique de penser que les choses vont changer avec la gauche. Depuis Gaston Defferre, c’est le même système qui perdure, les mêmes réseaux qui fonctionnent. C’est quand même incroyable d’avoir toutes les difficultés à organiser des événements en plein air alors que les habitants vivent les trois-quarts de l’année dehors ! Et pourtant, Marseille est l’une des villes qui bouge le plus en France, ces cinq dernières années, beaucoup de lieux se sont montés.
Mais il y a un problème d’infrastructures. Ainsi l’Espace Julien. C’est une salle municipale qui est censée héberger de jeunes groupes marseillais mais elle affiche une programmation de papy et ne reçoit que des grosses tournées françaises. Tant que la mairie ne mettra pas du point en disant : ‘si vous n’évoluez pas, on vous coupe les subventions’, rien ne changera.”
Alain Fourneau, directeur de théâtre des Bernardines : “Tant que Marseille ne sera pas fière de ses artistes et de son identité, rien ne changera”
“Le bilan culturel de Gaudin est plutôt plat. On reconduit les subventions sans les augmenter et sans impulser un seul projet car la ville considère que nous en sommes l’unique porteur. Ils n’ont aucune vision de la culture et ne s’y intéressent pas beaucoup. Alors que la culture peut aussi être attractive sur le plan économique…
Marseille-Provence 2013 n’a absolument rien changé à ça. Ça a été une opération avant tout culturelle et commerciale mais ils n’ont pas du tout travaillé avec le tissu local. Si on veut que la culture existe dans cette ville, on ne peut pas uniquement travailler avec des gens de l’extérieur. A Lille, on peut reprocher un tas de chose à Didier Fusillier [l’homme-orchestre de Lille 2004] mais au moins il était de la région. Ici, Jean-François Chougnet a débarqué à la fin et pareil pour les chefs de projet, ils ont été parachutés. La ville préfère cultiver un Marseille touristique au dépend d’un Marseille populaire. Cette année, il n’y a par exemple eu aucun projet à Noailles [Quartier maghrébin du centre-ville]. On en a proposé un qui a été refusé.
Le seul qui a tenté de faire quelque chose, c’est Robert Vigouroux [maire de Marseille de 1986 à 1995], il a tenté de redynamiser Marseille. Un air de movida planait jusqu’à 1995, début du mandat de Gaudin. Mais à part lui, il n’y a jamais eu de véritable politique culturelle à Marseille. Sous Defferre, la ville était un véritable désert.
Tant que Marseille ne sera pas fière de ses artistes et de son identité, rien ne changera. Il faut arrêter avec les influences franco-européennes. Marseille doit s’assumer. C’est une ville méditerranéenne, africaine, comorienne. Elle doit utiliser ce melting-pot !”
{"type":"Banniere-Basse"}