“Confessions nocturnes” est une chronique qui donne la parole aux lecteur·ices pour parler de sexe, d’érotisme, de genre, d’attachement, d’infidélité… Et qui tente de répondre à cette question : “Comment s’aime-t-on en 2021 ?” Cette semaine, Eva, 35 ans, mère au foyer, nous parle de sa “bulle de liberté” en dehors de son mariage, qui s’est révélée vitale pour elle pendant les périodes de confinement.
Eva – “Toute ma vie, je me suis prise en photo. Petite, je rêvais de faire la couverture d’un magazine. J’ai pris des photos de moi dès le lycée, à l’argentique, et puis en grandissant, avec mon téléphone portable. C’était une façon pour moi de garder une trace de ma vie, de mon corps, de mon visage. Cela me rassurait, parce qu’à l’époque, j’avais l’impression de ne pas plaire. C’était ma façon d’entretenir une relation d’amour envers moi-même. Puis j’ai commencé à faire des photos de moi toute nue pour mon mari. Au bout de quelques années, j’ai fini par arrêter de les lui envoyer, mais je n’ai jamais cessé d’en prendre. C’était comme un journal intime qu’on ne relit pas, qu’on garde pour soi. Quand les réseaux sociaux sont apparus, l’envie est née à nouveau de les partager d’une manière ou d’une autre. Mais j’avais peur de baisser dans l’estime de mes proches si je postais des photos de moi en maillot de bain ou en lingerie.
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J’ai décidé de créer une page Instagram pour partager mes photos dénudées de façon anonyme. Là, je me suis mise à échanger avec des inconnus qui me contactaient en messages privés. Quand l’échange me plaisait, le but était clairement d’érotiser la discussion. Je ne le faisais que par plaisir et je ne voulais pas me forcer à quoi que ce soit. Sinon, je bloquais la personne. L’idée était de me sentir désirable. Je ne cherchais pas la rencontre, mais à donner du plaisir à l’autre, et à recevoir des compliments. Je ne voulais pas d’autre implication. J’ai donc commencé à échanger beaucoup de messages très chauds. J’envoyais des petites phrases provocantes, des nudes, et j’ai même utilisé ma voix avec des audios pour rendre l’échange encore plus concret et exciter la personne avec qui j’échangeais. C’était comme faire l’amour, mais séparément, chacun de son côté du téléphone.
« M’échapper de mon quotidien »
J’ai fini par avoir des contacts quotidiens avec entre dix et vingt personnes fidèles. Je n’avais pas dix conversations simultanées, mais les dix se répartissaient sur la journée. Certaines le matin, d’autres le soir. Une fois, la conversation s’est poursuivie la nuit jusqu’à 3 heures. Je passais mon temps à pianoter sur mon téléphone et je ne m’en lassais pas. Pendant le confinement, c’était compliqué parce que mon mari n’est pas au courant de cette activité. Donc il fallait que je me cache. Comme il télétravaillait, je n’étais pas toute seule à la maison et il fallait que je m’isole. Je me mettais dans ma chambre pour prendre ce temps avec les gens avec qui je discute habituellement. Parfois, je passais la journée entière à discuter avec eux, à ne faire que ça. Comme je suis sans-emploi, je me retrouvais parfois confinée avec des heures devant moi sans avoir rien à faire, alors je m’y mettais. J’avais besoin de m’échapper de mon quotidien par ce biais-là. Je disais à mon mari que je voulais être seule et je fermais la porte à clé. Un jour, je me suis enfermée dans ma chambre, j’ai mis un mot “ne pas déranger” sur la porte et j’ai lancé une vidéo de yoga, alors qu’en fait, j’étais sous la couette à discuter par messages vocaux. D’autres fois, je sortais pendant l’heure libre autorisée pour envoyer des messages, des photos et des audios. Lors de ces discussions érotiques, je ne me caresse pas souvent sur le moment, mais plutôt quand je sais que je vais être tranquille, sous la douche par exemple.
Pendant les périodes confinées, les gens qui me contactaient voulaient juste un message, une photo, pour ne pas se sentir seuls. Je pouvais être en train de faire ma vie ou de cuisiner et si on me le demandait, je pouvais me déshabiller, prendre une photo et me rhabiller juste après. Parmi ces inconnus, il y avait des personnes mariées en quête de divertissement en dehors de leur couple, et aussi des célibataires qui cherchaient un contact. Des femmes m’ont écrit aussi parce qu’elles appréciaient de se confier, d’entendre ma voix, de voir mes photos ou mes petits mots. Je suis devenue une oreille attentive. J’aimais leur apporter cet espace d’évasion et je savais que ça nous faisait du bien, à eux comme à moi.
Je suis quelqu’un de très timide, j’ai peu d’ami-e-s et de contacts sociaux et je vais peu vers les autres dans la vie quotidienne, alors ces échanges m’aident à prendre confiance en moi. C’est d’autant plus bénéfique d’avoir ces personnes-là avec moi pendant cette période. Parce que je donne beaucoup, mais je reçois beaucoup aussi.
Une rémunération ?
En fait, comme mon mari n’est pas très attentionné, ni très porté sur les compliments, je vais en chercher ailleurs. Aujourd’hui, ce sont ces flatteries qui m’apportent ce dont je manque. Ces messages sont aussi des stimulations extérieures qui nourrissent ma libido. Je me découvre dans ma sexualité et notre couple fonctionne à nouveau grâce à ça. Je reprends le pouvoir sur mon corps.
Je n’ai pas du tout envie de partager ce que je fais avec mon mari, parce que c’est mon jardin secret et qu’il ne comprendrait pas. Pour lui, je suis une femme classique, sage, aimante. Je ne pense pas qu’il se doute du type d’échanges que j’ai avec ces inconnus. Je pense qu’il n’a pas envie de se dire que je fais ça dans son dos. Pour moi, c’est une bulle de liberté, chaque jour de la semaine – sauf le week-end. Je m’autorise à prendre ce temps-là dans ma vie de femme et de maman. J’adore le faire et je ne vois pas le mal. Avec le confinement, c’est déjà dur de prendre du temps pour soi quand on est en famille, on est toujours les uns sur les autres, donc s’autoriser ce genre de chose est important pour moi.
Si jamais mon mari le découvrait, je lui demanderais d’accepter qui je suis. Je pense qu’il serait surpris ou choqué, mais j’assumerais. Je ne pense pas qu’il me quitterait parce qu’au fond, il sait que je suis ainsi – provocante, à chercher l’approbation des autres. Je pense qu’il accepterait.
À force d’y passer du temps, j’ai déjà songé à me faire rémunérer, mais je ne possède pas mon propre compte bancaire et mon mari se demanderait d’où je tire ces revenus. Je pense qu’ouvrir un compte participerait à mon indépendance et à mon émancipation. J’aimerais faire de ces échanges un travail, légitimer ce que je fais, parce que cette activité a de la valeur.”
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Propos recueillis par Pauline Verduzier
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