Le plan de sauvegarde de Marianne a été validé par la justice, conférant à l’hebdomadaire un bol d’air. Pour autant, au sein de la rédaction, les inquiétudes se cristallisent sur la ligne éditoriale bien plus que sur l’avenir économique.
Marianne sorti d’affaire ? C’est en tout cas ce que laisse entendre la récente décision de justice du tribunal de commerce de Paris. Ce dernier aurait « validé purement et simplement le plan » proposé par Yves de Chaisemartin, propriétaire et PDG du journal, sortant ainsi Marianne d’un long plan de redressement judiciaire engagé fin 2016.
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Un vrai bol d’air pour un magazine empêtré dans des affaires internes, révélées en majorité par Mediapart. Ces dernières années, le pureplayer d’investigation a tour à tour dénoncé la reprise en main d’un journal de gauche par des patrons « très marqués à droite » et des arrangements politico-éditoriaux. Il a aussi mis à jour des conflits d’intérêts patents, une tendance au publireportage, des dettes abyssales, une crise manageriale et des flous éditoriaux. Rien que ça.
« Ça ne va pas du tout »
Mais aujourd’hui, Marianne serait en passe de connaître « une renaissance après des années de galère et de difficultés », comme s’en est félicité M. de Chaisemartin. Pourtant, dans les coulisses de l’un des plus grands newsmagazine français, l’ambiance semble bien différente. Economiquement comme éditorialement, le portrait dressé en interne n’est pas reluisant.
La plupart des interlocuteurs interrogés, liés à Marianne, y travaillant ou l’ayant côtoyé de près ou de loin ces dernières années le soulignent systématiquement : « On aime cette marque, on tient à ce journal. » Beaucoup réfutent d’ailleurs certains aspects des portraits au vitriol brossés par Mediapart, appelant à plus de nuances. Bien qu’ils ne nient pas la réalité d’une situation éditoriale « erratique« .
L’attachement sincère porté à leur titre rend d’autant plus douloureuse la situation et la (non)direction que prend leur magazine. Au fil des interviews, les langues se délient dans un flot de paroles quasi-carthatiques. Alors qu’il peinait à défendre sa boutique, une fois assuré que son nom ne sera pas révélé, un journaliste lâche. « En fait, ça ne va pas du tout. »
Une vingtaine pour 90 pages
Depuis la fin 2016, les forces vives du journal n’ont cessé de fondre. Plusieurs séries de départs ont décimé les rangs de Marianne. Au dernier trimestre 2016, au printemps et enfin à l’été 2017, plus de quinze journalistes ont quitté la rédaction, volontairement pour la majorité, poussés dehors pour le reste. Plus de tête à la culture, plus de rubricard police-justice. Il ne resterait qu’une vingtaine de plumes pour écrire 90 pages par semaine.
Une hémorragie qui risque de continuer. M. de Chaisemartin a confié à l’AFP son objectif : « Se recentrer sur le coeur nucléaire du métier et externaliser tout ce qui peut l’être. » Il se murmure depuis qu’une partie des maquettistes, correcteurs et secrétaires de rédaction, toutes les mains indispensables à la construction d’un magazine, seraient en passe de payer leur tribut.
« Ils ont la tête sur le billot, croit savoir un ancien de Marianne. L’objectif serait d’automatiser la fabrication du papier, les journalistes maquetteraient eux-mêmes leur papier. » De tels logiciels déjà utilisés en presse quotidienne régionale, ne seraient, selon certains « pas du tout adaptés à un newsmag ».
« Le vrai sujet est éditorial »
Mais beaucoup pensent que si c’est « une partie du problème« , d’autres questions sont bien plus pressantes. « On n’est plus tellement aux abois d’un point de vue économique, pas tellement plus que d’autres, estime un journaliste. La vraie inquiétude c’est comment va-t-on faire vivre la marque Marianne ? Le vrai sujet est éditorial. »
« On est dans le flou », explique l’une des signatures du journal. « Si on continue, on va perdre notre identité de poil-à-gratter », déplore un autre. La campagne présidentielle, point d’orgue du malaise de la rédaction, aurait été marquée une « errance éditoriale« . Plusieurs épisodes ont fragilisé un hebdomadaire déjà mal en point.
« Ce n’est pas ça l’identité de Marianne »
En pleine campagne présidentielle, le Canard enchaîné révèle que le décrié directeur de la rédaction, Joseph Macé-Scaron prêterait sa plume aux discours de François Fillon. Il quitte alors la rédaction à la faveur d’un nouveau plan social. De quoi secouer durablement une rédaction historiquement ancrée à gauche.
Par ailleurs, le lectorat de Marianne, comme ses journalistes, n’auraient pas saisi la ligne du journal. Particulièrement sur le traitement d’Emmanuel Macron. Un coup contre, celui d’après pour. « Archi-nul », résume un journaliste. « On n’a pas su sur quel pied danser », enchérit un autre. Avant la conclusion d’un dernier. « Ce n’est pas ça l’identité de Marianne. »
« Sur la politique, sur l’islam, sur la laïcité, il faut éclaircir tout ça, assure un journaliste. On ne doit pas perdre la laïcité, mais il faut la mettre à jour. On ne peut pas être la caricature de nous-mêmes. Il faut investir de nouveaux sujets, rajeunir notre image, prendre position par rapport au nouveau pouvoir. » Un autre estime qu’il « faut retrouver les valeurs fondamentales de Marianne », déplorant être « lestés de préjugés« .
« Il faut une direction qui s’implique »
« Mais pour cela, il faut une direction qui s’implique », tranche l’un d’entre eux. Dans le viseur, le dernier directeur de la rédaction, en date, Renaud Dély. « Il n’a jamais joué son rôle, que ce soit avant le redressement, pendant ou après », peste un journaliste. Si tous s’accordent à saluer « un excellent journaliste, sympathique et humain », ils déplorent « son manque d’investissement. »
Une des raisons qui pourrait expliquer cette timide implication réside dans les conditions d’arrivées de Renaud Dély. Décrit comme « hollandôlatre » par Mediapart, il serait arrivé par la grâce de M. de Chaisemartin qui aurait ainsi fait « un geste spectaculaire (…) évidemment pas pour déplaire à l’Elysée ». Selon le pureplayer, l’objectif était clair : récupérer plus d’aides à la presse.
Des bases de travail compliquées donc. D’autant qu’en terme d’embauche, Renaud Dély n’aurait pas eu la latitude qu’il espérait en prenant les rennes de de Marianne. Bloqué par une situation financière désastreuses, il aurait « baissé les bras ».
« Je ne comprends pas qu’on puisse être à la tête d’un magazine de cette qualité et ne pas s’y consacrer à 100 % », s’interroge tristement l’un des journaliste sous ses ordres. En ligne de mire, l’omniprésence médiatique du patron de Marianne. « Par exemple cet été, il a présenté 28 Minutes tous les soirs, s’insurgent en choeur les journalistes. Quand on voit plus son chef à la télévision qu’en rédac, il y a un problème. »
« On aurait pu jouer notre rôle de vigie »
D’autres mettent plus directement en cause ses choix éditoriaux. Trop « Macron-compatible » pour certains, trop « populo » pour d’autres. « Il y a un hiatus entre le contenu de Marianne et ses édito par exemple, entre ses membres et sa direction », se désespère un journaliste.
Si nombre d’entre eux juge son management bien meilleur que celui de Joseph Macé-Scaron, son manque de vision éditoriale inquiètent une partie de la rédaction quant à l’avenir du journal. Avant les élections, il y aurait eu la promesse d’une discussion afin de parler du positionnement de leur hebdo au second tour. « Ça n’a jamais eu lieu. »
Certains journalistes auraient aimé une position nuancée de Marianne, refusant d’appeler à voter Emmanuel Macron sans condition. « La position des moutons ce n’est pas nous, peste l’un d’entre eux. On s’est aligné sans nous demander notre avis, alors qu’on voulait renvoyer Macron à ses responsabilités. Après ça, on aurait pu jouer notre rôle de vigie. »
Marianne à la croisée des chemins
L’épisode constituerait le point d’orgue du ras-le-bol d’une partie de la rédaction. Cette dernière assurant par ailleurs qu’il n’est pas rare de ne découvrir les Unes qu’une fois parues, sans discussion préalable. « Jusqu’à nouvel ordre, le magazine ne vit que par la bonne implication de quelques-uns de ses membres », résume un ancien journaliste.
Désormais, « Marianne est à la croisée des chemins ». Une partie de l’équipe semble bien décidée à « demander les comptes à la direction », estimant ne « plus pouvoir s’en exonérer ». Se forçant a « rester optimiste », un journaliste dresse un bilan en noir et blanc. « Soit on se reprend en main et on fait un truc vraiment bien, on en a les capacités, soit on continue et on se prend le mur. »
Pierre Bafoil
Contacté à plusieurs reprises, Renaud Dély n’a pas donné suite à nos sollicitations.
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