A la tête de la puissante chaîne de télé internationale Russia Today et de ses multiples antennes, Margarita Simonian dispose d’une puissance de feu médiatique incomparable. Avec elle, les intérêts du Kremlin sont entre de bonnes mains.
Dans les vastes locaux aux murs blancs façon hôpital et aux touches de vert façon Matrix, il la suit, l’écoute, la regarde de ses petits yeux de lévrier, légèrement en retrait. Nous sommes en 2015 et, pour les 10 ans de Russia Today (RT), Vladimir Poutine visite le siège moscovite de la chaîne de télé russe, guidé par Margarita Simonian, la rédac chef, alors enceinte de son second enfant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A la vue de cette vidéo, on pourrait croire qu’ici la boss c’est elle – officiellement, c’est le cas. D’aucuns diraient plutôt qu’elle est la fille spirituelle du président de la Fédération de Russie. Si elle est là, c’est parce que le Kremlin l’a voulue pour diriger cette chaîne placée sous la coupe de l’agence de presse étatique Rossia Segodnia, vue par beaucoup comme un instrument de propagande.
La Tchétchénie en mode yolo
Plutôt vingt-six fois qu’une, selon un rapport déclassifié du renseignement américain sur l’influence russe dans l’élection présidentielle US, où son nom apparaît à cette fréquence : RT et Sputnik (site également sous sa tutelle) seraient des acteurs de “la machine de propagande de la Russie (…) ayant contribué à influencer la campagne présidentielle”.
Pas de quoi inquiéter celle que l’on nous a décrite comme “forte”, “déterminée”, “brillante” et “visionnaire quant à ce que les Occidentaux voulaient voir à la télé : des contenus dits antisystème” – mais aussi “hypocrite” et “menteuse”, selon un ancien journaliste de Rossia Segodnia, qui dit avoir été licencié à l’arrivée de Simonian à la tête de l’agence, en 2013. Une femme qui, à même pas 20 ans, est partie couvrir la seconde guerre de Tchétchénie en mode solo et a fortiori yolo.
A 37 ans, la journaliste est à la tête d’un empire comptant deux mille employés
Sa réponse au rapport, délivrée dans une lettre des plus moqueuse ? “Alexeï Gromov (proche de Poutine – ndlr) est en effet mon contact au Kremlin. Nos rencontres sont fréquentes et impliquent parfois la consommation de boissons d’adulte. Je préfère la bière allemande, lui, la vodka russe. Ces faits sont indiscutables.” За ваше здоровье ! (A votre santé !)
Ce rapport, elle n’en a cure. A 37 ans, la journaliste à l’attitude corporelle jean-jacques-bourdinienne en interview – le corps en avant –, est à la tête d’un empire. Deux mille employés, une chaîne qui émet en espagnol, en arabe, en anglais, des sites web affiliés, dont un français, lancé en 2016, avant la chaîne en 2017, des bureaux à Tel-Aviv, Washington, Paris, Londres… RT, créée en 2005 pour traiter de l’actualité russe d’un point de vue soi-disant impartial, au contraire des médias occidentaux dits mainstream, jugés partisans, s’est peu à peu internationalisée avec un objectif simple : donner des news différentes, occultées, “alternatives”.
Plutôt Le Pen que Macron
Quitte à verser parfois, au milieu de reportages vraiment journalistiques, dans le conspirationnisme, voire dans l’info orientée, souvent au profit des intérêts russes. “C’est une vieille technique de l’URSS : ils publiaient une info biaisée dans un canard local, qui était reprise par la presse nationale russe puis par les médias occidentaux. Aujourd’hui, ils font pareil sur les réseaux sociaux”, estime Galia Ackerman, historienne franco-russe qui prend pour exemple les attaques contre Macron largement relayées : “Sa candidature, a contrario de celles de Le Pen ou Fillon, la Russie n’en (voulait) certainement pas.” Ben Nimmo, spécialiste des enjeux de désinformation à l’Atlantic Council, un think tank US, voit aussi dans l’attitude de ces médias “une volonté de diminuer la confiance dans les démocraties occidentales”.
Simonian, qui déclarait en 2013 à Der Spiegel qu’“il n’y a pas d’objectivité, seulement des approximations de la vérité”, a été nommée à son poste à 25 ans. Une belle ascension pour cette brune anglophone issue d’une famille modeste, dont les origines arméniennes détonnent au sein de l’élite poutinienne, réputée méprisante à l’égard des minorités en plus d’être misogyne – la totale.
Les rumeurs vont bon train pour expliquer son parcours fulgurant, également marqué par un an d’études aux States et par un job de reporter au pool présidentiel. “Elle est devenue amie avec les bonnes personnes”, pense Oliver Bullough, un journaliste anglais qui consacra une enquête à RT en 2013. Pour lui, Simonian, qui n’a pas répondu à notre demande d’entretien, tenterait, en versant presque dans l’autolégende selon certains, “de se faire passer pour une outsider… alors que RT est financée par l’Etat”.
Friande de l’idée de “guerre informationnelle”
William Dunbar, ancien correspondant en Géorgie pour la chaîne – avant d’en claquer la porte après qu’on lui eut intimé l’ordre de ne pas parler des bombardements russes sur le territoire, en 2008 –, se souvient d’une personne “gentille” et qui “avait l’air compétente”. Il ne l’a rencontrée qu’une seule fois, en 2007, lors d’une réunion. A l’époque, il se demande si elle est bien la chef, ou si “elle n’est qu’une jeune figure de proue”. Au final, elle s’avérera être “bien plus que ça”.
Elle est très friande de l’idée de “guerre informationnelle” chérie par Poutine, et il se dit qu’en privé elle aime à raconter qu’à la différence d’autres projets russes, l’argent versé par l’Etat ne serait pas détourné et servirait effectivement à financer (grassement) la chaîne. Qui, parfois, pour promouvoir son slogan – “Osez questionner” –, fait appel à des agences anglo-saxonnes comme McCann-Erickson, qui réalisa la campagne de pub de RT en 2010, en Grande-Bretagne. Et qui travaille pour des marques aussi anti-occidentales qu’American Airlines, Microsoft ou encore Coca-Cola. Cheers!
{"type":"Banniere-Basse"}