Juge d’instruction de l’affaire de Karachi, il étudie les dossiers les plus sensibles de l’antiterrorisme. Marc Trévidic avale de la raison d’Etat au petit-déjeuner. Rencontre.
A 45 ans, il ne peut pas se déplacer sans escorte policière. Marc Trévidic garde pourtant le rire facile, meilleur moyen sans doute de supporter son fardeau : sollicitations permanentes sur les dossiers en cours, confrontation aux intérêts diplomatiques, responsabilité devant les familles de victimes.
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A défaut de connaître le juge, on a entendu parler de “ses” affaires, anciennes et complexes. L’attentat contre le président rwandais Habyarimana en 1994, à l’aube du génocide. Celui de la rue Copernic en 1980. L’assassinat des moines de Tibhirine, en Algérie, objet du film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux. Et ce dossier à la une des journaux ces dernières semaines : l’attentat de Karachi, en 2002.
La semaine dernière, le député communiste Jean-Jacques Candelier proposait de transmettre à Marc Trévidic les procès-verbaux de la mission parlementaire sur Karachi. Le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, avait refusé ces documents au juge, arguant de “la séparation des pouvoirs”. “Moi, je suis content dès qu’on m’amène des éléments qui intéressent mon instruction. D’où que ça vienne”, avance le juge, rappelant qu’en droit français, même le produit d’un cambriolage est recevable.
Il n’est pas du genre à défoncer les portes qu’on lui oppose, plutôt à réexpliquer dix fois au videur pourquoi il doit entrer. Conforme à sa réputation d’indépendance et de ténacité, Marc Trévidic a été le premier à suivre la piste de l’argent, quand son prédécesseur Jean-Louis Bruguière voyait dans cet attentat l’empreinte d’Al Qaeda. “Si vous avez deux pistes, que l’une est arrivée à son terme et est dans une impasse, vous travaillez celle qui reste”, commente-t-il avec sobriété:
“J’ai eu un regard neuf, quand j’ai pris chaque dossier je les ai lus du début à la fin et j’ai fait ça avec, je pense, assez de méthode. Je regarde ce qui a été fait et je regarde ce qui à mon avis reste à faire. Il a fallu que je trouve des critères: l’ancienneté du dossier, le nombre de morts français. Ce n’est pas discrétionnaire de ma part.”
Le juge Renaud Van Ruymbeke s’occupe du volet financier. Sur l’affaire en cours, Marc Trévidic, tenu au secret de l’instruction, ne peut rien révéler. Il s’autorise deux conseils de lecture: Le Contrat, des journalistes de Mediapart Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme, “une référence”, et le livre des familles de victimes de l’attentat, “humainement très fort”.
« Où est cette menace terroriste d’ultragauche?
Il commence sa carrière de juge d’instruction à Péronne, dans la Somme. “Petit notable” autodésigné. A 25 ans, il n’a “aucune idée de tout ce monde du renseignement, de ces problèmes de relations internationales” qui font aujourd’hui son quotidien. Passé par le parquet, à Nantes puis à Paris, c’est comme substitut du procureur que Marc Trévidic débute au pôle antiterroriste. Avant de devenir, en 2006, juge spécialisé.
Dans la configuration actuelle, “je ne retournerais pas au parquet, affirme- t-il. Avec plaisir si un jour ces magistrats sont considérés comme tels, pas comme des subordonnés fonctionnaires”.
Président de l’Association française des magistrats instructeurs depuis 2009, il a pris position contre le projet de suppression du juge d’instruction, aujourd’hui mis en sommeil. Il peut donc se tourner vers d’autres combats.
“Vous pouvez très bien comprendre sur quel type de dossiers je peux me sentir seul”, glissait-il à Libération en janvier. “Les moyens, on ne les gère pas du tout, réaffirme-t-il aujourd’hui. Dans des dossiers de terrorisme majeurs, il n’y a parfois qu’un ou deux fonctionnaires de police pour enquêter.”
Début novembre, Brice Hortefeux désignait trois formes de terrorisme menaçant la France : ETA, l’ultragauche et l’islamisme. L’analyse du juge diffère:
“ETA est une menace qui a baissé d’intensité, même s’il faut en tenir compte, l’islamisme en est une de façon évidente, l’ultragauche, il faudrait définir ce que c’est et nous expliquer qui est mort… Non, pour l’instant je ne vois pas du tout où est cette menace terroriste d’ultragauche.”
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