Pour sa campagne Printemps-Eté 2020, Givenchy réunit l’actrice Charlotte Rampling et le designer Marc Jacobs, pour une série de mini-films questionnant la mode et l’invention identitaire.
C’est à travers 3 mini-films shootés par Craig McDean que la maison Givenchy a levé le voile sur l’identité des protagonistes de sa campagne Printemps-Eté 2020. La directrice artistique, Clare Waight Keller ne s’offre non pas une, mais deux têtes d’affiches : la star des salles obscures Charlotte Rampling, et l’idole des podiums lumineux Marc Jacobs. Le synopsis ? Rampling délivre un cours particulier d’art dramatique à un Marc Jacobs jeune premier intrépide. La leçon tourne à la farce : Jacobs, mauvais élève, ne parvient pas à articuler son propre nom, débitant “I’m Charlotte Jacobs Rampling”.
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Dans une autre vidéo, il reçoit une gifle après avoir répliqué à Charlotte Rampling : “You’re Charlotte Rampling !” En plus de l’effet comique, ces détournements soulignent le caractère factice et performatif des constructions identitaires tenues pour acquises. Marc Jacobs est-il Charlotte Rampling, et vice versa ?
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Déjà la saison dernière, Givenchy jouait aux metteurs en scène en donnant à l’icône pop Ariana Grande le rôle d’Audrey Hepburn, muse historique d’Hubert de Givenchy.
Dans une ère où la mode aime à déconstruire les normes pour être plus inclusive, la campagne Givenchy peint une fable qui réfute les identités imposées et immuables. La mode est-elle la scène sur laquelle chaque acteur peut enfin s’extraire des rôles qui lui sont dictés par la société ?
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Caméléons
Dans Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Jean-Jacques Rousseau appelait “perfectibilité”, l’aptitude à s’auto-transformer insistant qu’il s’agit là de “l’essence humaine” et l’unique trait commun à tous. Dans un monde kaléidoscopique, où chacun est en mesure de construire ses avatars sur les réseaux sociaux, la mode choisit deux êtres familiers des métamorphoses. Rampling, actrice, apprend le métier à la Royal Court School et brille tout autant chez Visconti au début des années 1960 que chez François Ozon dans les années 2000. Son aura survit à ses personnages de cinéma, et inspire au-delà du grand écran. Son physique androgyne est happé par les couturiers et designers, d’Yves Saint Laurent à Jonathan Anderson pour Loewe en 2017.
En 2004 elle pose à demi-nue devant l’objectif de Juergen Teller pour Marc Jacobs, qu’elle retrouve aujourd’hui sur les plateaux de mode de Givenchy. La mode devient l’écrin de sa propre mémoire, dans lequel Marc Jacobs est un acteur vif, familier des changements de maisons et familier des réinventions.
Celui qui s’est fait connaître au milieu des années 1990 avec une collection punk chez Perry Ellis avant de se ranger chez Louis Vuitton a traversé 30 ans de mode, proposant aussi bien des lignes juvéniles que du maquillage distribué par Sephora. Après une rehab scandale en 1998, il revient les cheveux courts, le torse musclé et couvert de tatouages à la tête de sa propre marque. The Marc Jacobs est un personnage qui aujourd’hui se met en scène devant ses 1,2 million de followers sur Instagram. Si Karl Lagerfeld s’était rendu iconoclaste à travers un costume unique, c’est dans le permanent changement de la mode que Marc Jacobs s’imagine. Manteau oversize Balenciaga, ou looks Gucci surmontés de bottes à plate-forme Rick Owens, le voici roi de son propre cinéma en ligne.
Plateaux de cinéma
“La nécessité de devenir ce que l’on « est », est la caractéristique même de la vie moderne. La modernité remplace la détermination du rang social par une autodétermination coercitive et obligatoire”, écrivait le philosophe Zygmunt Bauman dans La Société liquide.
Rampling comme Jacobs possèdent des identités fluides qui échappent aux médias qui les ont vu naître et à l’injonction identitaire à être soi. Êtres à l’identité malléable, ils partagent avec humour leurs recettes pour défixer l’identité dans ce spot.
“Cette publicité est « camp », dans le sens où elle hypertrophie les ressorts classiques de la mise en scène. Il s’agit d’un moyen d’affirmer que tout n’est que fiction. La mode est un cinéma. Dans ce jeu baroque où le genre est lui aussi une fiction, la marque Givenchy devient l’expression ultime à performer comme le montre le final du spot” explique Maureen Lepers, enseignante en cinéma à la Sorbonne Nouvelle. Effectivement, Give me Givenchy, tel est l’ordre final de Charlotte Rampling à son jeune premier après lui avoir demandé de dépasser la vanité de son personnage.
“Jouer n’est pas vivre, c’est être”, disait Jean Epstein. Ainsi depuis le gala du Met, la mode s’affirme comme scène « camp ». Le concept philosophique et esthétique décrit par Susan Sontag, comme une forme extrême de théâtralisation, mettant en abîme le fake, est un moyen d’échapper à une identité proscrite.
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