L’entêtant jeu d’énigmes du studio Graceful Decay raconte par petites touches une histoire d’amour aussi simple que déchirante. Et aussi : le bel entrain de Mail Mole qui confirme le retour en force du jeu de plateforme 3D.
Personne. Du début à la fin de Maquette, il n’y a jamais personne à l’écran et c’est pourtant l’histoire d’amour la plus déchirante que l’on ait pu suivre dans un jeu vidéo depuis longtemps. Une histoire simple, banale, même, et qui se dévoile par petites touches, par une série d’instantanés visuels et sonores, des phrases écrites à même l’image, des voix, des dessins. Le reste du temps, on cherche notre route, on essaie de comprendre comment fonctionnent les lieux étranges dans lesquels nous plonge l’œuvre du jeune studio californien Graceful Decay. En parallèle, secrètement, l’histoire se développe, infuse en nous et, pour le meilleur comme pour le pire, certaines petites choses en deviennent de très grandes. Tout dépend de la manière dont on les appréhende. Ludiquement, tel est d’ailleurs le principe même de Maquette.
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Modèles réduits
Très attendu comme à peu près tout ce qui porte le logo d’Annapurna Interactive qui, en quelques années aux allures de sans-faute, est devenu un éditeur-clé de la scène indépendante (avec What Remains of Edith Finch, Outer Wilds, Telling Lies, Kentucky Route Zero, Sayonara Wild Hearts, If Found…), le jeu affiche ses intentions dans son titre. Au cours des quelques heures que dure l’aventure, tout ou presque est question de relation entre des bâtiments et leur représentation réduite. L’idée, alors, est d’exploiter le lien existant entre un lieu et sa maquette pour résoudre les énigmes que nous présente le jeu et ouvrir un passage, généralement vers un nouveau fragment de l’histoire car toute action effectuée dans l’une des versions de ce monde se répercute également sur l’autre. Par exemple, si deux points demandent à être reliés par un pont mais que celui dont on dispose se révèle trop petit, il suffit de prendre ce mini-pont et d’aller le déposer sur la maquette où, comparativement aux modèles réduits des immeubles, il paraît nettement plus grand. L’opération fait alors apparaître un pont à la même échelle par rapport aux bâtiments dans le « réel », ce qui nous permet de traverser, comme on le souhaitait.
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Eurêka
Parfois, c’est une clé ou un cristal de couleur aux propriétés magiques que l’on déplacera du monde à sa maquette. Parfois aussi, c’est une version réduite de nous-même qui réussira à passer là où le vrai nous restait bloqué. Parfois encore, une troisième version du paysage, encore plus haute, vient s’ajouter aux deux premières, au risque de nous faire quelques nœuds au cerveau, même si, en matière de casse-tête, Maquette reste plutôt « gentil » en comparaison de titres comme The Witness ou Stephen’s Sausage Roll. Comme dans les meilleurs jeux du genre, le plaisir est dans l’instant « Eurêka », celui où, soudainement, tout devient clair, limpide, où l’on arrive à se caler dans le mode de pensée des créateur·rices du jeu. Et, accessoirement, à percevoir la beauté des énigmes, leur élégance ou au contraire, parfois, leur légère brutalité quand le jeu nous oblige lui-même à tordre un peu sa logique, car tout puzzle game est d’abord une affaire esthétique.
Mais la beauté de Maquette, c’est d’abord la manière dont ses différentes pièces s’assemblent alors que se dévoile la romance entre Kenzie et Michael à qui Bryce Dallas Howard et Seth Gabel prêtent leur voix. Ils sont jeunes, se rencontrent, se plaisent. Elle l’invite à une fête, ils dessinent ensemble, ils s’aiment. Ils s’installent ensemble et puis, peu à peu, le temps se gâtent. Tout ça se raconte après, ce sont des souvenirs qui refont surface, mais mieux vaut ne pas trop en révéler. On dira juste que l’intrigue de Maquette ressemble beaucoup à celle de Florence, un autre (superbe) jeu édité par Annapurna Interactive, mais la forme que prend le récit, plus métaphorique, en fait une expérience assez différente. Notons néanmoins que, dans un cas comme dans l’autre cas, on n’aura pas manqué d’essuyer discrètement quelques larmes en passant.
Carrousel
La perception, le point de vue : tels sont les enjeux centraux de Maquette, de son game design comme de son intrigue. Tel petit détail, quelques mots, un échange de rien du tout prend soudain toute la place. Et puis, comme par magie, on y revient, on regarde à nouveau et c’est comme s’il n’y avait plus rien. Est-ce qu’on a rêvé ? Alors on part en quête de traces, on tourne, on grimpe, on cherche une entrée. Et on retrouve quelque chose, un vestige, un truc qui, pour quelques instants, fait resurgir le passé, et ça fait chaud et froid à la fois.
On pourra regretter que Maquette n’aille pas plus loin dans le registre du jeu de manipulation, car son principe d’espaces interdépendants de dimensions différentes était riche en possibilités dont seule une petite partie est ici exploitée. On aurait imaginé un Maquette philosophico-burlesque à la Katamari Damacy, un Maquette bac à sable ouvert à toutes les expérimentations, voire un outil pour créer ses propres niveaux, mais le projet des développeur·euses de Graceful Decay n’est clairement pas celui-là et il faut sans doute aimer Maquette pour cela : pour sa manière de tenir sa ligne, sa vision, sans s’éparpiller. Ce n’est pas un grand parc à thème riche en attractions, mais un carrousel, alternativement lumineux et sombre, mais toujours personnel. Et même s’il est déjà trop tard, même si les histoires d’amour finissent mal en général, il tourne.
Maquette (Graceful Decay / Annapurna Interactive), sur PS4, PS5 et Windows, environ 17€
Et aussi :
Mail Mole
Après Lucky le renard, voici Molty la taupe et l’on se croirait presque renvoyé à la grande époque du jeu de plateforme, en 2D ou en 3D, quand chaque éditeur voulait avoir le sien avec son héros-mascotte animalier. L’essentiel, alors, était de trouver comment exploiter les caractéristiques mêmes de ladite bestiole pour rendre l’expérience singulière et c’est ce que réussissent joliment les Barcelonais de Talpa Games dans Mail Mole. Etant une taupe, notre héros se déplace donc sous terre, ce qui modifie sensiblement la manière de traverser les niveaux proches dans leur conception de ceux d’un Super Mario 3D World (avec moins d’inventivité, quand même). D’autant que, pour bondir hors du sol, il faudra bien préparer ses sauts et que c’est en lâchant le bouton de la manette (plutôt qu’on le pressant) qu’on les déclenche, ce qui n’a l’air de rien, mais suffit pourtant à faire de Mail Mole un jeu différent sur le plan du tempo, qui est une dimension essentielle de tout platformer. On aime aussi beaucoup son univers enfantin au style dépouillé et son atmosphère décontractée. Modeste et plein d’allant, Mail Mole sent déjà le printemps.
Sur Switch, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S, Linux et Windows, Talpa Games / Undercoders, environ 15€
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