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Des anonymes du début XXe siècle à Kate Moss, de Newton à Bourdin, une exposition photo revisite l’histoire de la mode en s’intéressant au mannequin.
Bien sûr, il y a les directeurs artistiques, les stylistes, tous ceux qui « font » la Haute Couture. Mais que donnerait-elle, cette mode, sans les mannequins ? Des vêtements sur cintres, sublimes mais sans vie, comme on en croise parfois dans les musées.
L’exposition du musée Galliera, présentée hors les murs à la Cité de la Mode et du Design à Paris, entend bien redonner sa juste place au mannequin. Ce corps au cœur de la mode, qui ne se limite pas aux créatures affichant des mensurations parfaites et autres cover-girls starisées dont on connaît le nom. Bien avant elles, le mannequin était en osier dans les salons du XIXe, avant de devenir vivant mais presque aussi inanimé et muet, simplement là pour mettre en valeur le vêtement devant des clientes et acheteuses potentielles.
Dans deux salles côte à côte donnant sur la Seine, la commissaire de l’exposition Sylvie Lécallier a choisi de réunir ce qui a fait passer cet élement-clé « du portemanteau au sex symbol ». Loin d’une « histoire du mannequin » qui en aurait fait une exposition plus qu’ennuyeuse, la jeune femme a ainsi évité toute chronologie. « L’image serait venue illustrer un propos, explique-t-elle. Ici, je voulais que ce soit l’inverse ». Et pour cause, c’est d’images qu’est née l’idée de l’exposition présentée l’été dernier dans le cadre des rencontres d’Arles. Chargée de la collection photographique de Galliera, elle cherchait un fil conducteur qui ne soit pas celui de la mode. Plongée dans le fonds du musée, fouillant, dépouillant les photos de mode, les unes après les autres, elle se souvient : « Je me suis retrouvée face à des femmes, des femmes, des femmes. C’étaient elles, mon fil rouge. » De là, elle dit s’être « payée le luxe de faire une exposition non exhaustive ».
La sélection a du bon. Dans un environnement gris et tamisé, les numéros de Vogue côtoient les tirages de grands noms de la photo comme Valérie Belin, Helmut Newton, Erwin Blumenfled ou encore Henry Clarke-cher à Lécallier – tous disposés sur des coursives au mur afin d’éviter un accrochage trop classique. Ici, on a préféré mettre en avant le côté brut des caissons en métal utilisés par les musées pour leurs réserves. Déjà aperçus lors de l’exposition Balenciaga, ces grands box accueillent aujourd’hui mannequins en 3D et écrans plats diffusant des vidéos en boucle.
Résultat : à côté d’une robe Balenciaga, Cristobal himself retouche, aiguilles en main, un modèle sur un mannequin. Chaque pièce choisie a quelque chose à dire. Le petit film de Pierre-André Boutang intitulé Des filles à l’heure nous fait osciller entre éclat de rire et haut le coeur : l’image, presque fixe, filme la vitrine d’une agence de mannequin dans les années 60. Mais c’est la voix qui trouble, celle qui cherche à « vendre » ses modèles : « C’est une des très fraiches que vous aimez bien, dans les blondes. Je vais essayer de vous mettre celle que vous appelez la petite gitane ». La mode est un commerce comme les autres, oui. « Le fonctionnement est sûrement le même aujourd’hui mais on aurait pas les sons, on ne les a pas d’ailleurs » sourit la commissaire de l’exposition.
En avançant, on croise aussi quelques icônes qui ne sont elles non plus, pas là par hasard. Veruschka, incontournable top des années 60-70, fumant une cigarette, aujourd’hui, sous nos yeux : « J’ai voulu montrer que les mannequins ne restent pas éternellement jeunes et acquièrent une autre forme de beauté » précise Lécallier.
Elle, n’a pas beaucoup changé depuis sa toute première apparition, dans les années 90. Sur ce cliché de Kate Moss shootée à 15 ans par Corinne Day, difficile de ne pas s’arrêter. Pas juste parce qu’elle ressemble étrangement à la Kate d’aujourd’hui – même taille, même silhouette – mais parce que l’image en elle-même a marqué un tournant à l’époque. « C’était pour un sujet dans le magazine The face. La photographe a pris le contrepied total de la photo de mode qui représentait alors une sorte d’idéal féminin, très apprêté. Ici, elle est très naturelle et porte des vêtements qu’ils sont allés chercher aux puces ».
Une mise en scène d’un genre nouveau, qui ne disait pas vraiment son nom et tranche avec celle très stylisée des défilés. Au lieu de présenter sa collection en 2011, le couturier anglais Gareth Pugh avait invité la presse à visionner un film qu’il avait pris soin de réaliser. Dans cette vidéo mécanique, montée très cut – qui rappelle les séances photo saccadées, épuisantes à regarder – un seul mannequin enchaine toutes les tenues d’un défilé, en l’espace de quelques minutes. Voilà pour le show. On est loin de l’âge d’or de la mode où Peter Lindbergh réalisait le catalogue Comme des Garçons et dont une des photos est tirée ici presque grandeur nature.
Alors, qu’on regrettait ce temps-là, en se dirigeant vers la sortie de l’exposition, on apercevait des petits tirages qui semblaient avoir la fragilité de leurs sujets. Affichés les uns à côté des autres ils étaient signés de l’allemand Juergen Teller. Pendant un an, il avait shooté toutes les jeunes filles venues, envoyées par leurs agences, se faire photographier pour un casting. Fasciné et effrayé par le pouvoir qu’il pouvait exercer en tant que photographe sur ces wannabe model vulnérables et bourrés d’espoir, il en avait fait un livre (Go-Sees). Sur ces photos de 1998-1999, les jeunes mannequins semblent plus jeunes encore que celles d’aujourd’hui. A moins que notre œil se soit habitué aux nouveaux canons de beauté?
Lisa Vignoli
Le corps de la mode
jusqu’au 19 mai
34 quai d’Austerlitz Paris 13ème
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