![](/wp-content/thumbnails/uploads/2016/06/mannequinh604-tt-width-470-height-314-crop-1-bgcolor-000000-nozoom_default-1-lazyload-1-except_gif-1.jpg)
Alors que la Fashion Week homme de Paris a débuté hier, les Inrocks se sont intéressés aux salaires des mannequins. Le mannequinat est l’un des rares domaines où les femmes sont mieux payées que les hommes.
Le mannequinat, avec l’industrie pornographique, est l’un des seuls métiers au monde où les femmes peuvent se vanter de gagner plus que les hommes. Elles gagnent entre deux et dix fois plus que leurs homologues masculins, à tous les niveaux de salaire. D’après le classement des dix tops les plus riches de l’année publié par le magazine Forbes, Gisèle Bündchen explose les compteurs, avec plus de 45 millions de dollars gagnés au cours des douze derniers mois. Kate Moss arrive en deuxième position avec 9,2 millions de dollars, et Natalia Vodianova en troisième avec 8,6 millions. Sur la dernière marche du podium : Candice Swanepoel, une Sud-africaine de 23 ans qui a empoché 3 100 000 euros l’an dernier. Quant aux mannequins hommes les mieux payés du monde, ils plafonnent à 500 000 dollars… et sont totalement inconnus du grand public.
Dans l’esprit du quidam, le mannequin attise tous les fantasmes : il boit du champagne au petit déjeuner, tutoie les stars dans les soirées branchées – eh oui, il est lui-même une star ! – et ne sort jamais sans son chauffeur. Bref, il gagne des millions et se vautre dans le luxe. Dans la réalité, le mannequin est une femme bien plus souvent qu’un homme, et ne gagne pas autant qu’on l’imagine. En 2007, marketwatch.com plaçait même le mannequinat à la huitième place de son palmarès des pires professions.
« Quelques individus réussissent très très bien, observe Frédéric Godart, sociologue spécialiste de la mode. Mais le reste n’arrive pas à en vivre. C’est un système ‘winner take all’. Il y a beaucoup d’appelés pour peu d’élus. » Selon ses estimations, l’élite mondiale des mannequins se limite à 4 000 personnes. Dans le milieu, on les appelle les « money makers ».
Des revenus aléatoires
Difficile de savoir combien sont payés les mannequins. Les agences n’aiment pas beaucoup communiquer là-dessus, et de manière générale, le milieu de la mode ne fait pas preuve d’une grande transparence quand il est question d’argent. « Il nous est difficile de donner une fourchette de prix, tant les tarifs diffèrent d’un mannequin à l’autre. explique Nathalie, directrice d’agence. C’est un peu comme les acteurs, ça dépend de la notoriété. » Un défilé peut être payé entre 150 et 800 euros pour un homme, quand une femme touchera au minimum 1500 euros. Si les mannequins construisent leur prestige avec les défilés, les campagnes de publicité payent le plus – en partie parce que les mannequins touchent des droits, qui peuvent rapporter gros. Là encore, les femmes gagnent systématiquement plus que les hommes. « Dans une publicité pour des vêtements masculins, le mannequin femme sera mieux payé que l’homme, même si c’est lui qui a le rôle principal« , note le sociologue Frédéric Godart.
![](/wp-content/thumbnails/uploads/2016/06/defile-tt-width-470-height-314-crop-1-bgcolor-000000-nozoom_default-1-lazyload-1-except_gif-1.jpg)
Paul [le prénom a été changé], mannequin de 26 ans qui « marche plutôt bien », nous a ouvert son porte-monnaie. En 2011, le mannequinat lui a rapporté 30 000 euros, pour quelques journées de travail par mois. Mais il a déjà été payé 60 euros pour un défilé. Le dédommagement en vêtements est également une pratique courante, notamment à New York. « Il faut apprendre à anticiper, car les revenus sont très aléatoires« , résume Paul. Un gros contrat de plusieurs milliers d’euros peut être suivi d’une longue période de disette. La plupart des mannequins se trouvent finalement dans une situation plutôt précaire. Les revenus sont suffisants pour ceux qui comptent financer leurs études ou arrondir les fins de mois avec le mannequinat. Mais ceux qui veulent percer dans le métier ne parviennent bien souvent pas à en vivre, et se résignent à prendre un deuxième boulot.
D’autant que les agences se servent une large part du gâteau : les deux-tiers environ de la somme payée par le client. Alors que le mannequin finance toute sa communication : constitution du book, impression des photos et des composites (cartes de visite) sont à sa charge. Et quand il est demandé à l’étranger, il n’est pas rare qu’il paye de sa poche le transport et le logement. Chaque mannequin dispose d’un compte géré par son agence : cette dernière lui avance tous les frais… et attend le pactole. Paul se souvient ainsi d’un voyage de plusieurs semaines à New York, dont il était revenu les poches vides – ses cachets couvraient à peine ses dépenses sur place. Les mannequins ne peuvent jamais savoir combien ils vont toucher pour un contrat.
Question de genre
Comment justifier les énormes différences de salaires entre hommes et femmes dans le mannequinat ? Pour Frédéric Godart, le genre est au cœur du sujet : « C’est une question de normes culturelles. La différence de salaire repose là-dessus. » Des représentations sociales qui remontent au début du XIXe siècle, selon le sociologue.
« Avant, hommes et femmes utilisaient l’apparence de la même façon. Au début du XIXe siècle, un grand changement s’opère au sein de la bourgeoisie. Côté homme, la valeur travail l’emporte sur l’oisiveté. Le vêtement masculin se simplifie : c’est l’apparition du costume sombre-cravate. L’homme reste en retrait, quand la femme exprime la richesse du couple : elle est très bien habillée, porte des parures. »
Deux cents ans plus tard, nos représentations sociales reposent encore sur cet héritage. Au genre féminin, on associe l’apparence et la passivité, tandis que la masculinité est synonyme d’action. On retrouve ces normes genrées dans les attitudes demandées aux mannequins : « Les hommes doivent être naturels, on n’aime pas quand ils minaudent. Alors qu’on demande aux femmes de poser, de jouer« , constate Frédéric Godart. Dans ces conditions, satisfaire le photographe – et le client – demande tout de suite beaucoup plus de travail… Les femmes subissent beaucoup plus de pression que les hommes. « C’est sans commune mesure avec ce qu’on demande à un homme. Malgré tout, la différence est injustifiée, ajoute le sociologue. Mais c’est vrai pour toutes les autres professions, dans l’autre sens. »
La mode, cette industrie réservée aux femmes
Les inégalités de salaire dans le mannequinat s’expliquent également par des mécanismes d’offre et de demande. La mode demeure une industrie qui s’adresse en priorité aux femmes. Aux Etats-Unis, comme en France d’après Frédéric Godart, les trois quarts des mannequins sont des femmes. Pour Lala, bookeuse pour l’agence Marylin, la création homme n’en est qu’à ses balbutiements :
« La mode masculine n’est pas grand public, elle reste réservée à une élite. Même si elle commence à se développer, avec des marques comme The Kooples par exemple. De la même manière, il n’y a pas vraiment de marque de cosmétique pour homme. »
Même constat pour Nathalie, directrice d’agence : « Le marché est en train d’évoluer. Les hommes font plus attention à eux. » Ils consomment en effet de plus en plus de cosmétiques. La création pour hommes serait même « le » marché porteur du moment. Une perspective plus qu’intéressante pour la mode et ses industries connexes (cosmétiques, luxe, etc.), puisqu’elle leur permettrait de doubler leur marché.
Vers une convergence des salaires ?
Pour autant, il n’est pas dit que les salaires des hommes suivent la tendance. N’en déplaise au mannequin anglais David Gandy, qui réclame une convergence des salaires. « Dans la hiérarchie d’un photoshoot, vous avez le photographe, le mannequin femme, les stylistes, les assistants, et enfin le mannequin homme. C’est le dernier des derniers. Nous essayons de changer cela« , avait-il déclaré au Sunday Times Style en janvier 2011.
« Il faudrait qu’il y ait une convergence homme/femme dans la réalité, analyse le sociologue Frédéric Godart. Mais tant que la structure réelle de la société ne change pas… Or, toutes les études le montrent, les droits des femmes ont tendance à régresser. » Bookers et mannequins se résignent à admettre que, malgré le développement de la mode masculine, les salaires ne sont pas près de s’équilibrer.
Anne Royer