Nous avons recueilli quatre témoignages, vus de l’intérieur de la Turquie, des affrontements actuels entre la police et les opposants au Premier ministre turc Tayyip Erdogan.
Gokçe Algan 28 ans, chargée des relations publiques dans une agence de communication à Istanbul.
« Le vendredi 31 mai, nous nous sommes données rendez-vous avec une amie à Osmanbey et nous nous sommes mêlées à la foule qui s’était réunie à Harbiye. Notre but était d’aller rejoindre nos amis qui se trouvaient sur Taksim. Dans la foule, j’ai pu distinguer des étudiants, des femmes qui criaient avec une timidité qui montrait que c’était la première manifestation de leur vie, des personnes qui se penchaient depuis leurs fenêtres pour soutenir la foule… Mais nous avons été attaqués par les forces de police au gaz lacrymogène. Nous étions préparés à ce type de représailles de la part des forces de l’ordre, donc on s’est encouragés les uns les autres afin de continuer à marcher.
La police a bombardé la foule de gaz jusqu’à ce que les gens ne voient plus rien, que personne n’arrive à respirer. Lorsqu’on m’a mis du jus du citron sur le visage, je me suis aperçue que mon amie n’était plus à mes côtés, que je n’arrivais plus à voir. J’ai essayé de trouver mon chemin dans la brume. À ma gauche, à environ un mètre, j’ai aperçu un véhicule blindé et, sans avoir le temps de me protéger, j’ai été projetée par terre par l’eau colorée envoyée avec une violente pression. Quand j’ai essayé de me relever, j’ai reçu une deuxième projection d’eau. J’avais un mal de tête insupportable, je ne voyais plus rien et, avec l’espoir de trouver un endroit pour me réfugier, je frappais aux portes en criant ‘au secours’. La voix des policiers résonnait derrière moi : ‘Les putes !’
Une fille m’a pris par la main et m’a entraînée, et par le plus grand des hasards, j’ai retrouvé mon amie égarée dans la foule. On ne pouvait plus respirer tellement il y avait de gaz. Heureusement, un concierge nous a ouvert ses portes et on est descendues chez lui. J’étais trempée jusqu’aux os, je ne sentais plus mon côté gauche. J’avais du mal à enlever ma chemise pour la remplacer par celle de mon amie, et c’est là que je me suis rendu compte que mon os était sorti de mon épaule.
Mon amie et les gens qui se trouvaient avec moi dans cet appartement sont sortis pour nous appeler une ambulance. Je n’en pouvais plus, je ne pouvais pas prendre le risque de marcher à pied jusqu’à l’hôpital et de me faire tabasser une autre fois. J’ai attendu en grelottant. J’ai donc pris la route en ambulance pour aller aux urgences de Sisli Etfal. J’avais un traumatisme crânien, un os cassé, un œil bleu, des os abîmés, et je devais me faire opérer.
Si quelqu’un se pose encore des questions sur le comportement des forces de l’ordre turques, faites un tour aux urgences pour constater l’état dans lequel se trouvent les jeunes manifestants. »