Christophe Castaner a dénoncé “une attaque” de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière par des manifestants, en marge du cortège parisien du 1er mai. Une trentaine de personnes ont été placées en garde à vue. Mais des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent une scène bien différente…
Les manifestants ont-ils pris un hôpital pour “cible” ou, au contraire, ont-ils fui les gaz lacrymogènes ? Au lendemain de la manifestation du 1er mai qui a réuni environ 40 000 personnes à Paris, les versions s’affrontent pour déterminer les véritables raisons de l’intrusion dans l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. L’incident s’est soldé par la garde à vue d’une trentaine de personnes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mercredi 1er mai, soir : premières réactions outrées
Les premières réactions du gouvernement ont été particulièrement violentes à l’égard des manifestants. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, dénonce “une attaque”. “Comment les manifestants ont-ils pu violer un hôpital ?” renchérit la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, mercredi soir sur BFMTV, pour décrire l’intrusion dans cet hôpital du XIIIe arrondissement de Paris.
La directrice de l’hôpital, Marie-Anne Ruder, livre sa version des faits à franceinfo : “Le dispositif de sécurité m’a prévenue vers 16 heures que des manifestants essayaient de forcer la grille. Quand je suis arrivée, les chaînes avaient cassé et des dizaines de personnes se sont introduites à ce moment-là dans l’hôpital”. Marie-Anne Ruder a déclaré avoir tenté de dissuader les manifestants de rentrer dans l’hôpital, sans succès selon elle. “La discussion n’était pas possible, avec une certaine agressivité et violence verbale de la part de certaines des personnes qui étaient là”. Elle aurait alors contacté les forces de l’ordre.
Une fois dans l’enceinte de l’hôpital, les manifestants auraient tenté de pénétrer dans le service de réanimation. Les personnes “se sont précipitées en montant un escalier, en passant une passerelle vers le service de réanimation chirurgicale”, a décrit le directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, sur BFMTV. Il précise que les vidéos de surveillance “édifiantes” seront transmises à la police, affirmant qu’on “est passé au bord d’une catastrophe« .
Jeudi 2 mai, matin : riposte des manifestants à l’aide de vidéos
Face à ces discours catastrophistes, les manifestants ont, à leur tour, livré leur version des faits : certains affirment qu’il ne s’agit pas d’une attaque mais que l’hôpital a joué un rôle de refuge pour se protéger des forces de l’ordre.
Un peu avant 16 heures, le cortège se trouve arrêté “au niveau de l’église Saint-Marcel” – en face de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière – par les forces de l’ordre et leurs canons à eau, selon plusieurs témoignages émanant des réseaux sociaux. Les manifestants se seraient alors entassés au fur et à mesure sur le boulevard de l’hôpital.
Un témoignage recueilli par le journaliste David Dufresne indique qu’après une demi-heure d’attente, les forces de l’ordre auraient lancé des gaz lacrymogènes dans la foule “alors que nous sommes calmes, qu’il n’y a pas de casse, et que je ne vois pas de heurts”, précise Quentin, le témoin.
allo @Place_Beauvau – c'est pour un signalement – 746 (précisions 9)
Témoignage de Quentin, manifestant, 15 minutes avant #PitiéSalpêtrière, qui raconte la nasse bd de l'Hôpital#PitiéSalpêtrière, Paris, #1erMai, source courriel pic.twitter.com/NGmPJTPIq2
— David Dufresne (@davduf) May 2, 2019
Plusieurs internautes livrent une version semblable : “On était en pleine nasse ultra-gazée et super-compacte quand j’ai vu des personnes apeurées se réfugier partout où elles pouvaient, dans la cour de l’hôpital de la Salpêtrière, la petite église à côté, l’université, et moi dans une petite résidence pour fuir les CRS et la lacrymo”, raconte Fatima Benomar, militante féministe et porte-parole des efFRONTé.es, dans un post Facebook.
A ce moment la chronologie exacte de l’épisode est difficile à retracer : quand les forces de l’ordre sont-elles entrées dans l’enceinte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière ? Avant ou après la tentative d’intrusion dans le service de réanimation ?
Les vidéos de témoins montrent, en tout cas, une arrivée musclée. “J’ai vu ces manifestants à l’entrée de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière qui voulaient se réfugier parce qu’une colonne de CRS arrivait par le haut du boulevard”, témoigne une source anonyme au journaliste David Dufresne qui affirme avoir filmé la scène aux alentours de 16 heures.
http://twitter.com/davduf/status/112371793165599539
Dans une autre vidéo d’un témoin, un jeune homme, visiblement dans l’enceinte de la Pitié-Salpêtrière, s’amuse de la situation : « Tu imagines ce que ça donnerait [dans les médias] ‘La population civile obligée de se mettre à l’abri dans un hôpital contre la répression’?« On voit ensuite les forces de l’ordre arriver des deux issues. « Salpêtrière on se fait évacuer » crie un manifestant. « Arrêtez, on ne sait pas où aller » supplie un autre aux forces de l’ordre.
Des soignants contredisent la version des pouvoirs publics
Interrogés jeudi 2 avril matin par BFMTV, des soignants démentent qu’il y ait eu des “débordements”. Ils confirment que les manifestants tentaient de s’introduire dans le service réanimation, mais selon un infirmier, ils n’étaient pas hostiles et “fuyaient quelque chose”.
Pitié Salpêtrière : les manifestants "fuyaient quelque chose" selon un infirmier pic.twitter.com/wVifuO2xMx
— BFMTV (@BFMTV) May 2, 2019
Sa collègue, aide-soignante également présente au moment des faits, assure : “On ne s’est pas senti en danger plus que ça. […] L’effet de masse a été une surprise au début, mais très vite ils ont été à l’écoute. Certains ont tenté de calmer le jeu.”
Pitié Salpêtrière : "On ne s'est pas senti en danger plus que ça" (aide-soignante) pic.twitter.com/kO32nXcWs2
— BFMTV (@BFMTV) May 2, 2019
Des vidéos, filmées de l’intérieur du bâtiment, démontent l’idée d’une “attaque” et diffusées dans le courant de la journée du jeudi. On y voit l’équipe de soignants du service réanimation observant la scène sur une terrasse. Alors que les forces de l’ordre chargent, les manifestants fuient sur l’escalier menant à la terrasse. Les soignants rentrent dans le bâtiment et bloquent la porte. “Vous ne pouvez pas venir ici, c’est la réa !” répètent-ils.
Alors que les forces de l’ordre les font descendre, un manifestant, vraisemblablement terrorisé, tente de passer en force dans l’hôpital, sans succès. La vidéo se termine sur la conclusion d’un soignant. “C’est la faute des CRS. Ils les ont pris en tenaille, la seule issue c’était ici.”
allo @Place_Beauvau – c'est pour un signalement – 746 (précisions 19)
L'instant T, vu depuis le service de réanimation #PitiéSalpêtrière. Manifestants poursuivis par FdO, qui fuient. Pas d'agressivité. Extrait 1/2
Paris, #1erMai, source: https://t.co/RaHsEoSfYy pic.twitter.com/xIIMocw4MH
— David Dufresne (@davduf) May 2, 2019
Alors que la directrice de l’hôpital décrivait à franceinfo des “gens en civil, des gilets jaunes et des gens masqués donc de type black blocs”, un infirmier la contredit fermement. “Aucune personne n’avait le visage masqué ou cagoulé”, a-t-il déclaré à BFMTV.
Agnès Buzyn se montre plus prudente
Arrivée sur place, jeudi 2 mai au matin, Agnès Buzyn est revenue sur ses propos de la veille. Elle reconnaît qu’“il n’y avait pas de dégâts” au service réanimation, et dit ne pas être au fait d’autres dégradations à l’hôpital comme l’avait indiqué un médecin à BFMTV. Elle refuse également de qualifier “d’attaque” cette intrusion, contrairement à Christophe Castaner. La ministre de la Santé a également annoncé qu’une enquête était en cours.
Jean-Luc Mélenchon sur l'intrusion de la Pitié-Salpêtrière: "Personne n'a attaqué cet hôpital" pic.twitter.com/UrWEe1z24a
— BFMTV (@BFMTV) May 2, 2019
Pour autant, le mal est déjà fait. Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, a accusé le ministre de l’Intérieur de mentir. Sur les réseaux sociaux, les théories sur l’intrusion de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière vont bon train. La manifestante, Fatima Benouar s’est interrogée sur Facebook sur la raison qu’avaient eu les forces de l’ordre pour avoir, dit-elle, arrêté le cortège à cet endroit : “Pour recréer des images comme en 2016 d’un hôpital agressé ?”, demande-t-elle, en référence à l’épisode du 1er mai 2016 où l’hôpital Necker, à Paris, avait été vandalisé. Selon les autorités ces dégradations étaient dues à une “horde” de casseurs, mais plusieurs journalistes avaient plutôt indiqué un “acte isolé” d’un seul manifestant masqué, en recoupant témoignages et vidéos. Jeudi soir, le parquet a annoncé que le procureur de la République a pris la décision de lever l’ensemble des gardes à vue.
Article mis à jour le 2 mai à 15h47 (ajout de la vidéo du point de vue des soignants de réanimation) et à 20h45 (ajout de la levée de la garde à vue)
{"type":"Banniere-Basse"}