Pressenti pour reprendre les commandes du géant des VTC, Dara Khosrowshahi peut-il empêcher Uber d’aller droit dans le mur ? Entre la restauration de l’image de marque de l’entreprise, les assauts de Google ou encore la gestion des mauvais chiffres, le futur ex-patron du voyagiste Expedia a plutôt intérêt à en avoir sous le capot…
Après des semaines de spéculations et de tractations placées sous haute tension, le conseil d’administration d’Uber semble enfin avoir trouvé son (potentiel) sauveur. Dara Khosrowshahi, le PDG d’Expedia, vient d’être choisi pour prendre le volant du mastodonte des véhicules de transport avec chauffeur. Une nomination qui tombe à pic : l’entreprise était en effet sans pilote depuis juin dernier, alors que Travis Kalanick, son ancien PDG et cofondateur avait été écarté pour des comportements inappropriés allant du sexisme au harcèlement.
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Si les noms de Meg Whitman, à la tête de Hewlett Packard Enterprise, ou de Jeff Immelt, ancien patron de General Electric ont circulé, c’est finalement le dirigeant du numéro deux mondial du voyage en ligne qui a raflé la mise. Même si le transfert reste encore à officialiser, « Dara Khosrowshahi s’est vu proposer la direction d’Uber. Rien n’a encore été finalisé mais (…) je pense qu’il a l’intention d’accepter. (…) Je sais que Dara aimerait communiquer avec vous tous mais je lui ai demandé de ne pas le faire tant que tout n’est pas réglé« , a écrit le président du conseil de surveillance Barry Diller dans un courrier aux salariés d’Expedia et envoyé à la SEC, gendarme de la bourse américaine.
Travaux d’Hercule
L’homme d’affaires irano-américain semble prendre le temps d’étudier la proposition. Et grand bien lui fasse : prendre les rênes d’Uber n’a rien d’une sinécure. Et tend même davantage des douze travaux d’Hercule, enfin, de quatre plus précisément.
Avant toute chose, Dara Khosrowshahi doit s’atteler à redorer le blason terni de l’entreprise, éclaboussé par de nombreux scandales. Entre les affaires de harcèlement sexuel et les virées dans un bar à escorts en Corée du Sud, Uber est désormais réputé pour adopter une culture d’entreprise sexiste favorisant la discrimination. Point culminant, les révélations d’une ex-employée en février dernier accusant le patron-fondateur d’Uber, Travis Kalanick, de harcèlement sexuel et comportement sexiste. Les investisseurs, inquiets, auront finalement raison de lui en le poussant vers la sortie. Manifestement dysfonctionnelle, l’entreprise a vu la confiance de ses salariés se réduire comme peau de chagrin. Instaurer un sentiment de sécurité et de bienveillance s’impose alors comme point de départ de la mission « économico-commando » du futur PDG.
Après avoir reconquis les salariés, Uber devra s’occuper de la matière première de son entreprise : ses chauffeurs. Entre eux et la firme, le torchon brûle depuis un long moment. Pour preuve, cette altercation filmée entre Travis Kalanick et un chauffeur en mars dernier. Alors que le conducteur confesse ses problèmes financiers, le chef d’entreprise, plutôt que de se montrer rassurant ou de lui proposer des solutions, se contente de lui faire la leçon.
Un dialogue de sourds qui ne passe pas auprès du grand public, mais qui révèle surtout la précarité des chauffeurs VTC, certains travaillant jusqu’à 60 heures par semaine pour pouvoir vivre correctement. D’autant plus que « Uber a tout intérêt à retrouver la confiance de ses chauffeurs à la fois parce qu’ils constituent la ‘manne économique’ et parce qu’ils sont l’interface avec les clients et principaux porte-paroles de la marque », rappelle Natalie Maroun, analyste des médias au sein de l’Observatoire international des crises. Néanmoins, l’entreprise a récemment fait un petit effort en s’alignant sur son concurrent Lyft et permet désormais de laisser un pourboire au chauffeur. Mais restent de nombreuses questions à éluder concernant les frais ou la protection sociale…
Principal objectif : remplir le tiroir-caisse
Autres préoccupations, et pas des moindre, celles qui concernent les voitures autonomes, synonyme de prodigieuses économies pour Uber. Pour arriver à ses fins, la start-up a débauché des chercheurs de Carnegie Mellon et racheté Otto, société spécialisée dans les véhicules autonomes. Sauf que Waymo, aujourd’hui filiale de Google, voit cette transaction d’un mauvais œil et accuse Uber de lui avoir dérobé des brevets. Le dossier est actuellement entre les mains de la justice.
Quoi qu’il en soit, la technologie est encore loin d’être prête à la commercialisation. Les véhicules testés à Pittsburgh ont souvent besoin d’une intervention humaine. A San Francisco, elles ont même commis plusieurs infractions. Faut-il croire au projet et doubler la mise ou arrêter les frais tant qu’il en est encore temps ?
Surtout que chez Uber, dire que les fonds ne coulent pas à flot serait un doux euphémisme. Il faut tout de même le rappeler : l’ultime défi du futur patron reste de gagner de l’argent. Uber, qui n’est pas coté en bourse, est évalué à près de 70 milliards de dollars. Certes, l’entreprise investit mais perd aussi beaucoup en contrepartie. Si bien que cette année, la société de VTC a fait état d’une perte nette de 645 millions de dollars. Dara Khosrowshahi va nécessairement devoir rassurer les investisseurs actuels et présenter un plan capable d’emmener Uber jusqu’à Wall Street.
L’homme de la providence
Bref, la société Uber nous fait le coup de la panne mais n’est pas forcément déjà bonne pour partir à la casse. En effet, Dara Khosrowshahi, PDG providentiel, n’en est pas à sa première mission sauvetage. Ce businessman de 48 ans a su mettre en avant un excellent bilan aux commandes d’Expedia, l’un des plus gros voyagistes en ligne au monde, dont il a pris les commandes en 2005. En douze ans, il a transformé l’entreprise de Seattle en poids lourd du voyage en ligne, talonnant de près Priceline, le numéro un du secteur (Booking.com, Kayak…). « M. Khosrowshahi est un ‘bon choix’ car c’est le seul (des candidats évoqués plus haut) qui quitte son entreprise à un sommet« , estime l’analyste Trip Chowdry, de GlobalEquitiesResearch.
Grâce à des acquisitions (HomeAway, Orbitz) et stratégies réfléchies, le chiffre d’affaires de l’entreprise de 20 000 salariés a quadruplé en onze ans, pour finalement atteindre 8,7 milliards de dollars en 2016. Plus fort encore, le chef d’entreprise a créé un modèle solide et rentable, permettant à la firme de récolter 282 millions de dollars de bénéfices en 2016. De quoi faire rêver Uber qui accumule les pertes depuis… sa création, en 2009. Le géant des VTC aurait ainsi besoin d’un « PDG magicien, et je ne crois pas que Dara (Khosrowshahi) soit un magicien« , note Trip Chowdry. Une chose est sûre, aussi doué soit-il, pour être à la hauteur, Dara Khosrowshahi va devoir mettre du tigre dans son moteur.
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