Le 7 juillet, Malala Yousafzaï s’est inscrite sur Twitter, alternant des tweets politiques et ses histoires de lycéenne tout juste diplômée. Depuis, les objectifs de la plus jeune lauréate du Prix Nobel de la Paix, pour sa lutte pour l’éducation des femmes, sont loin d’être clairs : lance-t-elle sa campagne électorale pour des élections pakistanaises, ou est-ce un simple coup de tête ?
« Hi, Twitter ». C’est avec ce simple tweet que Malala Yousafzaï a fait son entrée sur le réseau social, le 7 juillet dernier. Depuis, la ligne suivie par la jeune Pakistanaise reste très floue. Elle alterne entre les posts légers d’une jeune ado de 20 ans, sur son dernier jour au lycée, un Gif d’auto-tamponneuses, des encouragements au tennisman Roger Federer, et des messages politiques, comme ceux au gouvernement Irakien ou Colombien.
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Elle lance au même moment un hashtag qui fait sens : #GirlPowerTrip. La lauréate du Prix Nobel de la Paix en 2014, pour sa lutte pour l’éducation des filles, décide ainsi d’entamer un vrai voyage à travers le monde pour partager l’histoire des femmes déscolarisées. Bizarrement, cela coïncide au moment où Malala fête ses 20 ans, et termine donc ses années d’ado. « Malala est en mission », titre alors le site de sa Fondation, Malala Fund. Elle part à la rencontre de ses fans, tweete à chaque déplacement, et fait des propositions de réformes de lois… exactement comme un candidat en campagne électorale.
Hi, Twitter.
— Malala Yousafzai (@Malala) July 7, 2017
Good luck to @rogerfederer at #Wimbledon! #19 🎾🙌
— Malala Yousafzai (@Malala) July 16, 2017
Le journal intime d’une ado
Et s’il ne s’agissait que d’un simple coup de tête d’une ado ? C’est ce que pensent beaucoup d’internautes, dont certains se sont même demandé ce qu’elle faisait sur la twisttosphère : « Personnellement, j’ai été surprise qu’elle ait rejoint Twitter et je me demande qui l’a conseillée. Je ne pense pas que quelqu’un de sa stature en ait besoin. Peut-être que Malala a terminé l’école et qu’à vingt ans, elle veut expérimenter soi-même les réseaux sociaux », regrette Bina Shah, une écrivaine et blogueuse pakistanaise très active sur Twitter, qui vit à Karachi, la capitale.
Depuis son plus jeune âge, Malala est en effet un symbole : à 15 ans, elle survivait à une tentative d’assassinat par les talibans, sur le chemin de l’école. A 17 ans, elle recevait le Prix Nobel de la Paix, et obtenait autant d’encouragements de la part du couple Obama que des stars comme Angelina Jolie.
A quelques jours de ses 20 ans, elle faisait ses premiers pas sur le premier réseau mondial de communication politique, et cela suppose évidemment des intentions cachées pour une telle personnalité.
Malala semble gérer à la perfection l’art du community management : elle fait sa propre com’, et ne divulgue jamais trop sa vie privée, juste ce qu’il faut pour attiser l’engouement des followers.
#Nigéria la prix Nobel de la Paix, #Malala_Yousafzaï appelle le pouvoir à déclarer l'état d'urgence dans l'éducation https://t.co/uUHm3acPbb pic.twitter.com/zHdaUVxa70
— GéopolisAfrique (@GeopolisAfrique) July 19, 2017
Future candidate à l’élection présidentielle ?
Avec cette nouvelle activité 2.0, Malala refait surface à une période très précise : au Pakistan, le Premier ministre Nawaz Sharif pourrait être destitué par la Cour suprême, pour une affaire de corruption et d’enrichissement illégal. La bataille judiciaire pourra être longue, mais bouleverse déjà le paysage politique et l’avis des sympathisants. Surtout qu’au même moment, les partis politiques préparent déjà la prochaine élection présidentielle qui aura lieu dans moins d’un an. « J’ai l’impression que son projet a toujours été de devenir une personnalité politique. Elle reste jeune donc elle n’a peut-être pas l’envie de candidater à des élections maintenant, mais elle a désormais tous les outils médiatiques pour se lancer », analyse Virginie Dutoya, chercheuse au CNRS, spécialisée sur la représentation des élites politiques au Pakistan, et de la place des femmes.
Twitter lui servirait donc d’une vitrine de son activisme, pour préparer le terrain en amont. Pour être éligible à l’Assemblée nationale pakistanaise, Malala devrait en effet être au moins âgée de 25 ans, et de 45 ans pour la présidentielle. Pourtant, ni dans les médias, ni sur son blog, Malala n’a affirmé vouloir une carrière en politique. Cette nouvelle « mission » aurait pour unique but d’aider les 130 millions de femmes déscolarisées.
Une entrée passée inaperçue au Pakistan
L’engouement des internautes a été immédiat : son premier tweet a enflammé la toile en quelques heures seulement, en générant 273 000 likes et 56 000 retweets. Pourtant, son inscription soudaine a été beaucoup moins relayée dans son propre pays que dans les médias internationaux. « Ce n’est pas une grande nouvelle dans les médias pakistanais. Je n’ai presque pas vu d’articles en parler, ce n’est pas un événement majeur pour eux », avoue la spécialiste du Pakistan. Déjà, parce qu’une bonne partie des Pakistanais désapprouvent sa lutte. D’autres lui reprochent d’avoir quitté son pays natal pour l’Angleterre, pour échapper aux menaces de mort qui pèsent sur elle, ou encore d’être « instrumentalisée » par les médias internationaux.
Ensuite, parce que dans ce pays Twitter est beaucoup moins populaire que Facebook. « Twitter n’est pas forcément le média le plus indispensable à suivre quand on est politiquement engagé au Pakistan », appuie Virginie Dutoya. Ce n’est que très récemment qu’il est devenu indispensable pour les entreprises, les activistes ou même le Gouvernement et l’ISPR, le média des forces armées pakistanaises, qui s’en sert désormais pour faire des campagnes politiques.
Retrouver l’image d’une « femme », au lieu d’une « victime »
Twitter lui sert donc à une chose simple : montrer qu’elle est désormais « accessible ». Elle n’est pas que cet être « exceptionnel » avec un certain « aura », ni cette « activiste engagée » qui racontait son enfance difficile sous la domination des Talibans, sur son blog hébergé par la BBC. Ni la « survivante » qui a survécu à une balle dans la tête, lors d’une tentative d’assassinat par ces fondamentalistes musulmans. Elle n’est pas que « la plus jeune lauréate » du Prix Nobel de la Paix. C’est avant tout une jeune femme.
« En étant sur Twitter, on ne la voit plus comme une petite fille, une victime, ou une icône lointaine, c’est désormais une femme politiquement engagée, une vraie actrice de la lutte pour les droits des femmes », analyse Virginie Dutoya, spécialiste du Pakistan.
Désormais plus « humaine », Malala pourrait néanmoins avoir perdu sa particularité, cet « aura ». « J’aimais son côté « mystique », mais elle l’a peut-être perdu », déplore Bina Shah, qui craint qu’elle ne devienne une fille comme les autres.
On sent d’ailleurs un léger essoufflement dans ses derniers tweets : après des centaines de likes, ses publications n’en génèrent plus qu’une dizaine. « Twitter ne jouera pas en sa défaveur, il va renforcer la légitimité qu’elle avait déjà », certifie de son côté Vigirnie Dutoya.
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