Dans les trois campements de Paris, les conditions de vie ne cessent de se dégrader. Maladies respiratoires, dermatologiques et malnutrition sont légion. Les associations dénoncent une volonté étatique de faire pression sur les droits fondamentaux de ces gens pour les faire partir.
Assis sur un canapé déchiré, Amir* change ses chaussettes en veillant à ne pas poser le pied sur le sol jonché de détritus. C’est sa dernière paire. « Je n’ai pas pu prendre de douche depuis deux semaines, explique-t-il en laçant ses baskets rouges. Il faut au moins que j’ai des affaires propres, parce que si je veux trouver un travail, il ne faut pas que je sente mauvais. Mais si ça continue, dans un mois je vais forcément puer. »
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Cet Égyptien de 36 ans soupire en regardant devant lui. En enfilade, des centaines de tentes sont disposées côte à côte. Figées dans l’ambiance poisseuse de cette matinée ensoleillée. Il y en a de part et d’autre du canal Saint-Denis dans le Nord de Paris, sous chacun des quatre ponts qui l’enjambent, depuis la cité des Sciences côté porte de la Villette, jusqu’au centre commercial Millénaire un kilomètre plus loin. Sous ces ponts s’entassent environ 1 600 personnes.
2 400 hommes, femmes et enfants à Paris
Ministère de l’Intérieur et mairie ne cessent de se relancer la balle depuis des mois, laissant péricliter la situation dans trois camps parisiens qui n’en peuvent plus de grossir. Celui de la Villette et ses 1 600 personnes. Le plus vieux de la Porte de la Chapelle, à proximité du centre d’accueil de la capitale et du périph’. Et un dernier, en plein coeur du Paris branché, sur les bords du Canal Saint-Martin, collé au bar à concert le Point Éphémère. En tout, ils sont 2 400 exilés, hommes, femmes et enfants, originaires majoritairement d’Afrique et d’Afghanistan.
La semaine dernière, les ONG et les associations ont alerté les autorités via une pétition qui demandait « aux pouvoirs publics une opération de mise à l’abri humanitaire d’urgence garantissant un hébergement digne dans la durée, avec accompagnement social et sanitaire ».
Depuis, aucun changement visible dans les camps. Mise à part une petite pancarte à l’attention des exilés de la Porte de Villette placée près de l’unique point d’eau par des associations : « Attention, le camp sera évacué très prochainement. »
Evacuation imminente
Une réaction, à l’annonce du ministre de l’Intérieur qui s’est fendu d’un communiqué le 23 mai. Il y déplore une « situation qui se répétera indéfiniment si des mesures ne sont pas prises par les autorités locales pour éviter que les campements ne se reconstituent ». Il a néanmoins annoncé une 35e opération d’évacuation depuis 2015 « dans les plus brefs délais ».
ℹ️ Face à l'ampleur prise par les campements de #migrants à #Paris et pour remédier aux enjeux humanitaires, une nouvelle opération d'évacuation sera organisée dans les plus brefs délais. Il s’agira de la 35e mise à l’abri depuis 2015. pic.twitter.com/whQU6Nf5xz
— Ministère de l'Intérieur et des Outre-mer (@Interieur_Gouv) May 23, 2018
Pas plus de précisions quant aux suites de l’évacuation. « Je ne peux pas imaginer que le ministre de l’Intérieur ne fasse qu’une évacuation d’ordre policier, prévient Pierre Henry, directeur général de France Terre d’Asile, à l’origine de la pétition. La question de la mise à l’abri d’urgence est une question de dignité et d’humanité qui ne devrait pas se discuter. C’est une chose qui devrait être d’une grande banalité en République. » Pourtant, depuis de longs mois, la République reste aux portes de ces camps de la capitale où les conditions de vie ne cessent de se dégrader.
« Ici c’est le pire de tous »
Amir a échoué à la Villette il y a deux semaines. Comme lui, tous les jours, de nouvelles personnes viennent s’installer dans l’un des trois camps. Amir est d’abord allé à la porte de la Chapelle. « Mais c’était vraiment trop sale », se rappelle cet ancien ingénieur informatique en Egypte. Des compagnons d’infortune lui ont alors indiqué le Millénaire, ici à la Villette.
Comme la plupart des exilés qui campent à Paris, il veut rester en France pour « trouver du travail ». Lorsqu’il s’est installé, il est allé à la préfecture le lendemain pour déposer un dossier. « Mais je n’avais pas une pièce et il fallait des photos d’identité. Les photos ça coûte cinq euros. »
« En allant à Paris, j’étais plutôt confiant. La France est un grand pays, c’est le pays des droits de l’Homme, se souvient Amir. Quand je suis arrivé là, j’étais choqué. » En Europe depuis février dernier, il a pourtant traversé plusieurs pays, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Il a connu les campements et leurs conditions difficiles. « Mais ici c’est le pire de tous, souffle-t-il. Il n’y a rien. Ailleurs on a de quoi se laver, se doucher, manger. Ici tout est compliqué. »
Quand on lui demande s’il ne savait pas qu’en France, les conditions d’accueil sont déplorables, il hausse les épaules. « J’en avais entendu parler, mais pas à ce point là, murmure-t-il. Ici c’est mon dernier choix. En Egypte, j’ai deux enfants et une femme malade. Je ne peux pas revenir en arrière. On m’a dit qu’on pouvait plus facilement travailler ici qu’en Allemagne, que les gens étaient moins racistes. »
De la Libye à la Villette
Des centaines d’histoires comme celles d’Amir bruissent dans les camps parisiens. L’un d’entre eux rigole en expliquant son parcours. « Moi j’ai fait le tour de l’Europe. J’ai vu beaucoup de capitales. On vient tous de très loin. »
Abdi, lui, n’a pas envie de rire. Il a un sérieux problème au poumon d’après les papiers et les ordonnances qu’il lit à haute voix. « Personne ne m’aide », grince-t-il. La petite trentaine, adoucie par un sourire plein de dents et des oreilles décollées, il est parti de Somalie en 2015 et a voyagé pendant plus d’une année. Il est resté quelques mois en Libye. « Là bas c’est l’enfer, relate-t-il. Au début, ça allait. On travaillait dans les champs, ça se passait pas trop mal. Et puis, il y a des gens qui sont venus et qui ont essayé de nous traiter comme des esclaves. »
Il assure avoir vu des amis à lui se faire assassiner sous ses yeux ou être emmené par des négriers. Abdi pense ne s’en être sorti que parce qu’il était musulman. « Si on n’est pas musulman, on est foutu, décrit-il. Ils m’ont posé des questions sur la religion, j’ai pu répondre et ils m’ont laissé partir. » Il est ensuite arrivé en Allemagne, où il a déposé ses empreintes. Trois ans d’attente pour se faire finalement refuser l’asile. Alors il a tenté sa chance en France.
Maladies et conditions de vie
Lui non plus n’en revient pas des conditions de vie à Paris. « Je suis là depuis six jours et je n’ai jamais vu ça. » Dans le camp de la Villette, entre le troisième et le quatrième pont, il y a un seul point d’eau et quelques toilettes installées là mi-mars. « Je ne peux pas y aller, explique Amir. C’est trop sale. » Abdi hoche la tête. « Il y a beaucoup de maladie ici, c’est sûr qu’elles viennent de là. »
Il n’y a aucune douche disponible. « Et je pense qu’il n’y en aura jamais, déplore Louis Barda, coordinateur de Médecins du Monde (MdM) à Paris. Toutes les maladies présentes dans les camps sont liées à la précarité des conditions de vie. » Comme à Calais, MdM recense un grand nombre de problèmes dermatologiques, de maladies liées à la sphère ORL ou encore de problèmes gastriques dus à une mauvaise alimentation.
Un autre phénomène émerge depuis quelques mois. « En terme de santé mentale, il y a de vrais soucis, détaille Louis Barda. Ce sont des gens qui pour beaucoup ont traversé de nombreux pays, sont passés par la Libye, ont connu des exactions. Ils arrivent en se disant ‘je vais enfin être en sécurité’ et en fait ils se rendent compte qu’ils sont face à un mur administratif, à la violence des politiques de non-accueil. » De fait, à travers l’Europe et particulièrement en France, tout est fait pour les dissuader de venir et de rester.
Par exemple, une grande partie des personnes rencontrées sur le camp sont des « dublinés ». Tous sont assujettis à cette procédure qui veut que le premier pays où une personne dépose ses empreintes soit celui qui est « responsable », celui où elle est expulsée.
Mafia, passeurs et morceaux de shit
Face à ce désespoir, à cette promiscuité insalubre et au vide de l’Etat, la violence surgit dans les camps. Des mafias sont présentes. De Calais, certains passeurs se sont rabattus sur Paris d’après les associations. Parallèlement, un certain nombre de trafics se mettent en place.
« Il y a de la drogue qui circule dans les camps, explique Mohammed*, un Tchadien de 20 ans, présent depuis un mois à Paris. Il y a de la drogue dans tous les pays. Mais je trouve qu’il y’en a plus ici. Surtout à la Chapelle. » Des dealers vendraient contre quelques euros des boulettes de shit aux exilés désespérés. La précarité est telle qu’elle peut amener ces derniers à décompenser d’une façon ou d’une autre.
Un homme, poussé à bout, se serait immolé dans sa tente. Une autre personne, ivre, s’est noyée dans le canal il y a quelques semaines. « Certains d’entre eux décrochent et se marginalisent, explique Louis Barda, de MdM. Parce que plus ils avancent dans le temps, moins il y a d’espoir. »
« Mise en danger délibérée »
« Ce qui se passe à Paris est une mise en danger délibérée de ces gens, s’alarme Louis Barda. De nos équipes aussi. C’est extrêmement tendu. On n’a jamais vu une telle tension en trois ans. » Par exemple, chez MdM on explique être de plus en plus amené à soigner des blessures liées aux bagarres entre personnes à bout de nerfs. « C’est une volonté politique de ne rien faire », peste-t-il.
Quant à l’évacuation imminente promise par le ministre de l’Intérieur, les exilés mis au courant ne comprennent pas vraiment l’intérêt. « Ils vont casser toutes les tentes et ils vont faire quoi ? s’interroge Amir. Mettre tout le monde à la rue ? Tout le monde dit qu’on rend Paris sale, mais là ça sera un vrai problème. » Abdi, le Somalien, n’a plus grand espoir. « Au pire ils m’expulsent chez moi ? Tant mieux. Ici je vais mourir de maladie, là-bas je mourrais de bombardement. C’est pareil mais au moins je serai chez moi. »
« Tout cela va conduire à de nouveaux campements »
Pour les associations, cette expulsion va dans la mauvaise direction si elle n’est pas couplée à une mise à l’abri. « Il faudrait des structures régionales à travers tout le pays, dans toutes les grandes villes, exhorte Pierre Henry, de France Terre d’Asile. Un dispositif de premier accueil avec hébergement et accès à la procédure. » Même si tout cela ne réglerait pas le problème de Dublin.
Louis Barda de MdM est assez inquiet. « Avec les nouveaux dispositifs d’accueil, il y a un contrôle administratif sur la situation des gens. Ils vont refuser. Tout cela va conduire à de nouveaux campements. »
Amir, lui, ne sait pas trop quoi en penser. Il sourit tristement en se relevant. « Pour l’instant, je vais essayer d’aller charger mon portable. Ça aussi ça prend du temps. J’espère revenir avant ce soir. » Il est 11h du matin. On est à Paris.
*Les prénoms ont été modifiés
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