Même s’il en réfute l’étiquette, maître Xavier Nogueras a fait de la défense des jihadistes une spécialité. Amateur de rock, de théâtre et de soirées dans les bars, le jeune avocat assure, entre autres, la défense de Jawad, le logeur de Saint-Denis, et de Reda Kriket.
Ne l’appelez pas l’avocat des jihadistes, il déteste ça. “On peut dire ‘l’avocat des violeurs’, ‘l’avocat des braqueurs’ ou ‘l’avocat des assassins’, OK. Mais ‘l’avocat des jihadistes’, ça ne veut rien dire, se défend Xavier Nogueras, 35 ans, le sourire aux lèvres. Le jihad n’est pas une infraction d’après le code pénal. C’est une activité, un concept.” Ne vous fiez pas à sa bonhomie. Jamais avare d’une bonne vanne, ce grand gaillard, fan de rock et de théâtre, sait, quand il le faut, se montrer persuasif, limite intimidant. “Il a la personnalité de son physique”, témoigne Me Sanjay Mirabeau, son frère de conférence du stage du barreau de Paris (promotion 2013), la crème de la crème des jeunes orateurs du Palais de justice. “Y a un truc qu’il faut bien comprendre, prévient Xavier Nogueras en se redressant sur son fauteuil, les mains posées sur la table. Ce qu’on reproche à mes clients, c’est une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ils n’ont pas commis une infraction terroriste.” Il ajoute même, comme pour se défendre : “Quand on compte tous les dossiers que j’ai liés avec la Syrie, les terroristes, il y en a zéro.”
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Sélectionné à l’issue d’un concours d’éloquence
N’empêche. Depuis trois ans et l’explosion de “la problématique syrienne”, comme il l’appelle, Me Nogueras est partout, dès qu’il s’agit de jihadisme en France. Quitte parfois à se faire mal voir de la part de ses confrères. “A partir du moment où vous êtes un peu mis en lumière, vous êtes rapidement jalousé dans le microcosme des pénalistes”, confie Me Laguens, qui l’a précédé comme 11e secrétaire de la conférence. Chaque année, le barreau de Paris décide de confier la défense pénale des plus démunis et des cas les plus délicats en matière criminelle à douze jeunes avocats sélectionnés à l’issue d’un concours d’éloquence. En mars 2015, deux mois après la tuerie de Charlie Hebdo, il est du tandem d’avocats qui réussit à faire libérer, après trois mois de détention provisoire, deux jeunes originaires de Savoie, ex-jihadistes, revenus de Syrie. “Les gens qui partent là-bas sont appréhendés à leur retour sous l’infraction d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ça consiste à leur dire : ‘Vous partez là-bas, donc vous allez rejoindre des groupes terroristes et, si vous retournez sur le territoire français, vous êtes potentiellement dangereux”, explique-t-il dans son bureau sans charme aux murs beiges à deux pas du Panthéon.
« Maître, il ne faut pas faire d’amalgame”
Plutôt du genre à rouler des mécaniques, l’homme tombe de haut le soir du 13 novembre. “Ça a été très compliqué de continuer mon boulot”, admet-il. Comme beaucoup de Parisiens ce soir-là, c’est à moitié ivre, dans un bar de l’île de la Cité, qu’il prend connaissance de l’horreur et des 130 victimes des attentats de Paris. “Je suis parti en scooter et tout à coup je tombe sur deux flics armés jusqu’aux dents qui hurlent dans ma direction ’Barre-toi de là !’”, raconte-t-il en mimant la scène. Mais dès le lendemain, il reçoit ce SMS d’un client : “Ne vous inquiétez pas, je n’y suis pour rien. Je ne suis pas un terroriste. Maître, il ne faut pas faire d’amalgame.” C’est l’électrochoc : “A ce moment-là, j’ai compris la responsabilité qui allait être la mienne.”
Xavier Nogueras rebondit vite. En tandem avec sa consœur de la conférence, Me Cullin, il se retrouve avocat commis d’office de Jawad Bendaoud, le logeur d’Abdelhamid Abaaoud. “Médiatiquement, c’était pourri. Vous avez 70 millions de Français traumatisés par les attentats. Arrive l’assaut de Saint-Denis, avec ce type qui balance à la caméra : ‘Oh bah, je ne savais pas que c’étaient des terroristes.’ Bendaoud, ça a été la catharsis, une lucarne d’évacuation d’une haine profonde des Français.” En ce début d’année 2016, il est encore le premier avocat à faire annuler une assignation à résidence due à l’état d’urgence décrété par le gouvernement.
“Plus c’est violent, plus c’est crade, plus ça m’excite”
Qu’est-ce qui peut donc attirer celui qui, un jour, a réussi à faire passer, comme droit fondamental, celui de regarder des DVD porno en détention provisoire, dans la défense de jihadistes revenus de Syrie ? “Plus c’est violent, plus c’est crade, plus ça m’excite”, lance-t-il à la volée. Traduction quelques secondes plus tard : “Plus je suis en contradiction avec eux, plus ça m’intéresse. Je veux les comprendre. Nous avons quasiment un rôle d’éducateur. Ces jeunes doivent pouvoir se dire : ‘Toi tu es chrétien et tu peux me donner la main, tu aimes le rock et tu peux me donner la main. Je veux arriver à les ramener vers ce que je considère être un peu de mon humanité.”
Après avoir pris la défense de Jawad le logeur, Xavier Nogueras vient d’accepter d’aider son ami Me Bouzrou à défendre Reda Kriket, soupçonné de préparer une action terroriste “imminente”, après la découverte d’un véritable arsenal à son domicile. “Un dossier qui relève plus du banditisme que du terrorisme”, balaie Nogueras. Parfois, il l’admet, un lien particulier se crée entre son client et lui : “Je n’hésite pas à leur parler de mon ressenti du Bataclan et de ma génération qui est tombée sous les balles de types qui sont partis en Syrie comme eux.” “On peut lui reprocher d’être dans la mise en scène de lui-même mais à la différence de beaucoup de pénalistes, il garde une vraie sincérité. C’est quelqu’un d’à la fois théâtral et extrêmement authentique”, concède Me Cullin. Quitte parfois à choquer : “Ils ont une vision très manichéenne. Ils pensent que la vérité est là-bas et que nous avons tort. Derrière tout ça, il y a le religieux entouré d’un véritable engagement politique. C’est un vrai cocktail Molotov. Nous leurs disons qu’ils sont fous et eux pensent qu’ils sont résistants. N’oublions pas qu’en 1944, les résistants étaient aussi traités de terroristes.” Comprend-il que son message puisse avoir du mal à passer dans le contexte actuel ? “Bien sûr que mon discours n’est pas audible. Mais on ne peut pas les occulter. On ne fera pas avancer la société si on les résume simplement à des malades.”
Début de la médiatisation, en 2013, quand il défend Carlos
Même s’il s’en défend à demi-mot, Xavier Nogueras adore la lumière. Acte I : originaire de Grasse et végétant en fac de droit – son père, décédé, était juge d’instruction –, il débarque à Paris en 2006 pour “voir ce qu’il s’y passait”. C’est le coup de foudre avec la capitale. Il en troque même son accent du Sud-Est pour une gouaille de titi parisien qui fait mouche. Acte II : il tombe par hasard sur une séance de la conférence du stage. Ce “faux dilettante”, comme le considèrent beaucoup de ses confrères, bûche comme un fou. De son propre aveu, il a voulu faire partie de la conférence “avant même d’être avocat”. Il finit par intégrer la promotion 2013.
Entracte : début de la médiatisation. En 2013, aux assises en appel, il défend Ilich Ramírez Sánchez, aka Carlos. Pour le coup, un terroriste condamné. Débarque dans la salle l’ex-humoriste Dieudonné. Les deux mégalomanes se saluent le poing levé. “Je veux qu’il fasse le témoin de moralité”, commande son client. “Un moment surréaliste. Après plusieurs refus, le président accepte. Dieudonné s’avance : ‘Je connais très bien Carlos, je fais de la musique avec lui. C’est d’ailleurs lui qui m’a soumis l’idée de…’ Et là, il se met à chanter Show Ananas (une parodie de Chaud cacao d’Annie Cordy, que l’on peut lire “Shoah ananas” mais qui, selon Dieudonné, fait en réalité référence à de “Chauds ananas”, chanson inventée par le terroriste Carlos et d’autres détenus – ndlr). Dieudo, quoi, concède-t-il l’air désolé. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il m’a demandé d’entrer dans son équipe de défense.” Il ne s’occupera pas longtemps de ce client, pour se concentrer sur les jihadistes.
Accepterait-il de défendre Salah Abdeslam ?
Acte III : le 30 mai s’ouvrira le procès d’une importante filière jihadiste strasbourgeoise impliquant dix jeunes partis en Syrie. Deux sont morts là-bas, sept sont revenus et vont être jugés. Le dixième, Foued Mohamed-Aggad, s’est fait sauter au Bataclan. En guise d’apogée, accepterait-il de défendre Salah Abdeslam ? “Je ne peux pas répondre, je n’en sais rien. J’ai été pressenti par certaines personnes mais on ne m’a rien proposé”, jure-t-il. C’est lui qui livre l’épilogue, sourire en coin : “Normalement, un avocat n’a pas de limite.”
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