La semaine dernière, la vie ennuyeuse des gangsters, une cage d’escalier reliée à rien, un déhanchement cannois sur « Sex Bomb » et un désœuvrement qui finit mal.
Mon cher Inrocks. “La vraie vie est dans le non-événement”, dis-tu à propos du cinéma d’Antonioni. Pas faux. Lundi, mardi, mercredi, jeudi. Toujours rien. Au quatrième top, il sera exactement 10 heures et 46 minutes. Bip. Saveur de la vraie vie. Qu’est-ce que je m’emmerde. Antonioni “préfère regarder le maître nageur qui ne bouge pas pendant des heures plutôt que le moment où il va sauver quelqu’un”. Mais que préfère le maître nageur ? Les jours et les heures d’attente ou la noyade désirée qui fera de lui un héros, le témoin d’une tragédie, peu importe pourvu qu’il se passe quelque chose ? Tic-tac. Tic-tac. Même les vies qu’on imaginerait plus savoureuses n’échappent pas à l’ennui. Ton père honoreras, le livre de Gay Talese sur une famille de la mafia new-yorkaise montre cela : “combien la vie des gangsters peut être ennuyeuse. Ils passent plus de temps à attendre qu’à être dans l’action”. Ils ont beau avoir décidé de “prendre leur destin en main plutôt que de subir la place que l’Amérique leur octroyait – ouvriers, éboueurs, balayeurs, etc.”, dans la “vraie vie”, les gangsters sont des maîtres nageurs comme les autres. Et de non-événement en non-événement, tic-tac, les potentiels s’épuisent, les forces de vies se dégradent.
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Manoel Oliveira aura travaillé jusqu’au bout
Notre vie ressemble à la description que fait Ryan Gosling de Detroit, “choses qui tombent en lambeaux”, rêves détruits, “cage d’escalier (…) reliée à rien, il n’y a plus d’immeuble autour”, ambitions en “friches” : une “ville fantôme de l’opulente cité” que formait la vie dont nous avions rêvée. Coup de sifflet : il est interdit de courir autour de la piscine ! Tic-tac. Et pourtant. Vingt-cinq ans après, Blur apporte toujours à Damon Albarn “énergie et excitation”. “Je ne connais aucun groupe, dit-il, qui, après plus de vingt ans de carrière, peut sortir un disque aussi léger, bricolé, insouciant.” Et pourtant, Manoel de Oliveira, que l’on voyait encore, à près de 100 ans “se déhancher avec sa femme sur Sex Bomb de Tom Jones lors d’une fête cannoise pour la présentation de La Lettre”, et qui jusqu’au bout aura pu travailler. Dans les deux cas, une seule méthode : l’action.
“Ça se passe toujours bien entre nous quand nous nous affairons autour d’un projet commun, quand il y a des choses concrètes à brasser”, dit Damon Albarn à propos de Blur. “C’est quand on commence à glander en studio, à sentir le désœuvrement, que ça finit mal.” Et Paulo Branco, qui a produit les films de Manoel de Oliveira dit de lui : “Il avait besoin de faire son métier tous les jours, comme le boulanger fait son pain.” Le travail comme seul remède à l’ennui, l’action qui fait de chaque instant un événement, et de chaque événement un rempart au temps qui passe ? Génial. J’adore cette morale. Tic-tac. 17 h 59 : les bonnets de bain sont obligatoires ! Tic-tac. Il est 18 h 03. L’heure de mon premier pétard.
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