Nouveau venu dans On n’est pas couché sur France 2, Yann Moix fait des étincelles du haut de son verbe assassin. Mais sous le masque du fielleux se cache un chroniqueur passionné. Rencontre et portrait.
Après plusieurs jours de discussions et de relances par mails, nous arrivons enfin à l’intercepter. Mais la veille de notre rencontre, l’attachée de presse des éditions Grasset (où sont publiés tous ses livres) annule le rendez-vous. Le lendemain, à la terrasse d’un café du VIIIe arrondissement, son amie psychanalyste Judith Cohen-Solal nous rassure : “Ce n’est pas contre vous”.
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Au beau milieu de notre conversation, une silhouette arrive en trombe et s’écrie: “Alors comme ça on parle de moi ?!” C’est un Yann Moix, pour le moins inattendu, avec une tête de dix pieds de long qui s’assied : “J’étais dans le coin. Veuillez m’excuser j’ai préféré tout annuler hier, je suis en pleine rupture.” Ça démarre fort. Tout ça au moment même où le nouveau chroniqueur d’On n’est pas couché, le samedi soir sur France 2, est propulsé sous le feu des projecteurs.
Yann Moix fascine ou révulse
“Posez toutes les questions que vous voulez, je ne dirai que ‘violemment la vérité violente et vraiment la vérité vraie’, comme disait Péguy”, affirme-t-il tout en montrant la photo de cet auteur, son préféré, au dos de son smartphone. Et d’enchaîner :
“Proust disait ‘Tout ce qu’on cache, se voit d’autant plus’. Quand un mec se fait des implants, on ne se dit pas ‘tiens un mec qui a des cheveux’ mais plutôt ‘tiens, un chauve qui n’assume pas.”
Yann Moix, c’est cette personnalité frénétique qui en moins de cinq minutes vous cite Péguy et Proust dans la même phrase tout en digressant sur Brount, le chien de Robespierre. Son style fascine les uns et révulse les autres.
Goncourt du premier roman en 1996 pour Jubilations vers le Ciel, Renaudot 2013 pour un pavé littéraire (1143 pages), Naissance, et réalisateur du film à succès Podium, en 2004… A 47 ans, Moix, est une garantie culturelle. Pour le meilleur comme le moins bon, puisque son deuxième film Cinéman (2009) a reçu le Gérard du plus mauvais film. La productrice d’On n’est pas couché, Catherine Barma, l’assure : “Il fait que la télé devient enrichissante.” A tel point que certains lui reprochent presque ses formules alambiquées. “Il a une écriture très riche, et c’est pareil à l’oral finalement”, admet son ami Albert Sebag, rédac chef au Point.
Un monomaniaque hypermnésique
Bourreau de travail, il veut tout connaître, tout maîtriser. “Pour la première émission j’avais soixante pages de notes, je ne savais plus où donner de la tête.” Moix a une culture qui se déploie tous azimuts. Et pour couronner le tout, il est hypermnésique: “Yann a des successions de monomanies, à tel point qu’on l’écoute parfois parler de sujets qui nous intéressent peu… je me fous un peu de savoir ce qu’avait Cloclo dans son assiette le 4 août 1975″, confie son ami Jérôme Béglé, journaliste au Point.
Yann Moix en 2015 c’est : un roman publié (Une simple lettre d’amour), un colloque sur Georges Bataille, un opuscule sur la notion de parole chez Charles Péguy, des publications sur le site internet La Règle du jeu dirigé par Bernard-Henri Lévy et un documentaire de sept heures sur les deux Corées. “C’est un film très difficile à réaliser, j’ai tout mélangé dedans, l’histoire de la Corée et celle de ma vie sentimentale étant donné que j’ai beaucoup de mal à tomber amoureux de femmes qui ne sont pas coréennes… », souligne-t-il.
De la drague compulsive à la fidélité
Justement, les femmes. Sans doute le domaine qui rythme le plus sa vie après la littérature. La drague ? Depuis quelques années il la préférait virtuelle.
“Je suis allé sur adopteunmec.com, ça a plutôt bien marché. Tinder par contre… un coup on me disait ‘pauvre type arrête de te faire passer pour un autre’ et celui d’après ‘qu’est-ce que tu fous là si c’est vraiment toi ?!’ Donc j’ai tout arrêté, je suis reparti séduire dans le réel.”
La fidélité ? “C’est extraordinaire. Il y en a qui découvrent Proust à 75 ans, moi j’ai découvert la fidélité à 40 ans et j’adore ça. Si c’était à refaire je le serais beaucoup plus.” Tous ses proches le décrivent comme un “romantique” et “un cœur d’artichaut” : “Je l’ai vu rester chez lui enfermé à déprimer suite à des ruptures”, raconte son ami écrivain-journaliste Nicolas d’Estienne d’Orves.
Yann Moix, moderne Rastignac
1993, le jeune Yann quitte Orléans, sa ville natale, et fonce sur Paris : “Je voulais vraiment percer.” Etudiant en école de commerce puis à Sciences Po, il rédige des articles économiques pour L’Express. Et n’hésite pas à y aller au culot. Il réclame un rendez-vous avec Philippe Labro, à l’époque directeur de RTL, qu’il admire. Refus de la secrétaire.
“J’ai quand même pris l’ascenseur, je suis rentré dans son bureau, il n’était pas là. Assis dans son fauteuil, je l’attends. Il débarque tout d’un coup et je lui dis ‘je vous en prie Philippe, prenez place.”
Le jeune Rastignac lui demande des conseils. Phlippe Labro ne lui en donnera qu’un seul : rester modeste. Il tente ensuite de séduire Bernard-Henri Lévy:
“Je suis allé le voir en lui disant que j’étais écrivain et en lui demandant de me laisser ma chance. Il m’a donné douze heures pour écrire trois textes : sur le fascisme en Italie, sur le film Germinal, et sur Federico Fellini. Ce que j’ai fait et il m’a répondu ‘Bienvenue au club.”
En plus de ses livres, Moix écrit des feuilletons littéraires, des portraits, des critiques pour Marianne, Paris Match ou le Figaro littéraire, et commence à se faire quelques ennemis. Dans Partouz (2004), il lie les attentats du 11 septembre à la frustration sexuelle des terroristes. “Il y a une infime partie des djihadistes qui pensent qu’ils auront accès au sexe quand ils auront au Paradis”, explique-t-il sur le plateau de Tout le monde en parle à la sortie du livre.
Un long chemin vers la littérature
Consécration à 45 ans avec Naissance : “Le Renaudot m’a fait du bien. J’ai toujours voulu être écrivain, c’est ma seule identité.” Seulement voilà, pour comprendre le personnage, il faut remonter plus loin. Ses parents gèrent un cabinet de kiné. Quand il a 8 ans, ils brûlent les BD qu’il a dessiné et découpent sous ses yeux ses pièces de théâtre:
“Je ne leur parle plus depuis 2009. C’est contre eux que j’ai réussi à faire un peu de littérature, et maintenant ils essaient d’en récolter les honneurs que je peux recevoir. Je trouve ça obscène.”
Son frère ? Il ne l’a pas vu depuis dix ans. ”C’est une entité biologique qui se promène quelque part sur terre avec un ADN qui ressemble au mien.” Hypersensible et écorché vif ou même encore “positivement névrosé”, selon son ami journaliste Albert Sebag.
Acerbe ? Rancunier ?
Entier et impulsif, mieux vaut alors éviter de le froisser. “Attention à ce que vous allez écrire, il peut piquer de grosses colères parfois”, nous avertit Patrick Besson. Il ajoute : “Chaque année, le lauréat du Renaudot de l’année précédente est invité à la cérémonie de remise du nouveau. Quand il a appris que c’était David Foenkinos qui l’avait eu, il a refusé de venir.” Il peut s‘emporter, mais en général “il le regrette tout de suite” d’après Nicolas d’Estienne d’Orves. Preuve en est : “J’ai été très con pour Foenkinos, je savais que c’était nul ce que je faisais et je m’en voulais. Je suis allé m’excuser il y a quelques mois.” Pas rancunier ? “Arnaud Viviant, qui m’a ‘kalachnickovisé’ pendant près de vingt ans dans Les Inrocks est maintenant mon ami.”
La question restait alors en suspens : le Moix acerbe de la télé est-il celui de la réalité ? “Il y a un vrai fossé entre l’image qu’il renvoie et ce qu’il est réellement”, confie Nicolas d’Estienne d’Orves. Pour Judith Cohen-Solal, “Yann affiche un côté beaucoup plus outrancier qu’il ne l’est. C’est quelqu’un de très simple et attentionné en réalité.” On est encore un peu perdu finalement… Et pour cause, Moix aime entretenir le mystère. “Tous mes livres tournent autour du même thème : n’est-on par un imposteur perpétuel ?”
Des amitiés contradictoires
“Un des premiers articles sur moi me classait à droite, raconte-t-il. De ce jour-là on m‘a collé une étiquette d’écrivain de droite, dont je n’ai jamais rien fait pour me défaire.” Parmi ses fréquentations on trouve pêle-mêle : BHL, Labro, Fleur Pellerin (dont il est très proche), mais aussi Nathalie Kosciusko-Morizet et feu Jean-Edern Hallier. A droite, à gauche, Yann Moix est insaisissable.
Pour preuve, son ancienne amitié sulfureuse avec le pamphlétaire Marc-Edouard Nabe, auteur d’Au régal des Vermines (Barrault, 1985). “Dans les années 90, Nabe était un des mes auteurs préférés”, confie Moix.
“En 1991, sans que je l’aie invité, Moix s’était infiltré dans une de mes fêtes pour la sortie de mon « Journal intime« . Comme Houellebecq d’ailleurs. Ce jour-là, je ne les ai remarqués ni l’un ni l’autre tellement ils étaient insignifiants, grince Marc-Edouard Nabe. « A mes yeux, Moix est un arriviste sans envergure, un escroc plagiaire qui bénéficie d’une indulgence incompréhensible”.
Il fréquente Nabe et Blanrue
Yann Moix est fasciné par le Talmud et la culture juive. “Il est d’une famille qui descend des Marranes (Juifs espagnols ou portugais convertis de force au catholicisme au XVe siècle qui pratiquaient en secret la religion juive – ndlr). C’est un philosémite exacerbé, il a même appris l’hébreu », confirme Nicolas d’Estienne d’Orves. Seulement, dans les années 2000, Nabe commence à se définir de plus en plus comme “un combattant contre Israël.” La rupture est consommée en 2007 quand Moix lui envoie un SMS : “Va te faire enculer.” Sur cette amitié controversée, Moix répond sereinement :
“On peut côtoyer des antisémites pendant des années sans savoir qu’ils le sont parce qu’eux-mêmes ne le savent pas. Nabe adore se faire détester par ses amis.”
A la même époque, Yann Moix est aussi au cœur d’autres polémiques. Cette fois-ci, c’est Paul-Eric Blanrue qui fait le coup. En 2007, Moix préface un de ses ouvrages : Le Monde contre soi : anthologie des propos contre les juifs, le judaïsme et le sionisme. Un livre qui répertorie les propos antisémites tenus par de grandes figures de la pensée telles que Voltaire, Sartre ou encore Jaurès. “Je trouvais ça important de montrer que même les plus grands penseurs se sont trompés”, explique Moix. En 2010, le livre est réédité sans la préface de Moix et vendu sur le site néo-fasciste d’Alain Soral, il sera interdit après décision de justice.
En 2011, Blanrue réalise une interview filmée d’une heure trente sur Robert Faurisson, négationniste notoire. Yann Moix assume :
“Blanrue était un des types les plus drôles que je connaisse. On était tous les deux fans de Sacha Guitry et de Georges Cziffra. On n’a jamais parlé des Juifs ensemble. Et il savait très bien que l’antisémitisme est l’inverse de ce que je suis.”
Pourtant, selon l’historienne Valérie Igounet (auteur de Robert Faurisson. Portrait d’un négationniste, Denoël, 2012), il n’y a pas d’ambiguité possible : “Ça fait longtemps que Paul-Eric Blanrue est proche de Robert Faurisson. Tout le monde le sait, il ne s’en est jamais caché. »
Moix signe une pétition au côté de Faurisson
La guerre est officiellement déclarée en 2010 lorsque la signature de Moix se retrouve à côté de celle de Faurisson dans une pétition demandant l’abrogation de la loi Gayssot et la libération du négationniste Vincent Reynouard. Toujours serein, Moix s’explique :
“Le fait qu’Auchswitz ait besoin d’un tribunal pour avoir une légitimité dans l’histoire m’effraie. Blanrue le savait puisque je venais de participer à des débats sur la question. Un jour, il me contacte et m’affirme qu’il a déjà les signatures de Pierre Nora et Robert Badinter. J’ai donc donné mon accord.”
C’est là que tout bascule. En réalité, le Robert qui a signé n’est pas Badinter mais Faurisson. “Et là, panique à bord… j’ai immédiatement demandé à faire retirer mon nom.” Depuis la promulgation de la loi Gayssot en 1990, “plusieurs personnes, notamment des historiens, se sont élevés contre en mettant en avant plusieurs arguments dont celui de la liberté d’expression, souligne Valérie Igounet. Les partisans de Robert Faurisson ont toujours cherché à exploiter cette division au sein du monde intellectuel”.
Ecrivain et réalisateur au passé, malgré lui, sulfureux ? Finalement, Yann Moix c’est un peu “le héros qu’on aimerait détester”, conclut Nicolas d’Estienne d’Orves. Comme quand le chroniqueur d’On n’est pas couché tombe dans la caricature en éreintant l’album du rappeur Nekfeu, tel un Léon Zitrone découvrant internet.
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