Huit mois après la présidentielle, l’ex-candidate d’Europe Ecologie-les Verts se fait discrète. Repliée sur ses dossiers européens et sa mission pour l’Onu en Afghanistan, Eva Joly continue de digérer sa défaite.
“Quel bilan tirez-vous de la campagne présidentielle ?” Eva Joly sourit poliment derrière ses lunettes vertes. Silence. Elle cherche un conseiller du regard.
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Aujourd’hui, l’ex-candidate d’Europe Ecologie – Les Verts présente ses vœux à la presse. Une quinzaine de personne discutent sous les lambris du Cercle norvégien, réunies dans un appartement jadis propriété d’Alfred Nobel. Un verre de blanc à la main, la députée européenne vient d’achever sa conférence, au cours de laquelle elle a livré sa vision de la politique française et internationale : la pêche, la PAC, le secteur bancaire, et bien sûr le Mali.
Un « long silence nécessaire »
Mais d’elle-même, elle ne dit rien. Ni du parti, d’ailleurs. Tout juste a-t-elle mentionné en préambule un “long silence, nécessaire après une campagne fatigante”. Alors, on lui redemande : huit mois après les élections, dans quel état d’esprit se trouve-t-elle? Le sourire est poli. Mais en guise de réponse, elle présente un de ses collaborateurs à la région, et en profite pour se dérober. A peine le temps de serrer une nouvelle main, qu’elle est déjà partie. Eva ne parlera pas.
“2012, c’est du passé !”, préfère balayer Stéphane Pocrain, l’un de ses conseillers en communication. “La campagne, ce n’est plus son actualité. Bientôt, elle reparlera de tout ça, mais pas pour l’instant”. Eva Joly ne serait pas encore prête. Mais pourquoi un tel embarras ?
Les raisons sont multiples : le résultat “décevant” de l’élection, où la Franco-norvégienne n’a glané que 2,31% des voix ; une campagne catastrophique – sa chute fortuite qui se solde par un choc à la tête alors qu’elle baisse dans les sondages – et surtout la violence à son égard, à la fois de la part des éditorialistes que des membres de son propre parti. « J’ai été victime d »âgisme’, de sexisme et d’une forme de xénophobie », assure-t-elle dans un entretien à Libération. Et puis, il y a aussi eu les espoirs déçus, quand elle postule au gouvernement sans y accéder.
L’Afghanistan, la corruption, la pêche…
“Eva a vécu une aventure politique et humaine forte, parfois faite de douleur, commente Stéphane Sitbon, son ancien directeur de campagne. Mais elle a une énorme capacité de rebond. »
“Après la campagne, elle a fait une grande cure familiale tout en donnant un coup de main pour les législatives. Puis elle a embrayé avec la mission en Afghanistan dès juillet”, explique Julien Bayou, conseiller régional d’EE-LV et directeur de la mobilisation pour Eva Joly.
C’est pendant la campagne présidentielle que l’Onu la contacte pour participer à un comité d’évaluation de la corruption en Afghanistan, le MEC (Anti-Corruption Monitoring and Evaluation Committee). Tout en continuant ses activités de présidente de la Commission du développement à Strasbourg, l’ancienne juge d’instruction se livre à une analyse précise des ressorts de la corruption afghane. En décembre, le MEC publie un rapport sur la Kabul Bank et les flux d’argent incontrôlés.
Sur ce sujet, Eva Joly est subitement beaucoup plus bavarde.
“Je m’épanouis dans l’action, dit-elle. C’est important de sortir du monde de la parole pour se coltiner le réel. J’ai été confrontée à de vrais problèmes, des problèmes de survie : comment trouver la nourriture, l’eau propre, du chauffage… C’est passionnant.”
“Elle surkiffe cette mission, sourit Julien Bayou. Elle retrouve l’esprit des missions qu’elle a effectuées en Afrique pour le compte de l’agence norvégienne pour le développement international (Norad). Elle donne les outils juridiques aux autorités pour renégocier avec les sociétés étrangères l’exploitation des richesses nationales, et lutter contre la corruption. C’est du concret.” L’eurodéputé Yannick Jadot complète : “Elle œuvre pour l’intérêt général. Elle fait son travail au niveau européen, ça suffit à son bonheur.”
« Ce n’est pas un repli, c’est une phase »
Mais si Eva Joly continue de batailler sur les questions écologiques et financières à une échelle internationale, elle se fait toute petite sur la scène hexagonale. Elle apparaît pour défendre les ministres écolos au gouvernement, soutenir la grève de la faim de Stéphane Gatignon ou encore dénoncer le projet de Notre-Dame-des-Landes aux côtés d’autres ténors du parti. Des revendications ponctuelles et discrètes qui contrastent avec son activisme médiatique durant la campagne.
“Elle s’est reconcentrée sur son mandat européen, sa mission en Afghanistan et sa lutte contre la corruption. Elle n’est pas à la recherche d’un poste”, assure Stéphane Sitbon. De là à parler de repli, il n’y a qu’un pas. “Je ne sais pas si c’est un repli, nuance prudemment Julien Bayou. Il ne faut pas oublier qu’il y a plusieurs phases en politique. Là, elle sort de campagne.” Il n’y aurait rien d’anormal à ce qu’Eva Joly retourne à ses dossiers européens. “Chassez le naturel, il revient au galop : l’Onu fait appel à elle pour travailler sur la corruption, c’est sa spécialité, elle ne va pas refuser”, justifie encore le conseiller régional.
“Eva se rapproche plus d’une personnalité qui a des compétences sur un dossier, que de l’incarnation d’un mouvement politique, conclue Yannick Jadot. Elle n’est pas prisonnière des logiques d’appareil.”
Eva Joly, une figure morale indépendante d’EE-LV? “Elle a toujours été autonome et indépendante, mais elle est très présente dans les instances internes du parti, corrige Stéphane Sitbon. Et Eva de raconter les dîners à Strasbourg, où “tout le monde vient – sauf Dany bien sûr.”
Durant les premiers jours de janvier, une rumeur court : Eva Joly pourrait être nommée ministre chargée de la lutte anti-corruption. Matignon ne commente pas. “Un fake” pour Yannick Jadot, “l’oeuvre d’un fan ou d’un farceur”, selon Stéphane Sitbon. “C’est l’initiative isolée d’un blogueur sur Mediapart, il ne faut pas y accorder de crédit”, écarte Julien Bayou. Après, ce serait super. Mais plus qu’un ministère, il faudrait un haut-commissariat de la lutte contre l’évasion fiscale”. L’ambition est toujours là. Eva attend l’occasion.
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