Ses frasques, longues comme le bras, feraient presque oublier son talent sur la piste. Pourtant à l’orée de ses 30 ans et à dix-huit mois des Jeux Olympiques de Rio, Mahiedine Mekhissi-Benabbad demeure l’une des belles chances de médaille de l’équipe de France. Portrait.
Le 18 août dernier, l’équipe de France d’athlétisme est reçue par François Hollande à l’Elysée. Le Président de la République en profite pour faire l’éloge de Mahiedine Mekhissi-Benabbad. « Vous nous en avez fait voir quand même et toutes les couleurs ! », s’exclame le Président. Quatre jours plus tôt, à Zurich, en finale du championnat d’Europe du 3 000 mètres steeple, Mahiedine Mekhissi-Benabbad se retrouve archi-favori pour la médaille d’or, comme il en a pris l’habitude, depuis plusieurs années. Il a beaucoup d’avance dans le dernier tour de piste quand, dans la dernière ligne droite, survolant la course, il ôte son maillot avant la ligne d’arrivée. C’est contre le règlement. Mahiedine Mekhissi-Benabbad, disqualifié, perd sa médaille. Dégoûté, il menace dans un premier temps de ne pas s’aligner le lendemain sur le 1 500 mètres. Il le remportera finalement, haut la main.
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“C’est comme s’il y avait deux Mahiedine »
François Hollande l’a bien compris, lorsqu’il s’adresse au demi-fondeur français, dans les salons de l’Elysée: il est en face d’un phénomène. Un jeune homme de 29 ans, capable d’aller titiller les imbattables Kényans sur leur discipline reine, le 3 000 mètres steeple, tout comme d’en venir au main avec un coéquipier tricolore – le demi-fondeur Mehdi Baala – lors d’un meeting à Monaco, en 2011. Ou de s’en prendre à Appy et Barni. Les noms de deux mascottes, qui ont eu le malheur de croiser le regard perçant de Mahiedine, au sortir de sa course. Mais aussi de se retrouver suspecté d’agression d’un membre du Creps (Centres de ressources, d’expertise et de performance sportives) de Reims, en octobre 2012, qui se terminera par un accord à l’amiable. La liste de ses frasques paraît aussi longue que celle des ses succès. Mahiedine Mekhissi-Benabbad accepte de se confesser, un soir de janvier, entre deux avions dans les couloirs de de l’aéroport de Roissy. Il en tire ce bilan: “Parfois, c’est comme s’il y avait deux Mahiedine : celui de la piste et celui de tous les jours.”
Le Mahiedine Mekhissi-Benabbad de la piste est né aux yeux du monde le 19 août 2008, lorsqu’il est sacré vice-champion olympique. Mais l’accouchement se fait dans la douleur. L’Equipe ne semble pas croire à l’exploit que vient de réaliser le Rémois de 23 ans : décrocher l’argent sur le 3 000 mètres steeple, ce qu’aucun non-Kenyan n’avait réussi à faire depuis les Jeux Olympiques de 1988, à Séoul. Des soupçons de dopages – jamais prouvés – planent. Le titre du lendemain est équivoque : “Questions d’argent”. Mahiedine Mekhissi-Benabbad a a beau nous assurer que toute cette histoire est derrière lui, “le mental tu l’as en toi, c’est quelque chose d’inné”, nous confie-t-il de son regard soutenu et persuasif, on le croit à demi-mot. Il ne peut s’empêcher de rajouter : “Ca me fait sourire de voir ces mêmes journalistes me demander des autographes et des photos avec eux.” Bernard Amsalem, le président de la fédération française d’athlétisme (FFA) ne cache pas une certaine “fracture” avec le quotidien sportif depuis cet épisode. “Le matin, en conférence de presse, on avait annoncé qu’on allait récupérer une médaille ce jour-là. Ils ont cru qu’on parlait de Bob Thari. Ils n’ont pas apprécié de ne pas avoir raison avant tout le monde” se souvient-il. En réalité, Mahiedine Mekhissi-Benabbad a la rage au ventre et le démontre sur la piste : triple champion d’Europe (2010, 2012 sur 3 000 mètres steeple et 2014 sur 1 500 mètres), médaille de bronze aux championnats du monde 2011, médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Londres en 2012. “C’est le plus beau palmarès du demi-fond français”, résume le directeur technique national de la FFA, Ghani Yalouz (en poste depuis 2009).
“Faire mal à son corps”
Marche arrière. Le Mahiedine de la vie de tous les jours, c’est ce septième d’une famille de neuf mômes, parents d’origine algérienne, qui a beaucoup de mal à quitter sa ville natale de Reims. Il signe sa première licence en 1996, dans le club de la ville, auquel il jure fidélité, sauf lors d’un court passage à Compiègne de 2003 à 2006, (pour y suivre son entraîneur de l’époque, Zouhir Foughali) puis à l’Insep. Présentée comme la pépinière des futurs champions tricolores, Mahiedine ne s’épanouit pas dans les prestigieux locaux du bois de Vincennes. Il raconte : “Partout où j’allais, on ne parlait que de sport.” Mahiedine a besoin de faire des pauses, de voir du pays. Il ajoute : “Tu ne peux pas faire de stages à l’étranger. Ce n’est pas adapté au demi-fond.” Mahiedine préfère s’entraîner à l’étranger : Albuquerque, l’Afrique du Sud ou le Portugal. Il y cherche la difficulté – “faire mal à son corps” précise-t-il – et l’altitude, “c’est un dopant naturel, qui te permet d’augmenter ton niveau d’EPO naturellement. C’est une obligation de se frotter à ces conditions si tu veux concurrencer les Kenyans.”
Puisqu’il ne s’épanouit pas à l’Insep, il en claque la porte et retourne chez lui à Reims, en décembre 2007, soit huit mois avec les Jeux. Il est encore un inconnu pour les médias et le grand public. Un caprice de gosse ? C’est en fait plus profond. Quelques mois auparavant, il est aligné aux championnats du monde d’Osaka. Il se retrouve éliminé lors des séries du 3 000 mètres steeple, sa discipline. Gros coup dur, “quand tu es éliminé en série, tu es une merde. J’avais la rage, c’était la plus grosse claque de ma carrière” concède-t-il. De cette désillusion, il en tira les leçons : “Plus personne ne me calculait à la fédération. Alors je leur ai dit : ‘Ok, c’est comme ça. L’année prochaine vous allez voir’. Même dans les échecs on apprend, je me remets constamment en question.” “Ce n’est pas quelqu’un de lisse, ajoute, Ghani Yalouz. Mais c’est quelqu’un d’entier, qui ne triche pas. »
“Les champions ne sont pas des agneaux »
Au-delà de son caractère, il y a une question qui reste en suspend. Comment un tel potentiel peut-il si souvent risquer de se gâcher dans des affaires extra-sportives ? Il tente de se défendre, assez maladroitement: “Les gens ne savent pas toujours ce que peut ressentir ou vivre un athlète du haut niveau. La pression, l’attente au quotidien. On s’entraîne dur, on pousse notre corps à la limite. On accumule la fatigue et, parfois, on peut devenir irritable. En demi-fond, au départ d’une course, tu sais que tu aurais dix Kenyans à côté de toi et que tu vas souffrir. Et pour gagner, il faut aller au-delà de cette souffrance.” Ghani Yalouz tente de compléter: “Les champions ne sont pas des agneaux, ils ont du caractère, du charisme, et une histoire de vie forte.” Pour réellement comprendre Mahiedine Mekhissi-Benabbad , il faut l’entendre vous parler de ses années d’endurance et de sacrifices pour la course. “Ce que j’aime, c’est la compétition, l’affrontement. Les courses d’homme à homme” vous assène-t-il, droit dans les yeux. Il faut aussi l’entendre et l’écouter vous expliquer que non, ces médailles ne sont pas les plus beaux moments de sa carrière. Ce qu’il retient lui, c’est ce mois de février 2004, il y a dix ans : Mahiedine Mekhissi-Benabbad était sélectionné pour la première fois en équipe de France junior. “J’étais comme dans un rêve, je me retrouvais dans la même équipe que des athlètes que je regardais à la télévision. J’étais très fier.”
Fier de porter les couleurs de la France – même s’il fût un temps sollicité par la sélection algérienne – et d’être enfin reconnu par le public français, comme lors du retour triomphal des derniers championnats d’Europe de Zurich, en août dernier. A la gare de Lyon de Zurich, il sont des milliers à accueillir la délégation tricolore. “C’est bien Mahiedine qui arrivait en tête de la sympathie auprès des gens” se rappelle le président de la FFA, Bernard Amsalem. Mahiedine évoque avec fierté son passage à l’Elysée : “Me retrouver là, à me faire taquiner par le Président… C’est un honneur ! J’ai repensé à toute ma carrière, depuis 1996. Je me suis refait tout le film et j’étais très fier.” Avant de sauter dans son avion pour rejoindre son camp d’entraînement en Afrique du Sud, Mahiedine Mekhissi-Benabbad nous confie : “Ce jour-là, ils m’ont peut être disqualifié, j’ai peut être perdu une médaille, c’’est vrai. Mais j’ai gagné le coeur des Français.”
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