Mercredi 10 décembre Manuel Valls a défendu la loi dite Macron de libéralisation de l’économie le matin, et a tenu un discours sur l’égalité à la Fondation Jean Jaurès le soir. Grand écart idéologique ? Poursuite de son entreprise de remplacement d’une « gauche passéiste » par une « gauche moderne » ? Nous avons interrogé le politologue Rémi Lefebvre, auteur du livre « Les primaires socialistes, la fin du parti militant » (éd. Raisons d’agir, 2011).
Défendre la loi Macron le matin, et tenir un discours sur l’égalité le soir : est-ce qu’il n’y a pas une contradiction dans cette journée du mercredi 10 décembre du premier ministre Manuel Valls ?
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Rémi Lefebvre – Valls infléchit un peu sa ligne politique car il souhaite se positionner un peu à gauche – mais point trop – en vue du congrès socialiste de juin et surtout de la débâcle à venir des élections départementales à l’issue desquelles il va être accusé de faire sombrer la gauche. Il veut rester à Matignon et durer et donc il faut qu’il s’expose un peu moins à la vindicte des frondeurs. Il s’agit donc d’une petite inflexion tactique.
Selon Manuel Valls, « l’égalité c’est bien sûr corriger, mais c’est aussi, et je dirais surtout, donner à chacun les mêmes chances ». Cet amendement à la définition de l’égalité marque-t-il une rupture dans l’histoire de la gauche?
Le modèle de Valls c’est la méritocratie et l’égalité des chances. Et son socle socio-idéologique est de fabriquer une société d’individus responsables et performants. Le problème est que l’égalité des chances est un mythe et qu’elle conduit par ailleurs comme l’a montré François Dubet à la compétition de tous contre tous, dans le cadre de la société libérale, ce qui est un problème à gauche… Mais le PS tend à accorder de plus en plus de place à l’individu contre son discours historique sur les classes sociales.
Manuel Valls a défendu le concept de « pré-distribution » : de quoi s’agit-il, et ce concept est-il en passe de devenir la nouvelle doxa du Parti socialiste ?
Ce n’est pas nouveau sauf dans la formulation. Dominique Strauss-Kahn, comme les socialistes anglais, avait défendu cette idée selon laquelle il faut s’attaquer à la racine des inégalités par une politique précoce de petite enfance, l’école… Pourquoi pas ? Mais le PS a proclamé en juin 2011 la nécessité d’une égalité réelle. Mettre l’accent pour Valls sur l’enfance est une manière de faire le deuil de la redistribution par l’impôt.
Manuel Valls souhaitait prouver par son discours sur l’égalité que la gauche se distingue toujours de la droite par ce « clivage inaltérable ». Mais en défendant « l’efficacité de la dépense sociale », plutôt que l’imposition du capital ou la taxation des transactions financières, Manuel Valls ne prouve-t-il pas le contraire ?
Valls est un républicain libéral sécuritaire mâtiné d’une pointe de social. Il n’est pas social démocrate car il ne propose aucun compromis réel avec les forces économiques. Il essaie de trianguler, c’est-à-dire de préempter des thèmes de droite, car au fonds sa visée consiste à malmener la gauche, à la ringardiser au prix d’un dérèglement des repères de la vie politique qu’il assume de plus en plus.
En 2008 le PS était contre le travail dominical que portait la droite. Que s’est-il passé pour qu’aujourd’hui la « loi Macron » porte ce projet?
C’est un retournement de plus comme sur les retraites, le coût du travail, le discours sur les chômeurs… On assiste à une impressionnante tentative par Macron et Valls de liquidation idéologique. Les marqueurs de gauche de la politique gouvernementale deviennent résiduels, d’un certain point de vue le gouvernement se radicalise à droite, entraînant une droitisation générale du jeu politique.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Les Primaires socialistes. La fin du parti militant, de Rémi Lefebvre, éd. Raisons d’agir, 2011
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