Avec leur dégaine qui ne passe pas inaperçu et leurs punchlines contre les “machos”, leur chaîne Le Meufisme cartonne sur YouTube. Camille Ghanassia et Sophie Garric se lancent un nouveau défi : adapter prochainement leur concept entre féminisme et humour au cinéma. L’occasion de revenir sur leurs débuts bancals, les fou rires de tournages et leur duo de choc. Attention les yeux.
Elles se mettent en plein milieu de la rue. L’une fait un regard de braise à notre photographe, l’autre se touche les seins. « Clic ». Elles enchaînent, mains sur les hanches : « clic ». “Vas-y, fais la bonasse !”, lance Sophie à Camille, sa comparse. Bouches en cul-de-poule, sourires dignes d’une émission de télé-shopping, poing levé du girl power : « clic, clic, clic ».
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Une moto les frôle, elles ne cillent pas. Les filles se marrent, se moquent d’elles-mêmes et se pavanent dans la petite ruelle. Dans cette parodie assumée d’un shooting des tendances printemps-été pour un pseudo blog, Camille Ghanassia et Sophie Garric jouent à faire les “meufs”… Normal, les filles derrière Le Meufisme, ce sont elles.
“Tu me mets comme d’hab, un coca zéro ?” lance Sophie au serveur, une fois rejoint la terrasse de la Pause Café. Camille s’installe en face d’elle, remet ses lunettes à motif léopard, tire sur sa clope. D’un coup, elles se mettent à débattre pâtisserie et à rire à gorge déployée, comme si la terrasse n’était pas du tout bondée. C’est qu’à la Pause Café, elles sont un peu chez elles.
“C’est ici que j’ai filmé notre toute première scène !” se souvient Camille, en désignant une table à l’intérieur du bar. “Et puis juste là, on s’est mises d’accord sur le nom de la série !” indique Sophie, en pointant du doigt deux tables près de nous. Elle y griffonnait alors quelques scénarios, quand la chaîne n’était encore qu’une vague idée. Trois ans après le lancement de leur web-série Le Meufisme, Sophie y vient toujours régulièrement pour y écrire les épisodes de la série. Sauf que, maintenant, elles ont plus de 20 millions de vues sur leur chaîne, plus de 220 000 abonnés, avec un livre et un film sur les rails.
Plateformes croco et bottes de cuir
“On espérait avoir ce succès, pourtant on s’est lancées dedans comme ça, à la suite d’un gros éclat de rire, lors d’un cours de théâtre”, explique Camille, qui s’amuse encore en évoquant cet épisode décisif de 2009, où les deux se sont rencontrées pour la toute première fois. “Je lui ai dit : ‘Sophie, notre rencontre est magique, créons des choses ensemble !’” Et quelques années plus tard, en 2014, elles ont fait “Le FMI d’la meuf”, le tout premier épisode du Meufisme.
A travers Jolene, le personnage principal incarné par Sophie, les deux filles aujourd’hui âgées de 32 ans y déroule un pitch qui mêle situations abracadabrantes, punchlines, des “putain !” et termine par le célèbre “Ta gueule, connard !”, qui clôture désormais chaque épisode. Elles parlent de toi, de moi, bref, de nous “les meufs lambda” et de nos vies quotidiennes. “On était en colère contre les mecs, Camille était en pleine rupture, moi j’en avais marre d’avoir peur en rentrant chez moi la nuit. Le but du Meufisme, c’était de raconter ces histoires qu’on avait vécues, sans casser les mecs”, précise Sophie, devant son amie qui lève les yeux au ciel à l’évocation de son ex, “ce vrai macho”.
Elles éclatent de rire, et impossible de ne pas les remarquer dans le bar, tant elles monopolisent l’attention et l’espace. C’est qu’en plus de raconter leur vie de manière décoincée, les filles ont de la gueule : une robe à pois pour Camille, avec bottes en cuir et cheveux frisés ; et des plateformes en motif croco pour Sophie, avec une jupe pin-up serrée en dessous de sa poitrine, un chemisier ultra moulant, sans oublier la touche essentielle : LE nœud papillon dans les cheveux (sa marque de fabrique), et LES pins sur le col.
Aujourd’hui, elle a opté pour le pot de pop-corn et la tête de chat aux lunettes tourbillon. “D’habitude je mets aussi un gros ‘bun’ dans mes cheveux, pour faire mon chignon, mais là non, j’avais les cheveux sales”, confesse Sophie en rigolant, en touchant sa coiffure improvisée à la dernière minute, avec l’aide de quelques épingles et du fameux nœud.
L’alliance entre Metallica et Godard
Camille semble de loin la plus calme des deux. “C’est une vraie intello ! justifie Sophie en la narguant. Quand je l’ai rencontrée, elle recevait des artistes plasticiens américains chez elle !” A l’époque, celle qui est aujourd’hui réalisatrice de la web-série était “une vraie cinéphile”, enchaînait les formations aux conservatoires ou au Laboratoire de l’acteur, voulait jouer “de grands rôles classiques”, poussée par son père qui était un fan de Godard. “J’allais rarement voir les grosses tartines au cinéma !”
Alors que Sophie, justement, “rêve” d’en réaliser. Hitchcock, les “popcorn movies” type Spielberg et Scorsese, ou écouter du west coast américain “bien vénère”, c’est plus son truc. “J’ai vu Easy Rider, de Denis Hopper, à 8 ans, du coup j’étais beaucoup moins fan de Godard, ça me faisait profondément chier !” Si elle s’est retrouvée à suivre le cours Florent, c’est surtout parce que sa mère voulait lui “redonner la patate”, notamment après sa perte de confiance due à une prise de poids et après “un drame sentimental d’une violence inouïe”, précise la trentenaire toujours émue, mais qui s’est depuis forgé un caractère de dure à cuire. Avant de se lancer sur YouTube, elle avait même envisagé de créer son propre one woman show.
Si leur union était hétéroclite, la distribution des rôles fut évidente : Camille, qui voulait arrêter la comédie pour se lancer dans la technique, serait la productrice de la série. Sophie, qui débordait d’idées, écrirait les scénarios et incarnerait Jolene, le personnage principal, aux côtés notamment de Thibault, aka “Doudou”, qui a le rôle de son copain dans les épisodes. Elles co-réaliseraient. Une alliance qui marche, et qui est aussi due à un autre de leurs talents : parler avec humour et de manière décomplexée de sujets tabous : les premiers dates avec un mec, la culture du viol, l’alcool, les ex, le maquillage, le sexe… Alors forcément, leurs vidéos sortent du lot, surtout que la qualité technique y est. Ici, c’est ambiance plateau de tournage avec du vrai matos, une vraie équipe de réalisation et de vrais comédiens.
Des “courts-métrages”, pas des “vidéos de youtubeur”
Car Le Meufisme, c’est bien cela : une web-série en épisodes, avec comme fil rouge le féminin, devenu au fil du temps féminisme. “On assume totalement le féminisme, même si on début on ne pensait pas en faire. On n’a pas créé la chaîne pour ça, ce n’était pas un étendard. Mais sans le savoir on était féministes, mais une autre forme de féminisme, qui n’était pas comme on l’entendait à l’époque de Simone Veil” explique Sophie.
Pendant toute l’interview (1 h 30!), elles n’emploient jamais le terme “vidéos” pour qualifier leur production, mais bien de “films” ou de “court-métrages”. “On voulait utiliser YouTube pour faire nous-mêmes nos réalisations cinématographiques”. Quelques mois après “Le FMI dla Meuf”, elles signaient leur premier contrat avec Canal +, pour financer une partie de la saison 2. Puis tournent une saison 3 consacrée aux extrémismes du féminisme, avec une bourse du CNC. De quatre, elles sont passées à une équipe de 25 personnes en trois ans. La série cartonne, et elles gagnent leur premier prix de la meilleure web-série humoristique au Web Program festival de la Rochelle.
Et puis plus rien. Depuis presque un an, aucun épisode n’a été publié sur la chaîne. C’est que depuis quelques mois, elles travaillent sur un gros projet qui dépasse les limites imposées par YouTube : leur propre film. Une consécration, pour ces deux comédiennes et réalisatrices qui se destinaient au grand écran. « YouTube n’a jamais été un aboutissement, mais bel et bien un tremplin. On va enfin pouvoir adapter le concept du Meufisme au cinéma, on est très excitées ! », explique Camille fièrement, sans livrer plus de détails car les négociations ne sont pas terminées. Et ce n’est pas tout, puisqu’elles rédigent aussi leur propre livre, qui retrace leur éveil au féminisme et la manière dont elles ont vécu l’histoire depuis les coulisses. “C’est un sujet brûlant !”, s’exclame Sophie.
De l’époque des levrettes, aux années TGV
Ces premières années ont des airs de « belle époque » pour elles aujourd’hui. Quand les tournages ressemblaient à une série de courses-poursuites avec Sophie “qui se cache toujours pour aller fumer dès que possible”, quand “Camille faisait le gendarme et moi le clown”. C’était l’époque où Sophie se tapait des angines à trop jouer, où ses “seins énormes tombaient de partout” car elle était enceinte de son petit garçon, où Camille se tapait des fou rire à filmer d’en dessous “la première levrette de la série”, où les tournages sauvages se terminaient à pas d’heures dans les rues. Quand les décors les lâchaient et qu’elles terminaient à filmer en banlieue, le plan B de dernière minute. L’époque où elles tournaient tellement, que les régisseurs en ont même oublié le sac de caméra dans les rues, gracieusement mis de côté “par un clochard à qui on avait donné une pizza”. L’époque où elles n’arrêtaient pas. Tellement, que les deux amies ne se voyaient plus que pour travailler. “On a passé trois années TGV entre les tournages, les rendez-vous, les conférences etc. C’est pas facile pour une amitié, on n’arrivait plus à sortir pour boire un café, on était limite devenues des collègues de travail…” se désolent les deux amies, ravies de pouvoir enfin se retrouver ensemble.“Camille est comme ses cheveux, c’est une boule d’énergie de dingue, une amazone qui n’arrête pas ! J’ai peur qu’elle ait un ulcère à 40 ans”, lance Sophie à sa copine, qui lui rétorque un “c’est une fille débordante d’énergie, une poète d’aujourd’hui. Mais elle n’a jamais réussi à me faire porter ses nœuds !”
Si elles y mettent autant d’énergie, c’est que leur mission (elles n’aiment pas le terme “combat”) semble marcher, avec une audience composée d’hommes à 40%.
“C’est vrai qu’on a trouvé une bonne alternative pour parler aux mecs, je pense que ça passe surtout par le fait d’intégrer un homme qui a le rôle du petit copain. C’est plus identifiable pour eux. Et puis je pense que ce qu’on a en plus : c’est l’humour. Notre audience c’est vraiment une petite victoire personnelle. Ça veut dire aussi qu’ils ont compris le message qu’on essaye de faire passer.”
Pour satisfaire leur communauté de fans très fidèles et impatients, avant même la sortie du film, elles ont prévu de publier très bientôt un nouveau pilote sur leur chaîne. De quoi leur laisser le temps de régler les derniers détails du long-métrage, dont le nom provisoire (Jolene dans le garage) promet d’être comme elles : déjanté.
Leur chaîne Youtube, leur compte Twitter et leur compte Instagram c’est par ici.
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