Depuis lundi, la plateforme existe dans deux nouvelles versions, en turc et en persan.
En octobre dernier, Macholand, une nouvelle plateforme dont le but est “d’industrialiser la révolte” antisexiste, apparaissait sur le web. Aujourd’hui, 24 000 personnes ont participé à plus d’une trentaine d’actions. Elles sont menées via Facebook, Twitter ou par mail et pointent du doigt aussi bien des politiques que des publicitaires, pour leurs propos un tantinet machistes, voire complètement misogynes. Caroline de Haas, Clara Gonzales et Eliott Lepers, les trois fondateurs du site, ont exprimé dès le départ leur souhait de voir leur outil utilisé par le plus grand nombre en France, et pourquoi pas, à terme, à l’international. Il n’aura fallu que cinq mois pour que cette envie devienne réalité.
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Dilara Gürcü, turque et Soudeh Rad, iranienne, sont deux activistes que le féminisme a poussées à quitter leur pays respectif pour s’installer à Paris. Il y a quelques mois elles ont entendu parler de Macholand. “J’ai vu l’interview de Clara sur France 24 dans laquelle elle disait qu’elle attendait des gens pour porter le projet dans d’autres pays. Je l’ai tout de suite contactée”, se souvient Dilara. Même chose pour Soudeh qui était alors en train de créer “clic 2 act”. « Elle nous a interpellées sur Twitter pour dire que l’Iran aurait bientôt son propre Macholand, nous nous sommes mises en relation. Parler avec Dilara et Soudeh m’a fait comprendre que si pour nous, utiliser le web, c’est un moyen parmi d’autres de lutter, pour d’autres c’est la seule option » raconte Clara Gonzales.
Anticiper la censure
Commencent alors plusieurs mois de travail. Elliot Lepers développe Macholand.org, une plateforme globale sur laquelle seront réunis les différents sites :
« Le gros travail de ces dernières semaines a été de mettre en place un système qui puisse nous permettre de créer des sous-sites très facilement. Aujourd’hui on peut le faire en dix minutes, choisir la langue, changer les couleurs, etc.” explique-t-il.
Mais au-delà de l’aspect purement logistique et théorique, l’équipe doit très vite prendre en compte le problème de la sécurité.
“On avait toujours voulu étendre le projet à un réseau international de plateformes, mais nous n’avions pas forcement anticipé la censure et les questions de sécurité. Nous avons vu en France ce que Macholand pouvait générer comme haine. Nous avons reçu des menaces personnelles et directes à plusieurs reprises, qui ne sont pas toujours faciles à gérer. Mais quand il s’agit de l’Iran, on parle d’un type de menace beaucoup plus dangereux et violent”, précise Clara Gonzales.
Ils se mettent alors en relation avec Iran Security Team, un collectif qui travaille à protéger les sites des activistes dans le pays, mais aussi à l’international, pour éviter toutes formes de piratage. Un travail fastidieux mais nécessaire, face à une intimidation qui émane autant des détracteurs parmi les citoyens, que des gouvernements eux-mêmes.
“Si nous avions hébergé le site en Iran il aurait été fermé. Il l’est donc en France à l’adresse macholand.org/fa. Par précaution, nous avons aussi acquis le nom de domaine macholand.ir pour être sûrs de ne pas avoir de ‘site miroir’ qui tiendrait des propos sexistes. Le gouvernement va sans doute interdire l’accès à notre plateforme. Mais ceux qui souhaiteront y accéder trouveront des parades comme pour Facebook et Twitter, grâce à des VPN. Nous avons déjà des retours de gens qui ont peur de participer à nos actions et de laisser une trace, comme leur adresse IP. C’est pour ça qu’ils préfèrent le système des pétitions, où on ne laisse que son nom, à celui des mails. Mais ma réputation en tant qu’activiste rassure ceux qui savent que je suis derrière le projet », précise Soudeh Rad.
Celle qui aidait les femmes à être indépendantes
La jeune femme est connue de la sphère féministe aussi bien française qu’iranienne. Née à Téhéran, sa famille s’installe en Autriche l’année de ses dix ans. Mère croyante, père laïc, elle est éduquée dans la tradition musulmane. A sa majorité, elle décide de retourner en Iran. Elle y suit des études de mathématiques, tombe amoureuse, se marie instantanément. « C’était le seul moyen pour nous d’être ensemble et j’avais le sentiment de pouvoir faire ce que je voulais. » Première de sa promotion, elle commence à enseigner et s’installe avec son époux dans une grande maison. « D’un point de vue normatif j’étais la femme parfaite. Mais c’est là que j’ai commencé à me dire que quelque chose n’allait pas dans cette société. Ma relation de couple a évolué. Il y a eu beaucoup de violences morales et physiques. J’ai commencé à lire des écrits féministes. J’ai récupéré mon passeport auprès de mon mari dont je me suis séparée, et je suis venue en France. »
Tout en poursuivant ses études, Soudeh s’intéresse au Mouvement de libération de la femme. Quand elle revient en Iran, elle n’est plus en accord avec son entourage. Elle part alors écumer la campagne reculée pour apprendre l’entrepreunariat aux femmes. « C’est là que le gouvernement a commencé à entendre parler de moi. Je suis devenue celle qui aidait les femmes à être indépendantes. »
La pays où le mot « macho » n’existe pas
En septembre 2008, elle revient définitivement en France, prend contact avec des féministes iraniennes, rejoint Osez le féminisme et devient webjournaliste en farsi la langue parlée en Iran. Dans la foulée, elle fonde sa propre association : Spectrum. Aujourd’hui, elle prend régulièrement la parole en faveur des femmes et de la communauté LGBTQI d’Iran, et sait qu’elle ne peut y retourner sous peine de risquer l’emprisonnement.
“Je suis plus utile ici de toute façon. […] Bien sur, il y a une grande différence entre le Macholand français et le nôtre. Le mot ‘macho’ n’existe même pas en Iran. Certaines personnes que nous avons pointées du doigt sur le site ne savent pas ce qu’est le sexisme. Pour nous l’objectif n’est pas d’obtenir de réponse de ceux à qui nous nous adressons, mais nous voulons surtout éduquer les gens pour leur faire comprendre qu’ils ont le droit de réagir.”
« Éduquer ». Une notion qui parle aussi à Dilara Gürcü :
« Le sexisme est très méconnu en Turquie, il n’est pas compris. Maintenant que les réseaux sociaux ont pris de l’importance depuis les dernières vagues de manifestations, les gens se tournent vers internet pour donner leur avis. Je pense qu’un site comme Macholand peut être à la fois pédagogique et pro actif. Pour l’instant, les textes qui décrivent nos actions sont plus longs que ceux de la version française ou iranienne. Justement parce que quand nous repérons un problème, nous devons tout expliquer : à qui nous nous adressons, sur quel sujet, mais surtout pourquoi c’est un problème. »
Si la mort d’Ozgecan Aslan (une jeune étudiante de 20 ans brutalement assassinée par le chauffeur de bus qui avait tenté de la violer) a ému le pays tout entier, il est pourtant le symptôme d’une société gangrenée par la violence envers la population féminine. Une situation ancienne qui a empiré ces dernières années, comme le prouve l’augmentation de 31 % du nombre de meurtres de femmes entre 2013 et 2014.
“Grandir en Turquie c’est apprendre à fermer les jambes à quatre ans, à ne pas porter de collants à 14, à ne pas se promener seule dans les rues à 16, etc. Nous sommes socialement obligées de nous marier avant nos 30 ans et de faire des enfants avant nos 35, sans quoi nous ne sommes pas des vraies femmes. Le fait d’avoir à subir cette pression, j’ai commencé à penser : ‘je vaux mieux que ça’. »
Après le lycée, Dilara Gürcü a quitté Izmir pour étudier la psychologie, d’abord à l’école américaine d’Istanbul, puis à New York pendant un an. Il se passe peu de temps après son retour à Istanbul avant qu’elle ne se décide à partir définitivement. Installée en France depuis maintenant un an et demi, elle tient un blog dans sa langue maternelle, et écrit une chronique féministe hébergée par un pure player turc d’information. « Ce sont surtout les hommes qui réagissent à mes articles. Soit ils m’insultent, soit ils sont réceptifs et me remercient. »
Avec l’aide de son amie Sibel Schick, qui a elle aussi décidé de quitter la Turquie pour s’installer en Allemagne, elle s’est lancée dans l’aventure Macholand.
« Nous n’avons pas voulu utiliser le mot ‘macho’ parce qu’en Turquie, ‘macho’, c’est un compliment. C’est ce que les hommes veulent être et c’est ce que les femmes recherchent. Du coup nous avons opté pour ‘Erktolia‘, un néologisme qui mélange les mots : Anatolia, homme et pouvoir, pour dénoncer le patriarcat. J’ai ensuite contacté des membres du collectif purple roof qui hébergent des femmes battues à Istanbul pour participer au projet. »
La plateforme a déjà recueilli 2 000 like sur Facebook et 500 participations aux actions lancées depuis le début de la semaine. “Maintenant on sait que nous ne sommes pas seuls” se félicite Dilara Gürcü.
Soudeh Rad insiste elle aussi sur cette notion d’union : “Six membres de mon association Spectrum participent à Macholand. Plusieurs d’entre eux sont installés en Iran, le reste est réparti entre les Etats Unis et l’Indonésie par exemple. Cette diversité nous rend plus forts.” Pour Clara Gonzales, l’évolution de la plateforme vers un réseau international est un « aboutissement qui a beaucoup de sens« .
Elle et Elliot Lepers sont actuellement en contact avec de nouveaux participants potentiels au Japon et en Allemagne. Ils ne voient pas de limite à l’expansion du dispositif qu’ils ont créé, sauf peut-être celle du financement. « Le site devient un outil toujours plus global pour poursuivre la lutte contre le sexisme. Pour l’instant tout repose toujours sur le bénévolat, mais à mesure que le projet grandit, on commence à penser à trouver de l’aide pour être financés. » conclut Clara Gonzales.
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