Afin de sortir peu à peu de l’état de sidération qui l’avait foudroyé après les assassinats de janvier, Luz a dessiné des planches très personnelles, en plus de ses dessins pour “Charlie Hebdo”. Le résultat s’intitule “Catharsis” (Futuropolis), et sort en librairie le 21 mai. Entretien exclusif dans sa version intégrale et extraits en avant-première.
Comment échapper à la folie ? C’est déjà de peu que Luz a évité l’horreur meurtrière le 7 janvier quand la guerre frappe à la porte de Charlie Hebdo le jour de son 43e anniversaire, décime sa rédaction, assassine Charb, son meilleur ami, et Cabu, son mentor. A quelques mètres, Luz assiste, interdit, à la chorégraphie de ces hommes en noir sortant de l’immeuble avant que le “tak tak tak” de leurs kalachnikov ne le sorte brutalement de la sidération. Puis, là où il y aurait dû y avoir des rires, le silence et un rouge incandescent qui hanteront ses pensées pour longtemps.
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Et d’un coup, avec le surgissement du tourbillon médiatique, le réel vacille et s’accélère : traque et mort des terroristes, les “Je suis Charlie” et aussi ceux qui ne le sont pas, les millions de soutiens, les milliers de dessins, les injonctions compassionnelles à continuer le combat, et cette couverture verte née des larmes qui fera le tour du monde. Ce tourbillon, on le connaît bien, il a empli l’espace de nos vies des semaines durant. Avant, qu’en apparence, le calme revienne et ne reste que les hommes en armes aux coins des rues qui finissent par faire partie des murs.
Une guerre psychologique et intime contre la folie
Catharsis raconte l’histoire d’après, et de celle-là, on ne sait pas grand-chose : celle d’une guerre psychologique et intime contre la folie qui s’immisce dans la brèche ouverte par la perte intolérable et l’enfermement. Comme son auteur qui, pendant des mois, fut branché sur un courant alternatif le faisant passer du rire aux larmes, Catharsis joue une partition à plusieurs voix entre détresse et joie, violence et tendresse infinie. Avec comme fil rouge, ce regard malicieux et généreux, profond mais jamais sérieux, même dans les moments de désespoir – la patte de Luz, qui dessine ici une œuvre à son image : fantasque, drôle, touchante et sensible.
A chaque nouvelle planche, Luz reconquiert un peu de ce terrain perdu face à la peur pour se jouer au final du désespoir, de la violence et du chagrin. Dans cet entretien exclusif, le dessinateur revient longuement sur les attentats et Charlie Hebdo, son passé et son avenir et sur tous ces petits bonheurs qu’il avait crus perdus.
Comment est né le besoin d’écrire ce livre ?
Luz – De l’obligation de reprendre Charlie Hebdo, comme une béquille en fait. Le 8 janvier, au lendemain des attentats, on se tombe dans les bras, on se serre et je dis : “Je ne peux pas dessiner.” Certains veulent refaire un journal, tout de suite. J’étais un peu seul à dire que c’était absurde, qu’il fallait du temps, qu’on était trop ballottés par les émotions, trop choqués. Comment reconstruire Charlie si nous ne l’étions pas nous-mêmes ? Mais il a été acté collectivement qu’il fallait faire un numéro, dit par la suite des “survivants”. Quel nom à la con ! Encore un qualificatif qui nous a échappé, numéro des résistants serait plus juste, nous on l’appelle “le numéro vert”. Il me fallait donc redessiner.
Pourquoi acceptes-tu de continuer ?
Je me force. Il y a un poids énorme sur mes épaules, celui du collectif, de la mémoire, une lourdeur personnelle – qui serais-je si je ne dessinais plus ? Même si c’est par orgueil, je ne pouvais pas dire : “Je vous laisse tomber”. Je commence à griffonner. Toujours le même personnage : un petit bonhomme sidéré. Celui-là même que j’avais dessiné la veille au 36, quai des Orfèvres lorsque les policiers m’ont demandé ce que j’avais vu. Ce personnage a vu quelque chose qu’il ne voulait pas voir. Catharsis commence par un dialogue entre lui et moi : “Et toi, t’as vu quoi ?” Je passais du rire aux larmes. Pour avancer, il fallait que je raconte l’histoire de ce bonhomme et cela ne pouvait pas être dans Charlie.
Cette une, devenue mondialement célèbre, comment arrives-tu à la “pondre” ?
Il y avait cet autre poids, important : des présents, j’étais le plus ancien. Riss était à l’hôpital. J’ai fait ce dessin à la dernière minute. Je suis resté prostré des heures à convoquer ceux que les autres auraient pu faire. J’en ai pondu des dizaines pour arriver à cette dernière goutte. Ça m’a fait pleurer comme une madeleine. Dessiner Mahomet n’avait rien à voir avec la revanche, la une devait avoir un lien direct avec la raison de ce drame et c’est pour ce dessin que les copains sont morts. J’y ai ajouté un message bizarre : “Tout est pardonné” – qui pardonne qui ? Le dessin me dit : “On va s’en sortir parce que t’es encore là pour me dessiner”. Mais je ne dessinerai plus le personnage de Mahomet, il ne m’intéresse plus. Je m’en suis lassé, tout comme de celui de Sarkozy. Je ne vais pas passer ma vie à les dessiner.
Le 11 janvier, les Américains manquent le défilé des chefs d’Etat. Ils auraient voulu se rattraper… Que s’est-il passé ?
C’est cocasse. Ils avaient le cul merdeux : Obama n’avait pas mandaté de représentant important et envoyer John Kerry voir Hollande par la suite n’était pas suffisant. Je ne sais plus qui a contacté qui, le staff d’Obama ou d’Anne Hommel (spécialiste de la communication de crise et proche de Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo – ndlr). L’idée était de faire venir des gens de Charlie à la Maison Blanche. Une interview ? La classe ! On aurait été direct. Sauf qu’“ils” voulaient faire venir un dessinateur pour croquer Obama. On n’est pas à Montmartre ! J’ai dit : “S’il vient à Paris, je mets de la Budweiser au frais et je le dessine.” En termes d’image, faire allégeance à la première puissance militaire mondiale aurait été terrible et dangereux. Et ça aurait fait se retourner Cabu dans sa tombe. Il a été décidé collectivement que ce n’était pas à nous de panser les plaies de la diplomatie américaine. Le staff d’Obama a répondu : “Vraiment, on ne comprend pas les Français.” (rires).
Dans ton livre, tu dessines un personnage larmoyant qui te dévore, qui est-il ?
Les injonctions compassionnelles à continuer le combat. Elle est où la guerre ? On est ni des soldats ni des héros. On est quinze personnes. On nous confond avec la République. C’est très lourd à porter. A Charlie, on a eu l’impression qu’il fallait consoler la France entière du drame que l’on vivait. J’avais fait une proposition de couverture pour le premier numéro – pas assez politique pas être retenue – “Et sinon, vous, ça va ?” Un jour, un des organisateurs du Festival d’Angoulême m’a pleuré dans les bras : c’était désarmant. Avec Catharsis, les gens pourront peut-être pleurer sans l’aide de mes épaules.
Il paraît que vous avez fait une fête d’enfer au ministère de la Culture. Tu me racontes ?
Je ne l’ai pas dessinée parce que je ne voulais pas représenter les autres et leur voler une fois de plus leur image comme cela a été le cas dans les médias. Tout comme je n’avais pas envie de représenter les disparus, mais juste d’en parler. Environ un mois et demi après les attentats, la ministre nous accueille sans qu’on sache pourquoi. Dès qu’on a appris qu’on pouvait fumer à l’intérieur, ça a été le grand n’importe quoi. Pourquoi se priver de ça ? J’ai fait du stage diving dans les fauteuils du ministère sur Nirvana. J’ai aussi fait une démonstration de voguing à Fleur Pellerin – j’ai pris des cours. Elle prenait des notes, genre c’est le dernier truc à la mode, mais je lui ai dit que c’était apparu en 1989 à New York ! (rires)
Sérieusement, tu as pris des cours de voguing ?
Oui, mais il y avait deux problèmes : c’est super physique et c’est quand même malgré tout ultra gay. Ça ne me dérange pas du tout mais c’était un petit poil too much pour moi.
A l’enterrement de Charb, tu dis : “Charb, mon amant.” Certains médias ont cru que vous aviez vraiment une aventure.
Quelle histoire magnifique ! (rires) Je vis un drame ahurissant, je nage dans l’absurdité la plus totale et je dois faire un discours à l’enterrement du meilleur ami que j’ai eu dans la vie. Je pleure ? Je me calfeutre ? Ou j’essaie d’être moi-même ? J’ai pensé au discours de John Cleese à l’enterrement de Graham Chapman des Monty Python. Il dit : “Fuck” et tout le monde est plié de rire. Quelle ode funéraire incroyable. Moi, je dis “enculé”, “bite”, “poil”, “cul”, “chatte” devant BFM et je les emmerde, et je vous emmerde tous. Je conclus : “Vous êtes Charlie ? Mais prouvez-le.” Faites des dessins, faites chauffer les scans et les imprimantes. Vous ne pouvez pas vivre la liberté d’expression par procuration. Ce journal, flingué mais debout, ne peut pas porter à votre place toutes les aspirations de l’après-Charlie.
Tu assumes l’embrassade avec Madonna en larmes au Grand Journal ?
On avait bien reçu le soutien de Benyamin Netanyahou, je ne vois vraiment pas pourquoi je me serais privé de celui de Madonna, d’autant qu’elle nous a soutenus rapidement après les attentats. J’ai tout de suite vu qu’elle était sincère, ça avait du sens de se prendre dans les bras.
A la fin du Grand Journal, dans “la Boîte à questions”, tu montres ton sexe. Dans Catharsis, tu te dessines souvent nu avec un petit zizi.
Oui, il faut être honnête : non seulement on n’est pas des héros mais on n’est pas des Rocco Siffredi. La vie est télescopique. Le cirque médiatique et le traumatisme sont à la fois tellement absurdes et tellement réels qu’autant être soi-même, montrer sa bite. Sinon ce n’est pas la première fois que je me dessine à poil. Il y a une impudeur que j’espère créative : on ne peut pas parler de ce qu’on a dans le crâne sans être impudique. Mais ce n’est pas du Christine Angot, ou alors du Christine Angot version Stephen King.
La catharsis signifie passer de l’émotion à la pensée. Ton livre est-il un moyen de te reconstruire ?
Ses planches ont été pendant trois mois mon endroit de nécessaire expression – je ne pouvais pas revenir tout le temps au 7 janvier. En posant sur le papier ce que j’avais dans la tête, Catharsis m’a permis de transformer et de me réapproprier ma psyché, celle directement liée à Charlie Hebdo. Je dessinais pour me lire et me comprendre, mais aussi pour Camille, la personne qui vit avec moi, pour la rassurer, lui dire que j’avançais. J’ai réussi à rire en dessinant la planche d’un de mes rêves, alors qu’elle est horrible : je suis à la conférence de rédaction du 7 janvier, je propose des idées, mais j’ai la moitié de la gueule arrachée. Une fois cette planche faite, je n’avais plus besoin de penser à ce qui se serait passé “si”. Je l’avais dessiné, c’était derrière moi. Je pouvais passer à autre chose. Et ainsi de suite.
C’est aussi un livre sur l’amour.
Je me suis rendu compte tard que c’était une déclaration d’amour à la femme de ma vie. Je suis arrivé en retard ce matin du 7 janvier parce que mon anniversaire a été fêté avec un amour démesuré. Le drame aurait pu saloper notre relation. Mais nous avons réussi à le dépasser. Le seul témoignage de Catharsis est cette preuve d’amour mutuel – peut-être, surtout, du sien. Il faut être solide pour se dire qu’on peut encore aimer quelqu’un qui est peut-être en train de devenir fou.
Ce livre te sauve de la folie ?
Oui, vraiment. Ma réalité psychologique s’est défragmentée. J’avais un bout de cerveau qui cognait contre les murs, je ressassais les mêmes images, je ne les digérais plus. Je devais recoller les morceaux par le dessin. En couchant sur le papier les images qui m’obsédaient, je les sublimais et les dominais. Un jour, on entre dans un café, un mec se bidonne en lisant Idées noires de Franquin. Catharsis relève aussi de ça, de la manière de sortir de la dépression par l’art.
Pourquoi as-tu ressenti le besoin de publier ces planches ?
Laisser ces dessins dans un coin a commencé à me terrifier. Un jour, j’allais ouvrir le tiroir et ils m’exploseraient à la gueule. Il fallait que ce soit un livre publié vite pour que tout soit derrière moi rapidement. J’ai appelé Alain David (éditeur de BD – ndlr), qui travaille maintenant à Futuropolis. Il a un regard intelligent sur la manière dont le dessin peut être utile pour les autres. Il a publié les premiers fanzines de Joe Sacco, un dessinateur qui raconte la guerre. Nous, la guerre est venue à nous. Ce n’est pas un livre sur Daech, sur les attentats, ou un témoignage… Catharsis parle de guerre psychologique. Ce livre raconte les batailles intérieures menées au jour le jour après avoir été entraînés dans une guerre qui n’est pas la nôtre. Au milieu de l’écran de fumée, on essaie de reconstruire notre baraque qui a croulé sous les bombes.
As-tu pensé aux lecteurs en dessinant ce livre ?
Après les attentats, j’ai demandé à ma psy si les gens en parlaient. Elle m’a répondu qu’ils ne parlaient que de ça. On est tous dans le même bateau, à des degrés divers. J’ai vu les terroristes sortir mais je n’étais pas dedans, tout comme les millions de manifestants. Eux aussi ont été choqués. Il y a forcément quelque chose de commun. En deux mois, on passe par des phases de colère – donc on manifeste –, puis de tristesse. On relit Charb, Bernard Maris. Puis vient la déprime, la peur. La France est passée par la peur. Et ça continue. Il y a des flics devant les synagogues, des administrations, dans les gares. Tout le monde le voit. D’une certaine manière, les Français sont dans la même situation de protection que moi. Leur dépression a peut-être été de voter Marine Le Pen, mais ça c’est une névrose plus ancienne. (rires)
Dans Catharsis, tu dessines les frères Kouachi sortant de Charlie Hebdo de manière surprenante : ils dansent, s’embrassent et s’enlacent, rien à voir avec la violence et la guerre.
Le matin du 7 janvier, je suis à dix ou vingt mètres de Charlie Hebdo et je vois deux hommes en noir déambuler dans la rue. C’est absurde mais je trouvais leurs déplacements hyper beaux et précis, comme une chorégraphie de Mathilde Monnier. Ensuite, ils m’ont obsédé dans d’autres circonstances, comme avec le bruit de leurs kalachnikovs. Ce “tak tak tak” et le silence dans l’immeuble m’ont longtemps hanté, emplissaient ma tête. J’ai peu écouté de musique, elle a été un terrain à reconquérir. La première chanson que j’ai réécoutée c’était Camille de Al Kooper. Ensuite, j’ai écouté Fools Gold d’Alan Price, puis les Animals, et c’est revenu progressivement. Toutes les chansons parlent de perte, d’amour mais pas de ce genre d’histoire. Même la techno ne m’a pas parlé pas, pourtant ça aurait dû.
Tu représentes les frères Kouachi gamins en train de dessiner, comme si la société était passée à côté de ces enfants.
L’idée que l’on puisse tuer à cause d’un dessin a traumatisé les Français. On a tous dessiné petits. Les gens ont pleuré parce qu’une part de l’innocence enfantine a été abattue. Cabu évoque Récré A2 et ses dessins pour les gamins. Charb, c’est aussi Maurice et Patapon. Wolinski, les nanas à poil. Comme tous les enfants, les frères Kouachi ont connu l’innocence de gribouiller des dessins pourris. Ils n’étaient alors ni dans la politique ni dans la religion. Il y avait un dialogue possible. En tuant douze personnes, les frères Kouachi ont assassiné leur propre innocence enfantine, se sont tiré une balle dans leur imaginaire. Ils sont arrivés déjà morts. Ils n’ont pas été tués par le GIGN, ils se sont suicidés.
Dans Catharsis, tu nommes ta protection “mes flics”…
Je n’ai pas eu de chien, j’ai des flics. J’essaie d’avoir une vie normale et je suis dans une bulle avec des flics, rarement des nanas. La seule fois où j’ai vu un bouquin entrer dans la bagnole, c’était une fliquette qui l’avait amené. Sinon c’est souvent des blagues un peu macho, ou alors les types engueulent les mecs à Vélib’. Pas méchants mais parfois un peu bourrins. Avec eux, faire un reportage est très compliqué. Je suis allé voir des Roms à Champlan avec cinq flics, la ville où le maire avait refusé d’enterrer un bébé rom. Cela a été une sacrée négociation pour entrer. Un Rom a dit à un flic “mais je te reconnais toi, tu m’as déjà arrêté !” (rires).
Tu dessines avec malice les trois policiers qui te protègent en permanence dans des planches où tu essaies de leur échapper. Tu vis au quotidien la conséquence immédiate des attentats : l’extension de la société de surveillance. Y penses-tu quand tu les dessines ?
C’est le dernier rempart à ma liberté psychologique et physique. Après les attentats, le gouvernement s’est lancé dans une réforme du renseignement. J’aurais aimé qu’ils en sachent plus sur les frères Kouachi et sur Coulibaly avant leurs actes irréparables. Nous acceptons d’être tous potentiellement surveillés comme des jihadistes parce que nous ne le sommes pas. Pourtant, cette loi est une altération intolérable de nos libertés individuelles. Il est effrayant que la société s’habitue à les négocier. Le gouvernement ne cesse d’invoquer Charlie Hebdo pour justifier cette loi liberticide alors qu’on est un journal qui lutte contre les atteintes aux libertés ! C’est schizophrène : on ne veut pas être utilisés comme argument publicitaire par Manuel Valls pour vendre sa politique sécuritaire. Quelle est notre voix au milieu de tout ça ? Est-on plus entendus qu’avant ? Pas sûr, malheureusement. Et les gens ne se posent même pas la question de savoir ce que Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy feraient de ces lois.
Où te situes-tu politiquement ?
Au début de Charlie, je me définissais comme communiste libertaire. Aujourd’hui, plutôt comme un fouteur de merde, joyeux et végétarien. J’ai failli être rocardien. (rires) Au lycée, je suis allé faire un tour aux Jeunesses rocardiennes mais quand j’ai vu ces types avec des chemises en lin discuter autour d’une table, je me suis dit que je ferais de la politique autrement. (rires) Par la suite, j’ai voté coco, écolo, socialo – mais jamais au premier tour. A la dernière présidentielle, j’ai voté Hollande par dépit joyeux. Pour sortir l’autre imbécile. Est-ce que le rictus de Sarkozy après sa défaite vaut cinq années de Hollande ? Peut-être bien.
Tu fais davantage confiance à la gauche ?
J’ai serré la main de Manuel Valls plusieurs fois, tendus comme des slips l’un comme l’autre, et à chaque fois il avait le même rictus. Mais quand même : heureusement qu’on est sous présidence Hollande et pas Sarkozy, même si cette gauche s’est droitisée. Quelque part, Hollande, il nous a foutu, je ne dirais pas la paix, mais laissés un peu tranquilles. Imagine le cirque sous Sarkozy ! Il se serait pris pour le général de Gaulle. Il aurait fallu se fader des réunions, j’aurais été invité à bouffer chez Carla Bruni et à faire des guilis à Giulia. On aurait eu un Patriot Act à l’américaine. Et avec Marine Le Pen ? Bien pire.
Dans Le Supplément de Canal+, Philippe Val, directeur de la rédaction de Charlie Hebdo de 1992 à 2009, a dit ceci : “Les terroristes ont gagné.” Es-tu d’accord ?
J’ai sauté au plafond en entendant ça. C’est tellement dingue. Il n’est plus lui-même, ce garçon et il ne parle qu’en son nom. Il n’est plus Charlie, il n’est pas Charlie, il fait juste partie de l’histoire de Charlie. Il est dans le déni de ce qu’il a été pour ce journal : quelqu’un qui a publié toutes les caricatures danoises. Ce n’est pas étonnant qu’il ait baissé les bras, mais il ne les baisse pas à notre place. Les terroristes n’ont pas gagné. Ils auront gagné si la France entière continue d’avoir peur – le ressort du FN. L’esprit Charlie gagnera si on arrive à empêcher la terreur de venir par les urnes. Mais ça ne dépend pas de nous, on n’a pas le pouvoir de changer la société.
Dans cette même émission, Val ajoute : “J’ai travaillé dans un journal qui avait un environnement très gauchiste, dont certains étaient violemment propalestiniens, ce que je ne comprends pas qu’on puisse être.” Charb était très propalestinien.
C’est la raison pour laquelle Charb était rédacteur en chef le 6 janvier et pas lui, parce que Philippe Val suivait une sorte de logique personnelle un peu confuse, différente de celle de l’histoire de Charlie que Charb, lui, a portée. On a vu Val se droitiser dans ses éditos sans que l’on sache pourquoi. Un monomaniaque propalestinien manque beaucoup aujourd’hui dans Charlie Hebdo.
C’est quoi l’esprit Charlie ?
C’est avoir une vraie indépendance de pensée. Ne pas être bloqué par ce que le monde des “adultes” essaie de nous imposer, et analyser la complexité de la société avec humour et non avec les sourcils froncés.
Que penses-tu des gens qui ne sont pas Charlie, comme l’anthropologue et sociologue Emmanuel Todd ou le rappeur Booba ?
En général, cela ne me dérange pas. On n’a jamais été là pour être consensuels. Ce qui me dérange, ce sont les gens qui disent “Je ne suis pas Charlie” en mettant dos à dos terroristes et personnes fusillées. Il ne s’agit pas d’un clash entre deux bandes rivales. Les terroristes sont pour la peine de mort, et ils l’actent. Les renvoyer dos à dos, c’est valider l’idée de la peine de mort et c’est intolérable.
Il a été parfois demandé à la communauté musulmane de se désolidariser des terroristes. Cette injonction t’a-t-elle choquée ?
A l’enterrement de Charb, un barbu est venu me voir avec ses gamins et il m’a dit : “Je suis pontoisien, j’aimais Charb et ses dessins, des fois non, continuez, je suis triste, on n’est pas comme ces gens-là.” Ça m’a beaucoup ému. Je lui ai répondu qu’il n’avait pas à s’excuser pour des gens qui ne croient pas suffisamment en leur Dieu au point de jeter leur propre foudre contre nous. On était entourés de caméras, mais il parlait d’une petite voix, ce n’était pas médiatique. Je n’ai jamais vu passer cette séquence. Une fois en conférence de presse, j’ai dit : “Je suis Charlie, je suis juif, je suis flic, mais je suis aussi musulman.” Cela n’a évidemment pas été relayé, ça n’intéresse personne. Alors qu’une haine antimusulmane se propage, les actes contre des musulmans sont sous-médiatisés.
Pour répondre aux accusations de racisme et d’islamophobie qui collent au journal, Charb venait d’achever Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (livre paru le 20 avril aux Editions Les Echappées). L’as-tu lu ?
Je n’ai réussi à en lire que la moitié, tout comme le livre que Charb devait m’offrir le soir de mon anniversaire, L’homme qui aimait les chiens du Cubain Leonardo Padura Fuentes. C’est l’histoire d’un mec qui rencontre Ramón Mercader, l’assassin de Trotski. Ce livre traite d’exclusion, de peur, du fait d’être un paria, de se sentir menacé. Il fait bizarrement écho à ce que Charb vivait avant les attentats : il était le directeur d’un journal qui n’avait plus trop de lecteurs. Il était sous protection policière. Il passait son temps à regarder des vidéos de décapitations sur internet parce que c’était l’actualité. Ce livre laissait entrevoir ce qui allait nous arriver à tous. Charb était visionnaire, il a fait un dessin sur les attentats. C’est une des personnes que je convoque le plus. Je n’ai pas son talent rhétorique, c’était le Reiser de la fin du XXe et du début du XXIe.
Ces attaques te blessent-elles ?
C’est vraiment blessant et très injuste. Le bouquin de Charb y répond de manière efficace. Renvoyer Charlie à ce quiproquo arrange plein de gens : ceux qui utilisent la laïcité à des fins politiques – de Tariq Ramadan à Rokhaya Diallo –, les racistes, mais surtout pas la communauté musulmane. J’aurais aimé que ces millions de manifestants lisent le Charlie d’avant les attentats et voient ce qu’on n’a jamais cessé d’être : un journal de gauche fait d’anars, de socialos, de cocos et de trotskos. On ne se présentait pas comme un journal laïc mais comme un journal athée, d’un athéisme joyeux. Aujourd’hui, on serait le fer de lance d’une pensée laïque particulière et positive ? Pas du tout. La laïcité ne doit pas être manipulée par le politique. On a toujours fait des dessins antireligieux parce qu’on trouve que la religion c’est con et parfois un peu dangereux. Quitte à être obsédés par des sujets sérieux, soyons-le plutôt par le droit de vote des immigrés.
Dans Catharsis, tu te dessines à 20 ans : longs cheveux sales, trois poils au menton, un T-shirt rayé moche, des lunettes rondes, encore puceau. C’est l’année où tu commences à Charlie. Comment cela s’est-il passé ?
Je vivais à Tours et portais des ponchos pourris. Je faisais des fanzines de BD pour me sortir de l’ennui de cette petite ville bourgeoise. L’un d’eux s’appelait Hiroshima. Il y avait déjà l’envie de tout faire péter. J’ai fait ma culture politique en fac de droit parce que j’y ai rencontré un maximum de connards. Ces petits fachos en loden, déjà bien décomplexés, m’ont motivé – on dit que la droite a changé mais c’est un leurre. Quand je suis entré dans un amphi en voyant un tag “Faurisson avait raison, les chambres à gaz, c’est du bidon”, je me suis dit que j’allais dessiner autre chose que des petits pingouins.
Tes parents lisaient-ils des BD, étaient-ils politisés ?
Ils cachaient dans un coin quelques Reiser. Faire ses premières branlettes sur Phantasmes éduque autant ton regard graphique que ta vie sexuelle. Jeune, j’avais des goûts mainstream, j’étais abonné au Journal de Mickey. Charb était Pif. Pas les mêmes écoles : Pif c’était pour les enfants de parents communistes tandis que Mickey, c’était celui du grand capital (rires). Mais j’étais d’accord sur le fait que c’était cool d’avoir le coutelas de Rahan.
Mes parents étaient gentils et pas très politisés. Mon père était informaticien dans une banque et ma mère coiffeuse. Ils m’ont donné la chance de continuer le dessin. Si j’étais bon élève, j’avais autant de papier que je voulais. Ma famille, ce monde d’adultes bizarre, a été mon premier terrain de reportages. Je me disais : “Tiens, tel tonton, c’est un con”, et je le dessinais. Après, au lycée, j’ai fait les manifs Devaquet, celles du Scalp, j’étais à Ras l’Front. On assistait à la montée très inquiétante du FN, qui faisait son entrée à l’Assemblée nationale en 1986.
Que penses-tu de la place importante qu’occupe le Front national aujourd’hui dans les médias ?
J’ai regardé l’interview de Marine Le Pen sur TF1 sur Internet. Avant chaque vidéo, il y a de la pub. Pour elle, il y en avait 80 secondes ! Pour Djamel, c’était 50 secondes. Ce n’est même pas une question de buzz, ça veut dire que c’est bankable. Pendant la campagne, les reportages sur Marine Le Pen étaient ultra soft, absolument plus critiques. C’est plus facile pour les journalistes de parler des guéguerres internes plutôt que de contrecarrer les contre-vérités politiques et économiques du FN. J’ai énormément de mal à dessiner Marine Le Pen, je ne m’amuse pas avec elle, contrairement au père, notre meilleur allié contre le Front national.
Pourquoi la fac de droit, tu ne voulais pas être dessinateur ?
Je ne me voyais pas d’avenir dans la BD. Le droit me permettrait d’obtenir des connaissances sur le fonctionnement de la vie publique et m’aiderait à devenir chroniqueur dans un journal. Je ne voulais pas être Plantu, mais à l’époque il y avait plein de dessinateurs dans les journaux. Il y avait Le Canard évidemment, mais Libé en accueillait aussi comme Soulas, Nicoulaud, Willem ou Lefred Thouron. A la fin des années 80 et début 90, il y avait une émulation autour du dessin politique. Ça a changé.
Pourquoi y a-t-il moins de dessinateurs aujourd’hui ?
Ça s’appelle la crise, et quand la crise frappe les journaux, les patrons de presse suppriment en priorité la photo et le dessin. Quand Faizant est mort, Le Figaro ne l’a pas remplacé. La presse gratuite a accéléré le processus. L’analyse, l’enquête, le dessin prennent du temps. Les journaux gratuits, qui énervaient beaucoup Cabu, se font avec des dépêches AFP et des photos Getty Images. Après les caricatures de Mahomet, les journaux tartinaient des pages sur l’importance de ce qu’on faisait, on était les fers de lance de la liberté d’expression, mais ils n’engageaient pas pour autant de dessinateurs.
Comment entres-tu à Charlie Hebdo ?
J’arrive en 1991 à Paris avec sous le bras un dessin sur les charters d’Edith Cresson. En arrivant au Canard enchaîné, je tombe sur Cabu qui me dit : “Viens à La Grosse Bertha parce qu’ici les dessinateurs ne décident pas.” Du coup, on y va, je croise pour la première fois Philippe Val, publie mon dessin et rentre en Touraine. J’en envoie d’autres par fax. Et un jour, je plaque mes études de droit puis, en bon provincial, je monte à Paris. A ce moment-là, La Grosse Bertha se déchire entre ceux qui veulent faire un journal politique et ceux qui veulent faire un journal d’humour. Je suis naturellement les premiers – Cabu, Charb, Val, Riss, Tignous, Wolinski, Cavanna, Delfeil de Ton, toute la bande…
Delfeil de Ton a dit que Charb avait mené la rédaction à la mort.
J’ai trouvé ça dégueulasse, il laissait entendre que Charb était un gourou, qu’il incitait les gens à le suivre dans une espèce de folie kamikaze. Personne ne le pensait dans Charlie. C’est un fantasme de Delfeil, peut-être un peu aigri parce qu’il n’a finalement pas suivi l’aventure de Charlie deuxième formule jusqu’au bout.
Comment se passent tes débuts dans la presse satirique ?
Cabu, mon mentor, me prend sous son aile mais on n’est pas toujours d’accord. Il estimait que la caricature de Sarkozy devait être la plus ressemblante possible et moi qu’il fallait qu’elle ressemble à l’image qu’il offre de lui-même. Pour Cabu, le dessin de presse était plus important que la bande dessinée alors que pour moi c’était important d’aller voir ailleurs. En 94, j’avais créé Chien méchant, le premier mensuel de BD politique, qui a duré six numéros. Cabu était fou de rage parce qu’il disait que c’était une perte de temps. Son journal, c’était vraiment Charlie Hebdo. Dans Catharsis, j’ai beaucoup utilisé la couleur et j’ai dessiné à la plume. T’es en apnée, tu l’entends crisser sur le papier. Cela a été ma manière de convoquer Cabu. Au milieu des décombres, il y a quelques fantômes que je convoque quand même avec plaisir.
Philippe Val ressemblait-il déjà à ce qu’il est aujourd’hui ?
Rien à voir ! C’est une étrange évolution. Au début de Charlie Hebdo, c’était le Val de Font et Val (son duo avec Patrick Font, de 1970 à 1995 – ndlr) – un aspect comique dont il a voulu se débarrasser. Il m’a accueilli chez lui deux ou trois fois, il me parlait de Spinoza, je faisais “oui oui” de la tête comme les chiens à l’arrière des bagnoles. (rires) Mais, au moins, il m’a fait découvrir Borges. Son parcours est très personnel. Il aimait se bagarrer contre les lecteurs du journal, cette “frange gauchiste”, comme s’il avait besoin de se débarrasser de son ancien public. Comme rédac chef, il était peu interventionniste puisqu’il n’était jamais là. Il avait peut-être plus besoin de nous que l’inverse. Il avait des débats houleux avec Charb, comme pendant le conflit interne entre les pacifistes, dont j’étais, et les interventionnistes lors de la guerre du Kosovo. Pendant l’affaire Siné, les gens disaient que c’était un dictateur : mon cul, il nous a toujours foutu la paix…
Il a quand même viré Siné.
C’était aussi une guerre de coqs. On a été spectateurs d’un déchaînement guerrier de part et d’autre, et de stratégies de rupture. On dit que la manière dont Val a viré Siné est dégueulasse, mais en même temps ce dernier a eu la chance incroyable de fonder son propre journal, tel un phénix qui renaît de ses cendres.
Avant les attentats, Charlie Hebdo était sur le point de mettre la clef sous la porte. Aujourd’hui, on estime qu’entre les ventes, les aides et les dons, le journal serait riche de 30 millions d’euros. Une tribune – que tu as signée –, parue le 31 mars dans Le Monde, appelle à une “refondation de Charlie Hebdo” en société coopérative pour échapper aux “manipulations politiques et/ou financières”. Deux camps, la direction et la rédaction, sont-ils en train de s’affronter ?
Il n’y a pas vraiment deux camps qui s’affrontent. Cette tribune montre qu’il y a une vraie possibilité de collectif. Elle met les questions sur la place publique et demande qu’on y voie plus clair. Il faut discuter de la ligne éditoriale et trouver une structure commune. On continue à faire un journal comme s’il ne s’était rien passé. Comment créer une nouvelle ligne dans le respect de l’ancienne et de ce que l’on est devenu ? Charlie est-il encore un journal politique ? Peut-il devenir un news mag ? Une nouvelle formule est censée sortir en septembre mais on n’en sait pas plus. Va-t-il y en avoir une ?
La question de l’argent vient brouiller ce message éditorial.
C’est difficile de sortir de l’entertainment, on est tellement médiatiques qu’on n’est même plus un journal. On s’intéresse à nous parce que des gens s’imaginent des histoires de pognon et de people. Il n’est pas question de sauter sur les actions de Charb. On n’a jamais été à Charlie pour s’enrichir et malheureusement on n’y pense toujours pas. (rires) Il est clair que les dons iront aux familles des victimes, mais la structure qui doit s’en occuper est floue. Qui fait quoi ? Qui en est à l’origine ? Comment va-t-on la gérer ? On a besoin de prendre du temps pour s’organiser.
A la suite de cette tribune, Richard Malka, l’avocat historique de Charlie et proche de Riss (directeur de la rédaction, de la publication, et actionnaire du journal à hauteur de 40 %), a rétorqué “avoir une pensée particulière pour les familles des victimes”.
Il a été blessé par cette tribune mais elle ne parlait pas vraiment de lui. Richard a toujours été un compagnon de route, je le considère comme un ami et j’ai confiance en lui. Par contre, je n’ai pas confiance dans l’urgence dans laquelle on a été plongés. De fait, à la suite des attentats, la structure a explosé. Il y a eu un moment de flottement quand Riss est allé sur France 2 dire qu’il allait reprendre la direction sans prévenir la rédaction. On a commencé la tête dans le guidon. Je veux sortir de l’urgence et savoir avec qui je travaille vraiment. Il faut mettre les choses à plat. Je n’ai pas d’animosité personnelle contre Anne Hommel mais maintenant qu’on a dépassé le cadre de la situation de crise, a-t-on encore besoin d’une attachée de presse de crise ? Peut-être pas.
Beaucoup de rumeurs circulent… Le retour de Philippe Val est-il un fantasme ?
Je n’en sais rien. Je ne l’ai pas vu gratter à la porte pour l’instant. Mais je ne me l’imagine pas. En tout cas, le retour de Val serait le départ de Luz et d’autres personnes. On nous demande de répondre à des rumeurs, mais leur répondre, c’est déjà les alimenter.
As-tu envie de t’impliquer dans la direction, te l’a-t-on proposé ?
On ne m’a jamais proposé d’entrer au capital depuis les attentats, c’est une fausse rumeur. Je n’ai jamais fait partie de la direction, je ne le ferai jamais. Ce n’est pas mon boulot. Ma priorité, c’est dessiner.
Tu dessines sur la politique depuis plus de vingt ans à Charlie Hebdo. As-tu d’autres envies ?
Peut-être que ça ne sera pas de dessiner des Sarkozy et des Hollande les vingt-cinq prochaines années. Peut-être que j’en n’ai rien à foutre de Jean-Vincent Placé qui veut entrer au gouvernement. Ai-je encore envie d’être obsédé par Marine Le Pen ? Pas tant que ça. Mes priorités ont été bouleversées, même si c’était en germe avant le 7 janvier. Avant chaque bouclage, je ne dors pas et je convoque les idées des disparus, mais je n’ai ni le talent de Charb sur Israël/Palestine, ni celui d’Honoré sur Gattaz. J’ai l’impression d’être investi d’une mission qui n’est pas forcément la mienne. Est-ce que cela signifie ne plus être Charlie de se trouver à un moment donné en dehors du journal pour faire ce que l’on aime ? Je ne crois pas. Pourquoi je n’accepterais pas d’être Charlie à ma manière ?
Quels sont tes projets hors Charlie ?
J’en ai mille. J’ai toujours un peu été un électron libre, différent de Charb ou Riss, qui mettent toute leur énergie dans le journal. Mon rêve serait d’adapter Shining de Stephen King. Je vais faire un bouquin – une promesse faite à Charb – sur mes aventures masturbatoires depuis mes 10 ans. OK, j’ai été puceau jusqu’à 20 ans, mais je me suis branlé assez tôt. On avait trouvé un titre ensemble, Mes années Sopalin, mais je ne peux pas utiliser un nom de marque, donc je l’appellerai Petit branleur deviendra grand. A Charlie Hebdo, un yucca que personne n’arrosait est devenu un ami très proche. Une des journalistes a fini par le récupérer, mais je ne lui ai jamais dit que j’étais un des rares à l’arroser…
“Petit branleur deviendra grand”, c’est à l’image de ta vie de dessinateur ?
Oui. J’ai un autre projet en cours. Un jour, j’ai rassemblé toutes mes archives concernant Sarkozy – j’étais à un niveau psychologique implosif à force de dessiner ce crétin. Je les ai pesées : j’avais 17,2 kilos d’archives papier. C’est énorme ! Il fallait que je m’en débarrasse. J’ai découpé des têtes de Sarkozy et je les ai mises dans une cinquantaine de boîtes à papillons, pour leur donner une deuxième chance artistique. Ensuite, j’ai tiré à la carabine sur des originaux, je les ai lacérés au cutter, mâchés et foutus dans des boîtes à cornichons. C’est une installation quasiment finie, il ne me reste qu’à brûler les chutes avant de les mettre dans des pots à confiture. Avant le 7 janvier, je crois que j’étais déjà vraiment baisé de la tête. Ça n’a pas trop changé (rires).
Catharsis (Futuropolis) 128 pages, 14,50€ en librairie le 21 mai
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