La France a empêché six prédicateurs de participer au congrès annuel de l’Union des organisations islamiques de France ce week-end. Est-ce le signe que l’instance s’est radicalisée ? Isolée, l’UOIF prône pourtant le rapprochement entre Islam et République.
C’est le 29e congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) qui s’est ouvert ce vendredi au Bourget. Mais il est le premier a poser autant problème. Les autorités françaises ont refusé l’entrée sur le territoire de quatre prédicateurs étrangers et deux autres ont, selon le gouvernement, « renoncé à venir« . Pourtant, la majorité d’entre eux étaient déjà intervenus au Bourget par le passé sans que cela ne fasse difficulté.
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Mardi, Nicolas Sarkozy a mis en garde la fédération contre les « appels à la violence, à la haine et à l’antisémitisme » qui pourraient intervenir au cours des quatre jours que dure le rassemblement.
Faut-il en déduire que l’UOIF est la voix d’un Islam radical ? Il fut un temps où, au contraire, elle était plébiscitée comme une institution pouvant permettre le rapprochement entre les musulmans et la République française. Nicolas Sarkozy est le premier à lui tendre la main en 2003. Alors ministre de l’Intérieur, il créé le Conseil français du culte musulman au sein duquel l’UOIF obtient un tiers des voix. L’instance, dont les liens avec les Frères musulmans sont connus depuis toujours, se voit ainsi offrir une reconnaissance nouvelle.
Aujourd’hui, la défiance envers l’UIOF est de retour. Et Michel Serfaty, président de l’association pour l’Amitié judéo-musulmane de France, va même plus loin. Pour lui, « la rupture est consommée« .
« Notre association a soumis un projet de coopération à l’UOIF en 2005. On attend toujours la réponse. C’est clair que l’UOIF n’est pas du tout intéressée par notre démarche. Et on a fini par comprendre pourquoi quand, du haut de sa tribune, elle a attaqué il y a quelques années la communauté juive en lui reprochant sa soumission au sionisme. »
Le drame de Toulouse n’a pas manqué de raviver les tensions entre les deux communautés et il explique en grande partie la polémique autour de la tenue du congrès de l’UOIF. « Nous aurions apprécié qu’après Toulouse, ils fassent un geste symbolique en annulant exceptionnellement leur rassemblement », s’indigne Michel Serfaty. Le rabbin franco-marocain reproche également le maintien de l’invitation faite à plusieurs prédicateurs qui, selon lui, « appellent à bastonner les femmes, à haïr les mécréants et les juifs« . Se félicitant que la France ait pu empêcher la venue de six orateurs, il dénonce la présence maintenue de quelques autres. « Des gens comme Tarik et Hani Ramadan n’ont pas un discours qui favorise l’entente ou la cordialité. »
En perte de vitesse
Michel Serfaty a fait sept fois le tour de France à bord de son bus jaune pour promouvoir le dialogue entre juifs et musulmans. Il observe sur le terrain « un mouvement de construction du vivre ensemble » qui le rend « confiant ». Mais il en veut davantage :
« Il y a une recrudescence des actes antisémitismes, et par ailleurs des réactions d’indignation plus fortes de la part des musulmans modérés. Ce que j’attends, c’est que les associations musulmanes officielles descendent dans la rue, qu’elles aident à enrailler la maladie de l’Islam. »
Le rabbin de Ris-Orangis se félicite de voir « moins de radicalisme et davantage de volonté de réussir son intégration » chez les musulmans qu’il rencontre. Ce phénomène explique selon lui la distance prise par une partie des croyants avec l’UOIF. Il estime aujourd’hui que la fédération est en perte de vitesse.
Mais Franck Fregosi, chercheur au CNRS, ne partage pas cette interprétation. Il rappelle que les critiques faites ces dernières années par les jeunes musulmans à l’UOIF concernaient avant tout son « embourgeoisement » et son rapprochement avec les hautes sphères françaises en tant que membre du Conseil français du culte musulman. Et surtout, l’UOIF ne s’est pas radicalisée mais s’est engagée au contraire dans « un effort d’adaptation pour concilier l’Islam orthodoxe et les valeurs de la République ».
Renouer avec la base
Pour ce spécialiste de l’Islam, la polémique autour du congrès s’explique surtout par le contexte tendu qui fait suite à la tuerie de Toulouse en pleine campagne électorale. « Je ne vois pas pourquoi l’UOIF aurait suspendu son congrès en tant que tel, mais c’est vrai qu’elle aurait pu être plus sélective dans le choix des prédicateurs invités et veiller à ne pas mettre en scène des gens dont les déclarations passées peuvent faire débat », estime Franck Fregosi.
L’UOIF, fondée en 1983 par des étudiants marocains et tunisiens, est aussi victime d’une mauvaise interprétation de ces choix. Selon ce professeur, son refus de siéger au Conseil français du culte musulman en 2011 n’est pas un acte d’isolement ou de radicalisation mais la volonté de renouer avec la base des musulmans. La fédération désavouait le mode de scrutin et craignait une instrumentalisation politique du Conseil, vis-à-vis duquel elle s’est montrée très critique. En retour, « les autorités françaises trouvent aujourd’hui prétexte pour s’attaquer à elle« . C’est là où le vrai danger selon Franck Fregosi:
« L’UOIF permettait de trouver un compromis car elle avait ce double ancrage entre la théologie et la République. En la stigmatisant, on perd cela et on prend le risque de conforter et de renforcer les radicaux qui disent que l’Islam n’est pas le bienvenu en France. »
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