Dans le troisième volet de ses aventures hantées, le frère de Mario arpente en claquant des dents les étages d’un vaste hôtel grouillant de spectres et d’ectoplasmes. Follement inventif et merveilleusement mis en scène, ce jeu d’horreur pour rire est un pur régal. Et aussi : le retour en forme des « Ghostbusters » et le vertige « Manifold Garden ».
« Oh yeah ! » La lumière se rallume et la pièce dans laquelle on se débattait quelques instants plus tôt semble soudain nettement plus accueillante. Très agréable, même, et fort bien décorée, au point qu’on s’y installerait bien un petit moment, histoire de reprendre un peu son souffle. Mais le devoir nous appelle et, sans trop tarder, il va falloir nous diriger vers l’étage suivant de ce sinistre hôtel hanté.
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A sa sortie qui, en 2001 (au Japon) ou 2002 (chez nous), fut aussi celle de la GameCube dont bon nombre d’acquéreurs précoces auraient sans doute préféré voir arriver la star Mario plutôt que son frangin à casquette verte, le premier Luigi’s Mansion n’avait été qu’assez moyennement accueilli et ce n’est qu’au cours de ces toutes dernières années que ce qui avait tout l’air d’un jeu unique a officiellement donné naissance à une série. Dont le troisième volet, débarquant six ans après un chouette épisode 2 et un an et demi après le remake de l’épisode original, tous deux parus sur la 3DS, pourrait bien être le meilleur du lot.
Double gluant
Dans les grandes lignes, le principe n’a pas vraiment changé depuis 2001. Dans Luigi’s Mansion 3, le joueur dirige toujours ce pauvre trouillard de Luigi qui se voit contraint d’explorer jusque dans ses moindres recoins un bâtiment grouillant de fantômes pour y retrouver ses camarades – cette fois : Mario, la princesse Peach et les Toad qui les accompagnaient. Cette fois encore, notre héros est équipé d’une terrible arme anti-fantômes par un certain Professeur K. Tastroff qui a probablement beaucoup regardé Ghosbusters : un aspirateur. Mais attention : avant de pouvoir attraper un fantôme, il faudra l’éblouir avec une lampe spéciale afin de déjouer son attention, ce qui n’est pas forcément évident si, par exemple, ledit ectoplasme porte des lunettes de soleil ou se protège carrément au moyen d’un bouclier. Et ce ne sont encore que des cas extrêmement simples en comparaison de ceux que l’on rencontrera en progressant dans l’aventure, dont l’une des grandes qualités est sa stupéfiante capacité à se renouveler, et pas seulement, de la suite champêtre à son homologue médiévale en passant par la salle de concert, avec ses décors.
Une invention du professeur vient par ailleurs ajouter une nouvelle dimension tactique au jeu : désormais, Luigi est deux. Notre alter ego a en effet gagné la possibilité de se dédoubler en faisant apparaître à ses côtés un deuxième porteur d’aspirateur constitué d’une matière verte et gluante qui l’autorise à se glisser un peu partout, y compris à travers les grilles et les soupiraux. Ce dernier nous sera d’une aide précieuse, notamment en autorisant à mettre en action simultanément deux Luigi à deux points différents de l’écran. Luigi qui, par la même occasion, se rapproche un peu plus des apparitions qu’il pourchasse.
Quatrième mur
Pensé dès le départ comme une version comique (plutôt que frontalement parodique) des jeux d’épouvante du type survival-horror dont le plus fameux est Resident Evil, Luigi’s Mansion ne leur emprunte pas que leur idée d’un espace que se dispute les vivants et les morts mais, aussi, un certain parti pris de rigidité dans la prise en main. Pas d’erreur : Luigi’s Mansion 3 n’est pas un titre désagréable à jouer et, dans la grande tradition des meilleures productions Nintendo, le plaisir naît directement du « faire », de la manipulation même des outils et des personnages qui nous sont confiés, à commencer par l’aspirateur à fantômes de l’ami Luigi.
Mais si l’on compare Luigi’s Mansion 3 aux jeux de plateforme en 3D mettant en scène Mario, la différence se révèle flagrante à au moins trois niveaux : le rythme (il est impossible de courir), le rapport à la verticalité (pas moyen non plus de sauter) et surtout le point de vue, car le joueur n’a ici pas le contrôle de la caméra, qui est fixe et lui impose une représentation partielle (et donc évidemment partiale) de l’espace. D’où, entre autre choses, un jeu presque constant avec le « quatrième mur », celui qui nous sépare, littéralement et métaphoriquement, de l’action (et que l’on aperçoit parfois avec stupeur dans un miroir). Un jeu avec la nature presque primitive du dispositif et, en même temps, avec l’idée que ce que l’on (et ce que Luigi) voit n’est qu’une partie de ce qui est. Attention, Luigi, derrière toi ! Nous voilà au spectacle de marionnettes. De Mario net ?
Antisocial
Mario pas bien net, plutôt, car l’un des principes sur lequel repose plus ou moins secrètement Luigi’s Mansion depuis son premier volet, c’est que le véritable indésirable, le premier intrus, ici, n’est autre que Luigi. Les fantômes, quant à eux, sont souvent représentés comme poursuivant presque sereinement les activités qui étaient les siennes de leur vivant. De là à supposer que Luigi est celui qui vient troubler leur repos, il n’y a qu’un pas qu’accrédite largement Luigi’s Mansion 3 en nous incitant à créer du désordre partout où l’on passe. Dès notre entrée dans une pièce, on allume notre aspirateur qui cause immédiatement des dégâts. Les objets tombent des étagères, les draps et les rideaux disparaissent tout comme les pièces et billets qui étaient dissimulés un peu partout. Et voilà comment, sous couvert de rechercher ses amis, Luigi s’enrichit. Ce comportement antisocial ressemble-t-il vraiment à celui d’un héros ?
Il faut dire, aussi, que quelque chose a changé dans les lieux que sillonne Luigi. Ce n’est plus un manoir dans lequel des gens vivaient jadis, mais un grand hôtel dont on débloque un à un les étages en récupérant, après l’aspiration de nos « victimes », le bouton correspondant de l’ascenseur. De l’espace domestique et privé, on est passé au collectif et à l’espace commercial. Ce n’est plus la famille mais la société qui est désormais la cible de Luigi. On est en droit de penser qu’il s’agit d’un signe des temps. Et même, pourquoi pas, de s’approprier, comme d’autres celle du Joker, la figure de Luigi, notre frémissant insoumis. On plaisante (à peine).
Luigi’s Mansion 3 (Next Level Games / Nintendo), sur Switch, de 45 à 60€
Et aussi :
Ghostbusters : The Video Game Remastered
Le film Ghostbusters ayant clairement inspiré le premier Luigi’s Mansion qui a lui-même très probablement donné des idées aux créateurs du jeu Ghostbusters de 2009, il n’est à ce stade pas évident de dire qui copie qui, mais une chose est sûre : la version remasterisée de ce dernier est un parfait compagnon de sortie pour Luigi’s Mansion 3. Co-écrit par Dan Aykroyd et Harold Ramis qui en partagent la vedette avec l’immense Bill Murray, ce jeu d’action et de tir (ou plus exactement, donc, d’aspiration de fantômes) joyeusement geek et débordant d’humour, qui nous projette dans l’univers des films pour nous y faire vivre une autre histoire, est aujourd’hui encore ce que l’on peut trouver de plus proche d’un SOS Fantômes 3. Et, dix ans après, mérite vraiment d’être redécouvert.
Sur Switch, PS4, Xbox One et PC (Windows), Saber Interactive / Mad Dog, de 20 à 30€
Manifold Garden
Attention : ce jeu peut, selon les cas, donner des maux de tête, de légères crises d’angoisse et d’enivrants instants de révélations. Inspiré à l’origine des gravures non moins perturbantes de MC Escher (et nourri aussi de l’influence du film Inception ou des jeux Portal et Starseed Pilgrim), Manifold Garden nous plonge dans un monde à la physique impossible et nous invite à manipuler la gravité pour y résoudre des énigmes. Et nous voilà bientôt montant d’interminables escaliers, marchant sur les murs ou chutant longuement dans le vide pour atterrir finalement sur une autre face du même bâtiment et, éventuellement, plus haut que là d’où l’on partait – à supposer que le mot « haut » ait du sens ici. Mitonné sept années durant par l’artiste américain William Chyr, plus connu jusqu’ici pour ses sculptures de ballons géantes, Manifold Garden est l’un des jeux les plus renversants du moment – littéralement. Et, accessoirement, l’une des meilleures raisons de s’intéresser au nouveau service de jeu sur abonnement Apple Arcade.
Sur Apple Arcade et PC (Windows), William Chyr Studio, environ 20€ (PC). A paraître sur PS4
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