Fondé il y a vingt ans par la cheffe californienne Suzanne Goin, Lucques est un oasis de gastronomie méditerranéenne à la cuisine métissée : la dolce vita en plein L.A.
“Loux ? Leux ? C’est bien comme ça que vous le prononcez ?”, nous demande le chauffeur Uber après avoir lu le nom de notre destination sur son GPS. Aucune certitude, lui répondons-nous, mais “Look”, sans s, semble être la plus commune prononciation, ici à Los Angeles, même si pour nous Français, “Luc” serait la plus appropriée. Ces précautions oratoires prises, il apparaît que Lucques est d’abord la traduction française d’une ville toscane, Lucca, avant de décrire une variété d’olive verte (d’un vert saturé et de forme étirée) qui pousse dans le Languedoc. Mais en ce qui nous concerne, Lucques est un restaurant, un des meilleurs de Los Angeles – et le préféré de Bret Easton Ellis –, dont le nom exprime à la perfection la cuisine : métissée, mélange de traditions méditerranéennes et d’âme californienne, sophistiquée mais sans prétention, riche mais abordable (dans cette gamme-ci du moins, plutôt haute : comptez 50$ pour un plat à l’heure du dîner, le triple avec entrée, dessert et vin, taxes incluses).
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Une ancienne remise à calèches
Sitôt garés, non loin de Melrose Place, à West Hollywood, nous pénétrons dans l’élégante bâtisse recouverte de plantes grimpantes : une ancienne remise à calèches, construite il y a près d’un siècle par la star du cinéma muet Harold Lloyd et rachetée en 1998 par la cheffe Suzanne Goin et son associée Caroline Styne (qui gère tout ce qui se passe hors des cuisines) pour y fonder leur premier restaurant. Depuis, elles en ont ouvert trois autres à L.A. : a.o.c., The Hungry Cat et Tavern, en plus d’une boulangerie, The Larder Baking Company. Un empire ? Plutôt une principauté, compacte, florissante, récompensée par trois James Beard Awards (l’oscar de la gastronomie).
Nous recevons rapidement en guise de mise en bouche un bol d’olives vertes, accompagnées d’amandes huilées, et de tranches de pain tièdes et croustillantes
A l’intérieur, une grande salle aux murs de briques, cheminée au milieu, charpente apparente, banquettes de cuir (vert) : rustique, raffiné. Un beau bar propose des cocktails de créateur et des plats plus basiques, tandis qu’au dehors nous nargue un patio. Installés dans un booth, dans un coin d’où l’on peut observer tous les autres clients – sans doute la raison pour laquelle Bret Easton Ellis demande toujours à s’asseoir là –, nous recevons rapidement en guise de mise en bouche un bol d’olives vertes (pas besoin de préciser de quelle variété), accompagnées d’amandes huilées, et de tranches de pain tièdes et croustillantes. “Servies ainsi, à l’heure de l’apéro, avec un verre de rosé, en terrasse, ces olives sont pour moi la définition de la douceur de vivre”, nous avoue Suzanne Goin. Ça tombe bien, c’est aussi la nôtre.
“French and fun”
Née à Los Angeles il y a une cinquantaine d’années, la cheffe nous raconte comment, petite, elle s’initia à la cuisine auprès de son père, gourmet francophile qui, les grandes vacances venues, lui faisait faire la tournée des meilleures adresses de France. “Ma madeleine de Proust, se remémore-t-elle, c’est un filet de rouget en écailles de pomme de terre, dégusté à 12ans au Moulin de Mougins de Roger Vergé. Entre ce genre d’expérience et Disneyland, mon choix était vite fait.” Ce goût pour la cuisine hexagonale, avec un fort tropisme méditerranéen, Goin le cultivera dès son premier job, dans les cuisines de Ma Maison, fameuse table angeline qui mêlait, dans les années 1980, “le meilleur de la gastronomie française, sans la rigidité qui lui est souvent associée”. En résumé : “French and fun”.
Une éthique ressentie sitôt le pied posé à Lucques, où l’on se sent en effet “à la maison”, assisté mais pas materné, conseillé mais pas intimidé par l’impeccable serveuse, enfin écouté sans être obligé de crier par-dessus une musique à plein volume — les trois défauts les plus courants des restaurants américains. Suivront dans sa formation quelques italiens, une poignée d’autres français (dont le célèbre Chez Panisse à Berkeley), ainsi qu’un stage de six mois à L’Arpège, à Paris. Chez Alain Passard, elle perfectionne sa technique et se réjouit de ne pas être ramenée sans cesse à ses origines californiennes. “J’étais passée juste avant dans un restaurant que je ne nommerai pas, où l’on doutait de mes capacités à préparer autre chose qu’un hamburger, et où dans le même temps les produits étaient effroyablement méprisés.”
La carte, qui contient une quinzaine de plats, alterne entre ces classiques et des plats de saison
Local et généreux
Goin, elle, ne plaisante pas avec le produit : local, frais, de saison, respecté dans son intégrité, il est l’alpha et l’omega de sa cuisine généreuse. Il passe même, pourrait-on dire, avant la technique — non qu’elle n’en ait pas, mais elle n’en fait pas l’étalage. La côte de bœuf braisée au raifort, servie copieusement sur sa purée de pommes de terre, ses feuilles et ses petits oignons, est son plat signature. Fondante, on la dégusterait presque à la cuillère. Le jarret d’agneau, lui aussi cuit à feu doux, est de son côté accompagné d’une soupe au pistou, avec courge, poireaux, carottes et orties. Généreux, vous dit-on. La carte, qui contient une quinzaine de plats, alterne entre ces classiques et des plats de saison : en ce début de printemps, pot-au-feu de canard, veau grillé et morue charbonnière le disputent au ceviche de vivaneau, à la soupe à l’oignon ou brocoli kibbeh (en entrée). Le dimanche enfin, jour le plus couru, c’est “Sunday Supper” (qui est aussi le nom de son livre de recettes) : un menu unique de trois plats selon l’humeur de la chef. Comme à la maison.
Lucques, 8474 Melrose Ave, West Hollywood, CA 90069
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