Ados à Rennes, ils se sont croisés mais ne s’étaient jamais parlé. Il était donc tentant de provoquer, aujourd’hui, une rencontre entre Louise Bourgoin et Riad Sattouf. Profs, concerts, flirts foireux, les souvenirs ont fusé… Extrait de notre numéro spécial Rennes.
Riad Sattouf – Alors toi aussi tu étais au lycée Anne-de-Bretagne ? Je pensais qu’on avait juste fait le collège des Ormeaux ensemble.
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Louise Bourgoin – Oui, oui. Je me souviens même un peu de toi.
Riad Sattouf – Moi aussi, mais on ne s’est jamais parlé. Il faut dire que j’étais deux classes au-dessus de toi, je crois. Mais un peu plus tard, au réveillon de l’an 2000, on s’est retrouvés à la même fête rue Le Bastard, chez une connaissance commune, Christophe…
Louise Bourgoin – Ah ! Mais oui ! Mais, même là, on n’a pas fait connaissance ! Pourtant, on m’a souvent parlé de toi. Comme je dessinais, des amis me disaient qu’il y avait un mec au lycée qui dessinait super bien et qui s’appelait Riad. Longtemps après, je suis allée voir Les Beaux Gosses, j’ai vu que ça se passait à Rennes, et même en partie dans le bus n° 5 que je prenais tous les jours… Et là, j’ai fait le lien ! Tu es arrivé à quel âge à Rennes, Riad ?
Riad Sattouf – A 12 ans, en sixième. Je venais de Syrie avec mes parents. Nous sommes restés quelques mois au cap Fréhel chez ma grand-mère, puis mes parents ont divorcé et je me suis installé à Rennes avec ma mère. Même si j’ai fait toute mon école primaire en Syrie, je connaissais quand même déjà pas mal la France et mon installation à Rennes n’a pas du tout été un choc culturel.
Tu as fait tes études à Rennes ensuite ?
Riad Sattouf – Jusqu’au bac, puis j’ai fait une école d’arts appliqués à Nantes. Ensuite, j’ai passé le concours des beaux-arts à Rennes. J’ai été pris, mais j’ai préféré l’école des Gobelins à Paris, en animation. Je suis arrivé à Paris à 20 ans.
Louise Bourgoin – Ah c’est fou ! On aurait pu aussi être ensemble aux beaux-arts ! J’y suis restée cinq ans et après mon diplôme, je suis arrivée à Paris pour essayer de gagner de l’argent rapidement. J’avais raté le Capes de dessin, j’étais terrorisée à l’idée de devoir dessiner à la craie dans la rue pour gagner ma vie, je me voyais traveller avec un chien. Il faut dire que Rennes est un peu la ville qui a inventé les punks à chiens (rires)… Une fois, j’ai vu une fille tellement pas drôle, tellement pas bonne présenter les programmes sur Disney Channel, que je leur ai envoyé un CV. Et j’ai été prise dans une émission pour les gamines. Quand j’ai dit au directeur de mon école que j’étais présentatrice télé, il m’a regardée comme si je lui avais dit que j’étais devenue agent de sécurité à la station Châtelet-Les Halles !
Vous aviez des profs en commun ?
Riad Sattouf – Au collège, tu te souviens de Leclerc, le prof de musique ?
Louise Bourgoin – Oh oui ! Il ressemblait à Corbier, du Club Dorothée !
Riad Sattouf – C’est vrai, mais en plus dur. C’est le seul prof qui nous obligeait à nous lever quand il entrait…
Louise Bourgoin – … et il nous plaçait dans la classe sur le mode une fille/ un garçon/une fille/un garçon. Et c’est lui qui faisait le plan. Du coup, on était intimidés, rouge écarlate, et il avait la paix. Il était bien malin !
Riad Sattouf – Il nous demandait aussi de corriger nous-mêmes nos copies et on pouvait se mettre 19 si on voulait. Mais il fallait qu’on apprenne à justifier nos notes… Son enseignement était vraiment marquant, il était assez génial.
Louise Bourgoin – Il nous rebaptisait avec des noms de musiciens…
Riad Sattouf – Mais oui ! On devait écrire son nouveau nom sur un carton qu’on tenait devant soi, il fallait faire un truc artistique et soigné.
Louise Bourgoin – A un moment donné, j’étais Bartók. Il gueulait : “Bartók, au tableau !”, et je me levais. Une autre année, j’étais Chostakovitch, mais c’était trop long pour tenir en entier sur la pancarte.
Riad Sattouf – Moi, j’étais Xenakis.
Les profs des « Beaux Gosses » sont inspirés de ceux d’Anne-de-B. ?
Louise Bourgoin – Le prof suicidaire ?
Riad Sattouf – Non, pas vraiment. Mais je me souviens aussi d’une prof de sciences physiques un peu fragile, dépressive, avec qui on était très salaud. Quand elle écrivait au tableau, on échangeait nos places en silence. Et quand elle se retournait, elle sentait bien que quelque chose n’était pas normal, mais elle n’arrivait pas à le formuler. Elle paraissait très démunie, aux abois.
Louise Bourgoin – Il y avait aussi monsieur Renaud, le prof d’arts plastiques.
Riad Sattouf – Il était tout petit.
Louise Bourgoin – Ses cartons à dessin étaient plus grands que lui. Il m’aimait bien et m’offrait des feuilles que je remplissais de dessins pornos. Il les affichait mais dissimulait les zones de coït. C’est lui aussi qui m’a incitée à passer le concours des beaux-arts.
Riad Sattouf – Je me rappelle de Madame Chapalain au collège : la seule prof qui m’ait conseillé de devenir dessinateur. Ça lui paraissait évident ! Elle était supercool, je lui dois tout !
Ça veut dire quelque chose pour vous d’être breton ?
Louise Bourgoin – Quand j’entends de la musique bretonne dans la rue, ça m’émeut, ça me donne envie de pleurer.
Quels étaient les lieux que vous fréquentiez à Rennes ?
Riad Sattouf – J’y vais de temps en temps pour voir ma famille, mais la plupart des lieux où je sortais ont disparu. Par exemple, Rennes Musique, meilleur disquaire de France, où on laissait des petites annonces pour trouver un groupe, ou Les Tontons Flingueurs, super minisalle de concerts… Et puis, aussi, il y a de moins en moins de bars. A notre époque, Rennes était la ville de l’alcool ! Tout cela a disparu.
Louise Bourgoin – Il s’appelait comment ton groupe ?
Riad Sattouf – Je n’avais pas vraiment de groupe. J’essayais de faire du metal, je cherchais des mecs avec qui jouer. Moi j’étais habillé en Celio, j’étais un gringalet avec un pantalon trop court et je rencontrais des mecs tatoués avec des cheveux longs qui me demandaient “Tu joues quoi, mec ?” (rires). Rennes était une ville très rock dans les années 90. Nirvana avait joué aux Transmusicales en 1991, prémices à leur explosion mondiale. Et ils sont revenus en 1994, précisément parce que c’était le lieu où ils avaient explosé. Je les ai vus ce jour-là, un mois et demi seulement avant la mort de Kurt Cobain. Le concert était mortel. Mais il y avait un guitariste qui accompagnait Cobain parce qu’il n’arrivait plus à tout jouer. Il avait l’air complètement dépressif, il ne bougeait presque plus.
Tu écoutais beaucoup de grunge, de noisy ?
Riad Sattouf – Oui, j’adorais Sonic Youth. Ils étaient venus aussi aux Trans, mais j’étais en sixième et je n’avais pas pu y aller. Aux Trans, j’ai vu The Jesus Lizard, meilleur concert de tous les temps ! Il y avait eu aussi le premier concert au monde de Portishead, à l’Ubu ! Les Trans, c’était quelque chose.
Toi aussi, Louise, tu fréquentais les Trans ?
Louise Bourgoin – Ah oui ! J’y ai même bossé ! Je servais les verres ! J’étais fan de Kurt Cobain moi aussi, mais j’étais trop petite pour le concert de 1994. J’étais tellement fan que je me souviens d’un cours de sciences physiques où la prof avait concocté un liquide rougeâtre dans une éprouvette. J’avais trempé une mèche de cheveux dedans pour qu’elle devienne rouge, comme lui, sur une photo que j’adorais. C’est la première personne dont je suis tombée amoureuse, Kurt. Après, ça a été Patrick Swayze.
Il y a un groupe qui vous fait penser à Rennes ?
Louise Bourgoin – Fauve. C’est déprimant, mais il y a un élan, une sincérité chez eux… J’aime beaucoup.
Riad Sattouf – Moi c’est Duane Denison de The Jesus Lizard qui me fait penser à Rennes ! Le son de sa guitare me rappelle Rennes.
Vous connaissiez l’histoire du rock rennais, la génération punk/new-wave… ?
Riad Sattouf – Marquis De Sade, Etienne Daho…
Louise Bourgoin – La grande légende au lycée, c’était de dire qu’Etienne Daho avait été pion à Anne-de-B.
Mais tout le monde est passé par ce lycée !
Riad Sattouf – Oui, ça paraît classe, mais en fait je n’en ai pas de très bons souvenirs, c’était un peu pourri quand même !
Louise Bourgoin – Moi, j’ai obtenu une dérogation pour y être, parce qu’étant originaire de la ZUP sud, j’étais censée être dans un lycée avec de moins bons résultats. Mais ma mère voulait que je sois en centre-ville, dans un établissement plus chic. Pour moi, à Anne-de-B., il n’y avait que des gros bourgeois.
Riad Sattouf – Ah bon ?! Ce n’est pas le souvenir que j’en garde. Pour moi, c’était Zola le lycée mégabourgeois. A Anne-de-Bretagne, on disait même qu’à la sortie rodaient des skins qui cassaient la gueule aux Arabes. Mais il est vrai que je ne les ai jamais vus.
Vous alliez où en boîte ?
Riad Sattouf – Moi, je n’y allais pas. Au collège, je n’avais pas le droit et au lycée, je n’avais pas assez d’amis. J’étais trop solitaire. La première fois que je suis sorti en club à Rennes, c’était pour la fête de fin de tournage des Beaux Gosses, au Delicatessen.
Louise Bourgoin – Ah oui, la boîte des bourges…
Riad Sattouf – Mais vas-y, traite-moi de bourge direct ! Moi aussi, je viens de la ZUP sud, du Landrel.
Louise Bourgoin – Ah bon ? Mais on était voisins ! J’habitais au square de Slovaquie.
Riad Sattouf – Oui, je vois. Moi, rue Paul-Bourget.
Louise Bourgoin – Non ? On habitait à une rue. Moi, j’étais dans une tour des années 70. Mais ma meilleure pote habitait rue Paul-Bourget, Claire Evin.
Riad Sattouf – Son nom me dit quelque chose…
Louise Bourgoin – T’es sorti avec peut-être…
Riad Sattouf – Non, je ne suis jamais sorti avec une fille à Rennes. Pour moi, c’était la ville de la lose (rires). Pourtant, j’en garde un supersouvenir. Il y avait une vraie contre-culture. J’adorais la radio Canal B, par exemple.
Louise Bourgoin – Ah oui ! Ils passaient que de la bonne musique, des trucs hyperpointus… Ils invitaient même des artistes contemporains. C’est là que j’ai découvert Pipilotti Rist.
Riad Sattouf – Il y avait aussi beaucoup d’auteurs de BD sur Rennes : Michel Plessix, Le Tendre, Loisel pas loin… J’ai tous tenté de les rencontrer, ils étaient ultrasympas, ils regardaient mes dessins nuls, essayaient de me conseiller d’arrêter… Disons qu’ils n’ont pas su voir mon génie (rires). Quelle lose !
Imaginez qu’il se produise en vous le phénomène vécu par le personnage de Noémie Lvovsky dans « Camille redouble ». Quelle journée de lycée voudriez-vous revivre ?
Louise Bourgoin – Moi, j’ai été traumatisée en cinquième par un truc dont j’ai appris ensuite qu’il était plus commun que je ne le pensais. J’étais amoureuse comme jamais d’un garçon et des filles de la classe m’ont fait croire pendant des mois qu’il m’écrivait des lettres tous les jours. Elles glissaient les fausses lettres, enflammées, dans mon casier et moi je cristallisais à fond. Après, elles venaient vers moi surexcitées en disant : “Qu’est-ce qu’il t’a écrit ? Qu’est-ce qu’il t’a écrit ?” Quand j’ai réalisé que c’était faux, je n’ai rien dit. J’aimerais pouvoir revivre ce jour-là et les défoncer. Et j’ai aussi un autre souvenir humiliant. J’ai eu un premier petit ami dont j’étais folle. J’aurais pu mourir pour lui. Et un jour il m’a dit : “Non, mais tu vois, toi pour moi, c’est comme les Beatles. J’aimerai toujours, mais j’ai plus envie d’écouter.” (rires)
Riad Sattouf – Pas mal comme phrase ! (rires) Moi, un jour, une fille est venue me voir pour me demander de sortir avec elle et j’ai dit non. J’étais hypercoincé. En y repensant, je me suis dit que j’étais con, que ça aurait peut-être changé ma vie. Et il y a un autre truc. J’ai fait un stage chez le beau-frère d’Etienne Daho qui s’occupait d’une imprimerie. Un jour, il m’avait hyperengueulé en disant que je ne disais jamais “bonjour”. Alors même que personne ne faisait attention à moi. Je regrette de ne pas m’être cassé et de l’avoir laissé être aussi dur et agressif avec moi. Je me suis toujours dit que si je rencontrais Etienne Daho un jour, j’aurais des choses à lui dire sur son beau-frère ! (rires)
propos recueillis par Carole Boinet et Jean-Marc Lalanne
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