Etait-il vraiment pertinent de mettre en regard les parcours de Louis Vuitton et Marc Jacobs ? Mis à part le fait que Marc dirige, 150 ans plus tard, la maison crée par Louis, qu’ont réellement les deux hommes en commun ? Pas grand chose, il faut bien l’avouer, à part cette capacité à s’adapter à deux époques charnières dans l’histoire de la mode : l’industrialisation du XIXe pour Louis, la globalisation du début du XXIe pour Marc. Mais qu’importe le concept, un peu flottant : l’exposition Louis Vuitton/Marc Jacob, qui a ouvert ses portes aux Arts décoratifs le 9 mars, riche et excitante visuellement, vaut amplement le détour.
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Au premier étage, on pénètre donc chez Louis. Né en 1821, le Jurassien quitte ses montagnes et sa famille de meuniers à 14 ans pour servir l’armée napoléonienne. Démobilisé, il devient apprenti chez le layetier-coffretier-emballeur Maréchal en 1837, avant de s’établir à son propre compte quelques années plus tard en 1854. D’emblée, Vuitton se démarque et se définit comme « emballeur », spécialisé dans l’emballage des modes.
Belle intuition : quelques années plus tard, la haute couture explose, sous l’impulsion de son fondateur Charles Frederick Worth. Solides, inventives (cette formidable malle-lit dépliable en toile, qui serait du plus bel effet ce printemps) conçues dans un constant souci de pragmatisme, la malle Vuitton devient l’accessoire indispensable de l’aristocratie et de la bourgeoisie industrielle de la fin du XIXe, qui s’enrichit, voyage et emprunte les lignes de chemin de fer mis en place par Napoléon III. D’une façon, cette malle concentre les transformations profondes de son époque , ses nouvelles aspirations pour la mobilité, le voyage et le luxe. Les pop stars de l’époque se la réapproprient, à l’image de la chanteuse Sarah Bernhardt, qui a coutume de les acheter par lots de dix. Pour sa première tournée au Brésil, elle en apportera 200 avec elle.
Au second, quelques marches plus haut, on est chez Marc. Né à New York en 1963 dans une famille aisée, Marc grandit dans le Upper West Side. Il a 25 ans quand il débarque, en 1997 chez Louis Vuitton pour transformer le bagagiste de luxe en maison de mode. Sa nomination fait grand bruit. La réputation de Marc est alors sulfureuse : pas mal de poudre et une collection grunge qui lui a valu de se faire virer de chez Perry Ellis- mais lui a assuré l’amour éternel des rédactrices de mode.
« Il faut se souvenir dans quel contexte s’opère cette nomination, rappelle Pamela Golbin, commissaire de l’exposition. On est au milieu des années 90, dans une période complexe pour la mode, en particulier française. »
Table rase
L’opulence et l’extravagance des années 80 a laissé place à un minimalisme dont le chef de file est Helmut Lang. En comparaison aux Italiens ou aux Anglo-saxons qui connaissent une époque de pleine créativité, la France traine des pieds et peine à trouver une inscription dans le contemporain. « L’arrivée massive des anglo-saxons (Galliano, McQueen, Narciso Rodriguez, Michael Kors et Marc Jacobs), qui prennent une à une les maisons françaises, est mal vécue », rappelle Golbin.
Iconoclaste, tout comme ses camarades Alexander McQueen ou John Galliano, Marc Jacobs va faire basculer Vuitton dans la pop culture. Une révolution dont rend très bien compte l’exposition, avec sa bande-son pop et fiévreuse (Daft Punk, The Whites Stripes…) et sa scénographie à l’esthétique très Tumblr : sur de grands pans de murs, écrans et images figées restituent les influences de Marc Jacobs. En vrac : Bowie, Liz Taylor, Snoop, Mia Farrow, Kirsten Dunst dans Marie-Antoinette, Janet Leigh dans Psychose… De larges vitrines présentent les collections fortes de Marc Jacobs. Un commentaire audio enregistré par le designer, guide la visite.
« Sa première collection n’a pas été bien reçue par les Français, se souvient Golbin. Il n’y avait du noir, du gris et du blanc, quand on s’attendait à une richesse extrême. Le monogramme Vuitton était invisible. Et il n’y avait qu’un seul sac. Je pense que c’était la bonne solution. Il a opté pour une table rase, une toile blanche. »
Monogramme
Autre fil passionnant de l’exposition : le rapport que Jacobs entretient avec le logo maison. Le designer met quatre saisons avant de s’approprier le fameux monogramme. Les deux lettres entrelacées sont alors réservées aux doublures des trenchs, et vêtements de la marque. « La richesse est à l’intérieur », explique-t-il alors. Au printemps-été 2000, le logo réapparait de manière ultra voyante sur les sacs et vêtements. « Ensuite cela a été l’extravagance la plus pure. Comme s’il avait eu besoin de s’approprier le monogramme pour ensuite le donner à l’extérieur », commente Golbin. Dès l’année suivante, créant un pont inédit entre Vuitton et l’art contemporain, Jacobs fait appel à des collaborateurs extérieurs. Trois artistes de renommée internationale sont invités à se réapproprier le monogramme. Premier d’entre eux, Steven Prouse, en 2001 qui écrit Louis Vuitton en grosses lettres sur les sacs.
Suivent les explosions de couleurs, mangas et acidulées de Takashi Murakami et les imprimés de Richard Prince, artiste bien connus des fans de Sonic Youth ( la pochette de Sonic Nurse). Idée géniale et carton mondial.
On passe rendre hommage à une Kate Moss en cage – Caged Kate – installation qui rend malicieusement hommage à la superbe et fétichiste collection automne hiver 2011 où l’on voyait Kate Moss sortir d’un ascenseur, une clope à la main, jouer les voyeuristes devant l’amusant peep show, et sourire une dernière fois en apercevant la poupée miniature qui représente Jacobs et clôt l’exposition. « Je suis parfaitement imparfait », a coutume de dire Jacobs. Pas mieux.
Géraldine Sarratia
Louis Vuitton / Marc Jacobs aux Musée des Arts décoratifs à Paris, jusqu’au 16 septembre
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