[Next-Gen] Ils débarquent. Avec des idées, des désirs. Des frustrations et des revendications. Depuis l’été, nous dressons le portrait des moins de 30 ans qui feront demain. Aujourd’hui : Louis de Gouyon Matignon, 23 ans, fondateur de l’association Défense de la culture tsigane et du Parti européen.
C’est un jeune homme étonnant. Il le sait. Il dit : “Je suis un peu différent.” Il déboule en costard au milieu de la fête foraine du jardin des Tuileries. Propre sur lui, sûr de lui, très poli. On s’installe à la guinguette Chez Didine – “une amie”.
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Depuis quelques années, Louis de Gouyon Matignon s’est imposé comme le porte-parole des gens du voyage. Les médias se sont jetés sur ce jeune homme au nom à particule et à rallonge devenu l’ami des Tsiganes. Il y a là une histoire, un choc des cultures, quelque chose de quasi romanesque. Il le sait.
L’aventure du jazz manouche
Son histoire, il la raconte bien. L’extraction noble donc, l’enfance privilégiée, le père avocat d’affaires et la mère sculpteur, les écoles privées catholiques dont les noms disent tout : Saint-Louis de Gonzague, Passy-Saint-Nicolas Buzenval, un passage par Bristol en Angleterre, Saint-Martin-de-France, institut de La Tour.
S’il ne regrette pas des années de pensionnat parfois difficiles (“ça forme un homme”), il évoque avec retenue des blessures qui l’ont certainement formé et endurci (“Tous les mecs qui ont fait des choses dans leur vie sont des mecs qui ont morflé »), mais n’ont à l’évidence pas cicatrisé : les brimades, les coups – la cruauté des enfants lorsqu’ils trouvent plus fragile qu’eux. Ça, il veut oublier. Alors à 16 ans, c’est l’échappée belle.
C’est la guitare, la découverte du jazz manouche, l’aventure : “J’allais dans les bars où on le jouait. Petit à petit, je sympathise, je tape le bœuf. Je découvre la culture des gens du voyage, leur langue, leur religion, leurs valeurs, les endroits où ils vivent. Ils ne me jugeaient pas. J’étais l’animation, le petit blond qui les faisait marrer. On m’aimait bien, on me donnait à manger, on me logeait…”
“Rentrer dans la gueule”
C’est une seconde naissance, un nouveau souffle : “J’ai fait le parcours inverse d’un missionnaire – j’y suis allé non pas pour convertir mais pour me laisser convertir.” Il apprend à parler le romani, crée l’association Défense de la culture tsigane. Il écrit un dictionnaire tsigane. Il explique : “J’ai voulu les mettre en lumière. Personne ne sait vraiment qui sont les gens du voyage, les forains.”
Mais certains deviennent méfiants. On se demande ce qu’il veut, au fond, ce jeune homme bien mis qui multiplie maintenant les apparitions à la télé, à la radio, les tribunes dans la presse. Qui semble y prendre goût. Qui parle en leur nom, qui “les met en lumière” soit, mais en prend beaucoup aussi.
“Certains ont cru que j’étais une sorte d’espion, d’autres m’ont reproché de parler d’eux alors qu’ils préféraient rester dans l’ombre. Je leur répondais qu’ils se trompaient, que la discrétion qui les avait protégés pendant des siècles leur portait préjudice aujourd’hui.”
Si Louis a réussi à se faire adopter par les gens du voyage, il n’a pas rompu avec son milieu d’origine. Il habite toujours le XVIe, entame alors une licence de droit privé, fait un stage auprès du sénateur UMP Pierre Hérisson. Ça se passe mal : “Je me suis fait virer parce que je rentrais dans la gueule de tout le monde. J’aime bien provoquer…”
Aux grands hommes…
Louis aime les personnalités, les grandes gueules, les éloquents, rien ne le séduit tant que le charisme. Parmi les “hommes forts” qu’il admire, il y a, en vrac : son père, l’abbé Pierre, Gandhi, De Gaulle, Mitterrand, Daniel Cohn-Bendit, Jean-Luc Mélenchon, Daniel Balavoine, Jean-Marie Le Pen…
Jean-Marie Le Pen ? Oui. “Je combats ses idées mais il a marqué l’histoire, c’est l’un des meilleurs orateurs.” C’est en imitant les grands discours de ces “orateurs” préférés qu’il a appris à aimer la politique. Il lance, convaincu: “Je pense que les gens attendent des guides. Le politique doit être un général et non un soldat. L’homme a besoin d’être guidé. Et tout le monde ne peut pas guider.”
Pense-t-il faire l’affaire ? Pour l’instant, ça n’a pas encore pris. Après son expérience avortée auprès de Pierre Hérisson, il a voulu travailler dans une mairie PS, persuadé que ses prises de position en faveur des Roms lui ouvriraient des portes. Raté.
Louis : “J’ai aussi tenté de me rapprocher d’Europe Ecologie-Les Verts. Ça n’a pas marché. J’ai été déçu et surpris. Personne ne m’a appelé.” Qu’à cela ne tienne, il décide alors de créer le “Parti européen” et de présenter une liste aux dernières élections européennes. Son score – 0,003 % – ne l’a pas découragé. En 2017, il tentera d’obtenir les 500 signatures pour se présenter à l’élection présidentielle.
“Je n’ai jamais eu de copine de ma vie”
En attendant, il termine l’écriture d’une “histoire des fêtes foraines”. Après ça, dit-il, il aura “épuisé le sujet”. Il veut maintenant “changer son image médiatique”, pour dorénavant incarner “le M. Europe.” Il précise : “Ce ne sera plus 75 % tsigane, 25 % Europe – mais l’inverse.” Louis, enfant bien né, ado parfois maltraité, jeune homme ambitieux, semble vouloir conquérir le monde autant qu’une identité. Il déplore : “Nabilla a plus d’abonnés que moi sur Twitter ! Une nana qui montre ses seins à la télé a plus d’abonnés qu’un mec qui défend des minorités et propose un projet politique !”
Alors, son “engagement”, il s’y consacre corps et âme : “Je n’ai jamais eu de copine de ma vie.” Pas le temps. Il a même arrêté la guitare. Il dit aussi : “J’aime être dans les médias, j’aime quand les gens me reconnaissent.” Un narcissisme qui peut irriter. Il le sait. Mais il promet : “Je ne suis pas si petit con que ça. J’ai envie de faire preuve d’abnégation. Un jour j’ai demandé à mon grand-père ce qu’était la noblesse. Il m’a dit, c’est servir le peuple et servir l’Eglise. Moi j’ai choisi de servir le peuple.”
Louis Gouyon de Matignon a fait sien l’adage populaire : on n’est jamais mieux servi que par Louis même.
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