Dans une élection municipale sans candidats investis par les partis républicain et démocrate, les prétendants s’appliquent plus à séduire les différentes communautés de la ville qu’à développer des argumentaires politiques.
En pleine campagne, Eric Garcetti se rend à un petit déjeuner avec des gérants de PME à Northridge, au nord de Los Angeles. Poignées de main par-ci, grands sourires par-là. La politique à l’américaine. Mais quand un entrepreneur sikh s’approche, c’est en hindi que le candidat à la mairie de Los Angeles se présente. Autant dire que le multiculturalisme n’effraie pas Garcetti, bien au contraire.
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Plus tard dans la matinée, le conseiller du district d’Hollywood rencontre des immigrés latinos devant la mairie, affublé d’un bonnet péruvien. Après le déjeuner, il remplace son couvre-chef coloré par une kippa noire, avant de rejoindre des rabbins pour allumer une ménorah. Au moment de la photo souvenir, il rassemble « toda la familia » et chante en espagnol. « J’ai un nom de famille italien, et je suis mi-juif, mi-mexicain. » Si Garcetti se targue de remplir toutes les cases du questionnaire ethnique, c’est qu’à Los Angeles, ça a son importance. La faute à une élection non-partisane, c’est-à-dire sans candidat républicain ni démocrate investi par leur parti.
En somme, n’importe qui peut se présenter, ce qui incite les Angelinos à voter conformément à leur origine ethnique. Et c’est là où ça se complique. Deuxième agglomération des États-Unis derrière New York, L. A. compte 3,7 millions d’habitants dont presque la moitié d’Hispaniques. Depuis l’an 2000, la mixité raciale s’est accélérée : Blancs, Latinos, Afro-Américains, Asiatiques, Juifs… c’est toute la planète qui se croise ici. Un changement démographique récent et brutal, puisque dans les années 50, les Blancs représentaient 90 % de la population californienne. Aujourd’hui, les instituts statistiques prévoient que le « Golden State » sera majoritairement latino d’ici le mois de juillet.
Évidemment, une telle évolution a des conséquences politiques. On l’oublie, mais la Californie a longtemps été un bastion républicain avant de devenir un sanctuaire démocrate. En effet, avec l’arrivée massive d’immigrés hispaniques et asiatiques, ce ne sont plus seulement les vieux électeurs blancs et riches qui se rendent aux urnes. « Les républicains ont fait un mauvais calcul, commente le chercheur Raphael Sonenshein, directeur du département des affaires publiques à l’université de l’État de Californie. Ils sont devenus de plus en plus conservateurs sur les questions de société, et ils se sont mis à stigmatiser les immigrés. » Résultat : les républicains ne présentent qu’un candidat à la mairie, certain de perdre. Mais comment font les autres pour se distinguer alors qu’ils défendent tous le même programme démocrate ? Par l’appartenance raciale : on exhibe ses racines, on apprend à parler hindi et on met le bon chapeau en fonction de ses interlocuteurs.
La politique, « c’est le show business pour les moches »
C’est la stratégie adoptée par Antonio Villaraigosa depuis 2005. En flirtant avec les communautés hispanique et afro-américaine, ce sexagénaire d’origine mexicaine, à qui on prête des idylles avec le gratin latino – dont Eva Longoria -, est devenu le premier maire hispanique de L. A., et a été réelu en 2009. Sauf que cette fois, l’élection ne compte aucun candidat « ethnique », mise à part l’Afro-Américaine Jan Perry. « Les candidats se ressemblent tellement qu’ils luttent pour trouver une base solide », souligne Sherry Bebitch Jeffe, professeure à l’université de Californie du Sud. Faute d’avoir été adoubé par une communauté particulière, les huit candidats mangent à tous les râteliers. Une attitude opportuniste mais nécessaire dans une élection où le taux d’abstention avoisine les 75 %. » À Los Angeles, on se fiche de la politique », explique Alexandre, ancien étudiant à l’université de Californie. Tout tourne autour du cinéma. La politique, « c’est le show business pour les moches. Personne ne sait qui est maire de la ville. »
Du coup, les candidats jouent des coudes pour rallier les communautés qui votent, à l’instar des Juifs – 6 % de la population angeline, mais presque 20 % des électeurs. Publicités à foison dans les médias de la communauté, dîners et forums pour défendre Israël, cérémonies religieuses au temple Sinaï… À chaque fois, les candidats rappellent leur attachement aux valeurs du judaïsme, et n’hésitent pas à exagérer leurs attaches familiales.
Ainsi de Garcetti, ce « burrito kasher » dont les grandsparents ont fui les pogroms russes. Sa principale rivale, Wendy Greuel, raconte comment sa mère a prédit qu’elle épouserait un « gentil garçon juif ». Et Jan Perry aussi y va de sa petite confession, rappelant comment sa conversion au judaïsme a transformé sa vie. Elle promet qu’une fois élue, elle aidera les familles sans le sou qui souhaitent envoyer leurs enfants dans des écoles juives privées. Tous courent derrière le soutien public de Zev Yaroslavsky, superviseur du comté de Los Angeles et leader de sa communauté. Même combat pour ce qui est de grappiller des voix du côté latino. À ce jeu-là, c’est Wendy Greuel qui a été la plus habile, remportant la faveur des leaders hispaniques. Un sceau utile, qui lui permet de mettre en place une coalition raciale, rassemblant les Latinos et les Juifs par exemple.
« Les communautés ne sont pas monolithiques, explique Raphael Sonenshein. Le maire Villaraigosa a assuré sa victoire en se rapprochant de la communauté noire, en plus de son appartenance latino. On observe la même chose avec l’Afro-Américain Tom Bradley (maire de 1973 à 1993 – ndlr) qui a gagné en alliant les Juifs et les Noirs. » Pour Sonenshein, les coalitions raciales sont au coeur de la politique américaine : c’est la relation entre un fragment d’une communauté et un fragment d’une autre. Ensemble, ils trouvent un terrain d’entente pour mener un même combat. Dans les années 70, les Blancs conservateurs tiennent la mairie. Les libéraux blancs, exclus du pouvoir, décident de se rapprocher de la communauté noire pour créer une coalition. Cela fonctionne si bien que Tom Bradley restera maire pendant vingt ans. Aujourd’hui, cette coalition Blanc/Noir s’est transformée en coalition Noir/Latino. « C’est ce que l’on a observé avec Obama pendant la campagne présidentielle », pointe Sonenshein.
En effet, Barack Obama a construit sa victoire sur une mobilisation des communautés noire, latino, juive et asiatique. Et comme à L. A., les républicains n’ont pas pris en compte l’évolution démographique des États-Unis. « Non seulement les républicains n’ont fait aucun effort législatif pour les Latinos, mais ils ont légiféré contre eux, commente Pierre-Louis Rolle, rédacteur en chef du site américaniste Bully Pulpit. Ils commencent à tirer les leçons de la défaite de Mitt Romney, qui n’a remporté que trois électeurs latinos sur dix. En ce moment, une commission bipartisane planche sur une réforme de l’immigration qui permettrait de régulariser 11 millions de sans-papiers. » Un effort qui permettrait au vieux parti de ne pas se laisser pulvériser, comme à Los Angeles.
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