Considéré par le gouvernement comme un fleuron de l’industrie française à préserver d’une prise de contrôle étrangère, le groupe L’Oréal entretient des liens avec les milieux politiques, de droite comme de gauche, depuis les années 1930.
Indépendamment de “l’affaire” qui agite la presse et fait trembler le gouvernement, l’entourage de Liliane Bettencourt, troisième fortune de France, reconnaît sans difficulté sa modeste contribution à la santé financière de l’UMP. La grande patronne fait bénéficier le parti majoritaire de ses libéralités, signe discret de bienveillance politique.
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Il est de tradition, lorsqu’on dirige L’Oréal, de se lier au pouvoir politique. Comme le rappelle Hubert Bonin, professeur d’histoire économique à l’IEP de Bordeaux:
“A plusieurs moments forts, des membres des cercles de sa direction ou de la famille propriétaire se sont fortement engagés dans des prises de position idéologiques ou politiques.”
Eugène Schueller contre le Front populaire
Autres temps, autres moeurs : dans les années 1930, c’est vers le Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR), dit “La Cagoule”, organisation clandestine d’extrême-droite inspirée du fascisme, que balance le coeur d’Eugène Schueller, père de Liliane Bettencourt et fondateur de la marque. Fils de pâtissiers, il avait “réussi”, et la gauche risquait de tout gâcher:
“Le Front populaire déclenche chez lui une réaction « ultra », explique Hubert Bonin. Il est choqué qu’on remette en cause la légitimité des « bons patrons ».”
Le dirigeant de L’Oréal se rapproche d’Eugène Deloncle, créateur du CSAR, et finance son mouvement sous Vichy. Il écrit dans plusieurs journaux collaborateurs avant de s’en éloigner à partir de 1941-42.
“Si, après la guerre, L’Oréal s’est fait discret pour échapper à l’épuration et faire oublier son passé avec la Cagoule, les relations sont restées constantes”, écrit Martine Orange sur Mediapart.
“Une dizaine d’anciens collaborateurs de la mouvance de Deloncle sont recrutés dans le groupe, discrètement, soit en France, soit surtout à l’étranger”, selon Hubert Bonin. Le plus connu d’entre eux, Jacques Corrèze, ancien de la Légion des volontaires français, entre chez L’Oréal dès sa sortie de prison en 1950 et finit par diriger le distributeur du groupe aux Etats-Unis, Cosmair.
André Bettencourt, Mitterrrand et Pompidou
Le mari de Liliane Bettencourt, André, qui a pris la succession de son beau-père, a connu très jeune le futur président Mitterrand:
“Ils avaient fréquenté la même résidence parisienne d’étudiants avant-guerre et avaient partagé un même corpus d’idées sociales-chrétiennes de droite”, explique Hubert Bonin.
Grâce à son ami de jeunesse, dont il reste proche toute sa vie, François Mitterrand dirige quelques mois le magazine féminin Votre beauté, publié par L’Oréal, à la Libération. Beaucoup plus tard, en 1986, Mitterrand envisage même de faire d’André Bettencourt son Premier ministre.
Il faut dire que l’industriel s’est largement consacré à la politique. Bien qu’homme de droite (député du Centre national des indépendants en Normandie), il rejoint le gouvernement Mendès-France à un poste de secrétaire d’Etat pendant huit mois.
De 1966 à 1973, ayant rallié les pompidoliens, il est ministre quasiment sans interruption. “Le couple Bettencourt était très proche du couple Pompidou”, confirme Béatrice Collin, auteure d’un ouvrage de stratégie sur le modèle L’Oréal.
L’affaire Dalle/Frydman
Dans les années 1990, François Dalle, successeur d’Eugène Schueller à la direction générale du groupe présidé par André Bettencourt, est gravement mis en cause par son ancien associé, Jean Frydman. Les deux hommes ont créé ensemble une filiale de L’Oréal en 1988, mais Jean Frydman l’accuse de l’avoir écarté de la gestion de cette filiale sur des fondements discriminatoires, sur fond de boycott anti-israélien par la Ligue arabe (voir la vidéo).
Egalement proche des réseaux Mitterrand, François Dalle a présidé une Commission nationale de l’industrie en 1983 et rédigé un rapport sur le destin de l’automobile. Puis un autre, commandé par Philippe Séguin, le ministre des Affaires sociales, en 1986, portant sur l’emploi et la compétitivité de la France.
L’autre affaire Bettencourt
En 1995, on apprend que la justice américaine enquête sur la participation d’André Bettencourt à une feuille de chou collaborationniste, La Terre Française, entre 1940 et 1942. Les frères David et Jean Frydman, toujours en bisbille avec L’Oréal, qualifient l’entreprise de “repaire d’anciens nazis” et mettent en doute la participation d’André Bettencourt à la Résistance (voir la vidéo).
En ce qui concerne les écrits vichystes d’André Bettencourt, “disons à sa décharge qu’il avait reconnu cette erreur et cette faute, et s’en était excusé avec discernement”, rappelle Hubert Bonin.
L’Oréal, fleuron français
Pour Béatrice Collin, L’Oréal symbolise une “très belle réussite d’entreprise internationale, leader mondial dans le secteur de la beauté et du luxe”. Un secteur stratégique car “considéré comme typiquement français”. Ce qui explique que le pouvoir politique suive de près le procès entre Liliane Bettencourt et sa fille (voir la vidéo).
Si l’actionnaire principale du groupe était reconnue irresponsable, le fleuron français pourrait tomber dans l’escarcelle du Suisse Nestlé, lié à L’Oréal par un pacte d’actionnaires.
Dernier exemple en date de ces liens ténus entre les gouvernements successifs et le groupe : un cadre dirigeant de L’Oréal, qui y a travaillé de 1990 à 2002, jusqu’à son élection en tant que député de la Haute-Marne, est aujourd’hui ministre de l’Education nationale. Il s’appelle de Luc Chatel.
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