Les tropiques avec tropisme littéraire. « Long Cours », la revue qui réinvente le « travel writing ».
Rappelons qu’un “mook”, contraction de “magazine” et de “book”, est une de ces revues qui tentent de sauver une presse magazine bien mal en point, ravagée par l’offre pléthorique du net et le culte ambigu de la brièveté. Les mooks proposent des papiers étoffés, des enquêtes sur le long terme, des articles fouillés et richement illustrés par des images qui ne sont pas destinées à s’autodétruire dans le quart d’heure.
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Le premier mook a été XXI, vendu non en kiosque mais en librairie, et nombre de suiveurs se sont engouffrés dans ce créneau porteur, comme on dit dans les écoles de commerce. Ce suivisme est de bonne guerre s’il permet à la presse papier de survivre et d’offrir de l’info de qualité. C’est le cas de Long Cours, revue trimestrielle classe, lancée par le groupe Express-Roularta, qui choisit de renouveler la tradition du “travel writing”, magnifiée par le Suisse Nicolas Bouvier, l’Anglais Bruce Chatwin et aujourd’hui notre compatriote Sylvain Tesson, contributeur régulier de la revue, qui a fait un malheur avec Dans les forêts de Sibérie, où il démontre qu’il est capable de survivre en se passant d’à peu près tout sauf de vodka.
De Mark Twain à Djian
Long Cours nous entraîne ainsi sur les routes, s’efforçant comme il se doit de sortir des sentiers battus. La revue fait le pari que les lecteurs sont capables de s’intéresser à d’autres tribus que les hipsters de SoPi (South Pigalle), et que pour comprendre le monde, il faut un peu plus de 140 signes. Elle privilégie comme son nom l’indique le long sur le court, et si elle s’intéresse aux tropiques, gais ou tristes, c’est avec un fort tropisme littéraire, puisqu’on retrouve dans chaque numéro des écrivains, vivants ou morts, qui vont de Mark Twain à Philippe Djian, de Jerome Charyn à Erri de Luca. Et même pour les contributeurs plus jeunes et moins connus, l’exigence rédactionnelle est manifeste.
Revue trimestrielle, Long Cours en est maintenant à son sixième numéro. Le sommaire de ce très (trop) riche numéro est axé sur la croyance religieuse et la recherche spirituelle, omniprésentes dans un monde pourtant ultra matérialiste et qui peuvent prendre les formes les plus incongrues. On découvre ainsi un dossier sur le chamanisme, ce conglomérat de croyances qui doit toucher quelque chose d’universel chez les humains, puisqu’on le retrouve, sous des manifestations diverses, de la Sibérie à la forêt amazonienne en passant par la Laponie.
Olivier Weber nous emmène chez les geeks stressés de la Silicon Valley qui tentent d’oublier les algorithmes et les cours de leurs stock-options en se plongeant dans la méditation. Hubert Prolongeau nous fait découvrir “le syndrome de Jérusalem”, bien connu des psychiatres locaux, un délire mystique qui peut frapper les croyants de toutes confessions, dans la ville trois fois sainte et surchargée de religiosité.
Le transsibérien, microcosme de la Russie
Au rayon littérature, un inédit de Paul Bowles, qui délaisse son cher Tanger pour explorer les croyances des campagnes marocaines, remplies de djinn, de “fqih” et de fumeurs de kif, où la frontière entre réel et surréel est parfaitement poreuse. Une atmosphère si étrange et surnaturelle qu’on se croirait transporté dans les mondes imaginaires d’un Henri Michaux.
Il est impossible de citer toutes les contributeurs de ce numéro, signalons deux textes qui illustrent à leur manière la volonté de Long Cours d’aller à contre-courant des modes et des circuits tout tracés : Sabri Louatah, l’auteur du remarqué Sauvages, qui retourne dans l’Algérie de ses origines familiales et livre un portrait sans concession d’un pays qui le fascine et le désespère dans le même temps, et le voyage inversé des frères Reychman, Clément et Maxime, globe-trotters impénitents que leur phobie de l’avion a obligés à traverser le monde par le plancher des vaches, et qui livrent un témoignage plein d’humour et d’autodérision de leur périple dans un transsibérien à contresens, de Vladivostok à Moscou. Un train devenu un véritable microcosme de la société russe, sans un seul touriste mais rempli de parachutistes en goguette qui oscillent, selon leur degré d’imbibition, d’une agressivité terrorisante à la sentimentalité la plus dégoulinante. Bon voyage.
Olivier Mialet
Long Cours, n° 6, trimestriel, hiver 2013, 15 €
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