Frustré par la « blancheur » des médias traditionnels, le collectif londonien gal-dem s’attache à briser les stéréotypes accolés aux personnes de couleur via un site d’opinions contestataire et des événements culturels fédérateurs. Preuve que Londres, en dépit de son multiculturalisme réputé, a besoin d’un bon coup de gueule.
Au sous-sol d’un bar de Shoreditch, dans l’Est de Londres, une soixantaine de personnes attend que le maître de soirée ajuste son micro. Sur l’estrade, quatre jeunes entrepreneurs parlent de leurs projets respectifs : des publications réalisées par et pour les BME, acronyme de « Black and Minority Ethnic », contenant des reportages, des interviews, des tribunes conçus, édités et destinés aux personnes de couleur. Parmi les quatre entrepreneurs figure Mariel No, rédactrice Arts et Culture du magazine en ligne gal-dem. « Les médias traditionnels sont biaisés, » raconte t-elle. « Les articles publiés par des femmes de couleur traitent toujours des deux mêmes choses: de race et de genre. Mais les femmes de couleur ont leur propre avis sur tout plein d’autres sujets. Notre but est de redresser la balance. »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Webzine fondé en septembre 2015 par Liv Little, en réaction à la totale « blancheur » de son cursus universitaire – que ce soit au niveau du contenu des cours ou des membres de sa promo – gal-dem s’est imposé comme le média alternatif et contestataire se faisant la voix d’une population sous-représentée par les médias. « Les gens riches et blancs ne sont pas le mal en soi, mais quand une partie de la population est à la tête de la chaîne alimentaire, leur influence et leurs préjugés peuvent affecter le reste d’une industrie, » analyse Charlie Brinkhurst-Cuff, rédactrice politique de gal-dem, dans un article de Dazed.
Le site tire son nom de l’expression Londonienne man-dem (« terme d’origine caribéenne utilisé pour décrire un groupe d’amis ou de homies« , selon l’Urban Dictionary), déclinée en version féminine via le préfixe gal, « girl » en argot britannique. Comptant plus de 70 collaboratrices régulières, toutes bénévoles, le site publie des articles à contenu politique, culturel, social, historique ou personnel, avec des titres allant de Ne pas se raser n’est pas toujours une option pour une femme de couleur à Immigré VS Expatrié : la vie d’un enfant de troisième culture. « Les médias dits « blancs » n’ont pas qu’une seule et même voix, alors pourquoi serait-ce le cas des personnes de couleur? » assène Mariel No. « On ne veut pas toujours forcément parler de « la lutte », on est libres de parler de n’importe quel sujet qui nous concerne. Nous sommes multi-facettes. Chez gal-dem, on est fières de pouvoir donner une plate-forme d’expression à une pluralité de voix qui ne sont pas généralement entendues. »
D’Internet au musée Victoria and Albert
Face au succès de son site en ligne, gal-dem s’est essayé à la présence papier, lançant son premier magazine en septembre dernier sur le thème de Gal-hood, ou comment être une jeune femme de couleur en 2016. Le prochain numéro, Home, est prévu pour la fin d’année. Mais l’action de gal-dem dépasse la sphère médiatique: le collectif organise et participe régulièrement à des événements visant à promouvoir ce besoin de multiculturalisme, que ce soit dans la presse, comme la conférence de Stack Magazines, ou dans le domaine culturel en général, comme lors de leur takeover du prestigieux musée Victoria and Albert en novembre 2016. Le temps d’une soirée, plus de 4 000 visiteurs ont pu découvrir les galeries du musée sous un autre angle, habitées par des œuvres, performances et happenings réalisés par des jeunes femme de couleur.
« Le côté collectif de gal-dem nous est devenu de plus en plus important au fur et à mesure de notre évolution, » explique Charlie Brinkhurst-Cuff par mail. « Ça nous tenait à cœur de traduire notre succès en ligne à des espaces en chair et en os. » En mai dernier, le collectif a organisé une soirée en partenariat avec la marque Asos, où des écrivains comme Bridget Minamore ou Raheela Suleman sont venues lire leurs œuvres. « On veut montrer que les femmes de couleur peuvent arriver à percer dans tous les domaines de l’industrie créative. »
Faire résonner leurs voix au niveau national
Face à une presse, notamment féminine, en cruel manque de diversité, les actions de gal-dem, auréolées de l’étiquette « cool » associée à toute entreprise évoluant dans l’Est de Londres, secouent sérieusement les médias nationaux. Plusieurs collaboratrices du site sont journalistes free-lance, écrivant pour des titres établis comme The Guardian ou The Independent. Le collectif a également reçu plusieurs prix récompensant leurs efforts, dont le prestigieux Prix Georgina Henry pour l’Innovation Journalistique, délivré par l’association Women in Journalism. Les bénéfices du prix vont permettre à gal-dem de louer un espace où gérer leur publication, jusqu’ici complètement nomade. « Même si recevoir un prix ne veut pas dire grand chose, ils ont été très gratifiants dans le sens où ils représentent différentes formes de reconnaissance, » analyse Charlie Brinkhurst-Cuff. « La première étant que l’industrie journalistique globale approuve de notre existence – même si je pense que nos contenus les plus radicaux ne leur feraient pas trop plaisir ! – et la deuxième que nous avons une vraie fanbase. »
Celle-ci est férocement loyale, attirée par le côté affinitaire de la publication, qui est ouverte à toutes les contributions. Les fans deviennent collaboratrices, faisant résonner une voix qui hausse progressivement le ton à Londres, dont le multiculturalisme est le sujet de vifs débats depuis le vote du Brexit. « Quand, lors d’un weekend à Londres, je suis tombée sur le magazine gal-dem, j’ai immédiatement su que je voulais en faire partie, » se rappelle Mariel No. « gal-dem répond à un sentiment universel: la qualité de notre travail ne devrait pas être jugée en fonction de notre couleur de peau. »
{"type":"Banniere-Basse"}