Fini la nymphette infantilisée et passive : cette dernière fashion week, de nouvelles figures de Lolitas sont apparues pour mieux abolir les stéréotypes sexistes et se jouer du masculin-féminin.
Des robes noires à volants parsemées de marguerites, des jeans brodés de cœurs retenus sur les hanches par des ceintures ornées de papillons : la jeune fille Paco Rabanne arbore des emblèmes romantico-naïfs dans un défilé façon seventies. La particularité de la collection ? L’introduction d’une ligne masculine où les garçons adoptent eux aussi des hauts à cœurs. Cette saison, la figure de la Lolita s’invite chez les créateurs aux univers des plus contrastés : elle se lit dans les grandes lunettes de soleil et les capelines chez Marc Jacobs, ou auprès de la marque déconstructiviste Ottolinger qui ressuscite les bikinis à carreaux Vichy à la Bardot. Elle se devine dans les broches chez Y/Project, la combinaison sandales-socquettes chez A.P.C. et dans les sacs Hello Kitty du défilé Balenciaga qui explorait la traduction du pouvoir par le vêtement.
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Ces apparitions variées témoignent d’une fascination prégnante pour cette figure qui, selon l’anthropologue et psychiatre Marika Moisseeff, renferme “une histoire de la transformation radicale du corps féminin, d’une métamorphose”.
“Une chrysalide se préparant à devenir un être autre”
Depuis sa première apparition filmique sous les traits de Sue Lyon dans le film Lolita de Stanley Kubrick, l’héroïne n’aura eu de cesse de voyager. Des teen movies aux films d’horreur comme Carrie, “c’est une chrysalide se préparant à devenir un être autre, d’une beauté visible et assumée”, écrit le chercheur Sébastien Dupont dans L’Adolescente et le Cinéma – De Lolita à Twilight (avec Hugues Paris, Erès, 2013). Lolita, icône du corps en proie aux changements, est-elle devenue le terrain d’un récit d’affirmation le plus à même d’illustrer des récits de métamorphoses en tout genre ?
En plein Youthquake (terme inventé par Diana Vreeland pour définir ce moment où la jeunesse devient la source d’inspiration de la mode dans les années 1960 – ndlr), c’est sous les traits du modèle Twiggy, en minijupe Mary Quant, que la mode donne vie à Lolita. Alors que l’adolescence se constitue comme un groupe spécifique de la société, Twiggy, avec ses jambes arquées et ses yeux de biche, inspirera le look de nombreux avatars.
Par la suite, chaque décennie taille une Lolita à sa mesure : en 1990, Kate Moss, avec son look d’enfant des rues (on la qualifie de waif, « enfant abandonné »), devient l’icône de la génération X. Agée de 16 ans, elle fait la couverture du Vogue Italie sous l’objectif d’Ellen von Unwerth, qui confiera : “L’inspiration vient du film Lolita, l’un de mes films préférés.” Aujourd’hui, des vierges pastel de Sofia Coppola à Jeune & jolie de François Ozon, la nymphette de Nabokov se serait-elle émancipée ?
La mise en avant des sous-cultures
“Mon instagram est un univers dominé par les femmes où les hommes sont des personnages secondaires, où les femmes ont le pouvoir, et où leur force et leur sexualité sont célébrées », explique Hannah, dont le compte Instagram @doyoulovethe2000s fait la part belle à Lindsay Lohan (Lolita malgré moi, 2004), aux héroïnes de Clueless (1995) ou encore à Paris Hilton. Autant d’Américaines alors préados qui évoluent entre les plateaux des teen programs et des vies personnelles aux problématiques d’adultes. Ces Lolitas « girl power » du début du millénaire deviennent des emblèmes et font l’objet de mèmes nostalgiques, ce qui ne fait que décupler leurs pouvoirs.
La culture web permet également la mise en avant des sous-cultures, comme le kawaii, mouvement initié par des jeunes filles japonaises et qui s’est diffusé dans la société et l’imaginaire nippon puis mondial comme une figure d’innocence stylisée. Dans la mode, la collection de Kevin Germanier fait le buzz pour son hommage à Sailor Moon (héroïne japonaise de mangas et animes – ndlr), « la première figure féminine qui était l’héroïne d’une histoire sans personnage masculin”, dit-il.
De retour sur les podiums, Lolita semble être l’individu mode par excellence. Caractérisée par son corps en métamorphose, elle est la métaphore même de la mode comme lieu de création identitaire. “Si l’adolescence a toujours été l’âge de toutes les passions, elle est aussi aujourd’hui celui de toutes les identités. (…) Nous sommes passés en quelques années d’une culture du livre dans laquelle les contraires (stylistiques) s’excluent à une culture des écrans dans laquelle ils cohabitent : c’est la fin du ‘ou bien, ou bien’ au profit du ‘à la fois, à la fois », explique Serge Tisseron dans sa préface à L’Adolescente et le Cinéma.
Soit un bricolage que la mode propose depuis bien longtemps. Son look girly s’ouvre à de nouvelles lectures. Comme pourraient le laisser penser les hommes portant des sacs Hello Kitty au dernier défilé Balenciaga : l’adolescence est aussi aujourd’hui le temps pour jouer de toutes les identités.
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