De Libération à Canal +, Loïc Prigent est peut-être le seul à ce jour à déshabiller correctement la mode et lui tailler un costume sur mesure qui sied au petit écran comme au format DVD.
De Libération à Canal +, Loïc Prigent est peut-être le seul à ce jour à déshabiller correctement la mode et lui tailler un costume sur mesure qui sied au petit écran comme au format DVD. Après Karl Lagerfeld chez Chanel, Marc Jacobs chez Vuitton, le réalisateur et producteur du rendez-vous mode de Canal +, Habillé pour l’hiver – a travaillé la question du Jour d’Avant. Soit la plongée en plein chaos chez quatre créateurs la veille de leur défilé. Panique. Une ruche de doux dingues dont il est l’un des rares à pouvoir apprivoiser le surplus d’énergie. L’art du coupé-décalé.
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Le Jour d’avant, ce sont quatre créateurs choisis selon quatre critères différents la veille de leur défilé : Sonia Rykiel et ses quarante ans de création ; les jeunes Américains de Proenza Schouler; Jean-Paul Gaultier et la Haute-Couture ; Fendi une maison de fourrure romaine à l’origine dessinée par Lagerfeld. Chaque moment est l’occasion de pointer les enjeux et les hystéries de chacun.
Quel regard portez-vous sur ce nid de créatifs ?
Je ne crois pas que l’on soit malveillant autrement les créateurs ne nous ouvriraient pas leur porte. D’ailleurs, ce n’est jamais si cruel. « Habillé pour l’hiver » (ou l’été selon la saison), par exemple sur Canal, c’est le rendez-vous de la vanne, une pratique un peu gonzo de s’infiltrer dans le tumulte des défilés. Les gens de la mode sont assez généreux. Ils sont bons devant la caméra ! Ils ont peur de laisser leur image filer, ils la protègent, la gèrent et ont le sentiment de la contrôler, mais, au final, ils te laissent faire. La notoriété est plus forte que l’ego. Pour le docu de Marc Jacobs, tu voyais Yves Carcelle, second de Bernard Arnault, dans des positions incroyables qu’aucun autre Pdg de l’agro-alimentaire n’autoriserait. J’ai souvent dans la tête ce court-métrage de Mike Mills, « Paper Boys ». Il y a cette espèce d’innocence du réalisateur à poser sa caméra, à observer un gamin et à attendre que cela arrive. Cette manière de filmer m’a appris la patience pour traquer des mannequins chez Chanel. Au bout d’un moment, cela émerge.
La mode semble rétive au cinéma bien que dernièrement le documentaire semble remplir les manques du passage à la fiction comme The September Issue ou le documentaire de Valentino : The Emperor, présenté à Sundance. N’avez-vous pas envie de te lancer à la poursuite du grand écran ?
La mode est une construction mentale que tu ne peux pas reproduire. Il faut que le coiffeur soit dingue, le maquilleur… « folle ». Ces personnages sont plus forts que la fiction, c’est ce qu’affirme Matt Groening des Simpsons. Robert Altman dans « Prêt-à-porter » semblait avoir compris que cela ne pouvait se reproduire alors il a foutu sa caméra à l’intérieur, en prise directe pour certaines scènes. Il était bien parti à la base, avec des incursions de cinéma-vérité, ce défilé de Gianfranco Ferré au Carrousel du Louvre. Et patatras. Il a essayé d’y introduire une vision de la capitale plus redoutable que jamais. Paris et ses crottes de chien ! Malaise. Tout ça pour te dire que je me méfie du passage au grand format, du syndrome «faite-le en grand et ce sera de l’art ». J’assume le format télé. Il me convient. Je suis rentré en 97 chez Canal après Libération où je chroniquais la mode. J’avais cette envie de parler de ce milieu, des mannequins, des défilés, des collections comme une discussion au comptoir, et cacahouètes en sus. Un truc vite lu. J’espère avoir gardé cette fébrilité-là. J’ai appris en partie auprès de JRI, journalistes reporters d’images – un terme cool, non ? Ils revenaient sûrement du front, de Tchétchénie et la mode leur semblait un moment… impayable. Mon premier reportage n’a cependant pas été directement sur ce sujet… J’ai commencé avec les Daft Punk, je les ai pris sans leur casque, à Birmingham ! Un exploit introuvable même sur Youtube.
En clair, votre appréhension de ce milieu, c’est un peu « la Mode pour les Nuls » ?
Oui ! Le documentaire sur Proenza Schouler, ces deux créateurs américains, nouveaux dauphins d’Anna Wintour, c’est exactement cela. Dans ma tête, j’ai la volonté que ma mère comprenne tout. Quand tu visionnes le film sur ces deux-là, c’est un peu Broadway : ils aiment déconner avec les mannequins, leur faire croire qu’à seize ans, ils avaient l’air dingue et dangereux, s’imaginer en top-models et se rêver d’être des garces, etc. C’est un joli théâtre de l’ego où ce qui m’intéresse c’est de comprendre le cheminement créatif entre un dessin et sa réalisation. Entre : tous les moteurs du désir sont en marche. Puis, la mode, c’est un docu par jour. Prends Lagerfeld, par exemple, un diamant à multi-facettes. Il a cette phrase dans le film de Fendi où il prend congé de la caméra : «Je suis navré de disparaître de votre objectif pour plonger dans la nuit milanaise ».
Aucune autre prétention que de témoigner ? Avez-vous vu le dernier documentaire de Frederik Wiseman sur l’Opéra de Paris plutôt épuré par rapport au tourbillon des documentaires « Jour d’Avant ! »
Oh ! j’ai la jupe plus courte que ce Monsieur dont je ne connais pas le travail bien que des amis m’ont dit le plus grand bien. La mode a une couleur qui ne s’embarrasse pas d’ondes si minimales. Il est long ce documentaire, non ? Tout dure 2h30 désormais. 2012, c’est 2012 heures, tu crois ? J’ai noté l’autre jour dans un catalogue d’un producteur une nouvelle catégorie de films. Il y avait comédie, drame et en anglais « disastertainment ». Soit en français, désavertissement, non ?! La mode est peut-être à ranger dans cette catégorie !
Défendre les couleurs de la création estampillée made in France semble votre cheval de bataille?
Je sais que la création n’a pas de passeport mais je ne comprends pas que le luxe en France soit autant méprisé par les politiques, par exemple. Lors de la « Fashion Night Out » à Paris, un évènement au mois de septembre dernier où toutes les rédactrices de Condé Nast du monde entier – la crème de la crème -donnaient rendez-vous aux clientes …Et bien on n’a pas vu l’ombre d’un Delanoë ! À New York, le maire Michael Bloomberg et toute son équipe fédérale se sont déplacés pour serrer la pince d’Anna Wintour qui attendait patiemment chez Bloomingdale’s. Ici, j’ai l’impression que le luxe, c’est crade, ça tâche bien que cela génère des propriétés positives de créations comme de profits indiscutables ! C’est bizarre. En France, fleuron de la mode, la longévité d’un créateur est désormais égale à la durée de vie d’un papillon alors qu’aux États-Unis, un créateur comme Alexander Wang peut dormir dans un dortoir en 2007 et embaucher 38 employés en 2009. Le paradoxe français sûrement.
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