La proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » sera examinée les lundi 30 et mardi 31 mars au Sénat. Avec deux revirements possibles par rapport au texte présenté par l’Assemblée : renoncer à la pénalisation des clients et maintenir le délit de racolage. Explications.
Des prostituées délinquantes, et des clients non pénalisés ; la commission spéciale du Sénat, groupe de travail missionné pour examiner et réviser la proposition de loi sur la prostitution, a inversé deux des mesures phares du texte approuvé par l’Assemblée nationale il y a plus d’un an. Le 25 mars, les sénateurs ont confirmé leur volonté de supprimer les articles 16 et 17, qui visent à pénaliser les clients de la prostitution. Mais la commission est allée plus loin encore : elle a donné un avis favorable à l’amendement de Jean-Pierre Vial, sénateur UMP à la tête de cette commission depuis peu, qui revient sur l’abrogation du délit de racolage. Avec ces deux amendements, le Sénat « rompt l’équilibre de la loi », constate Hélène de Rugy, déléguée générale de l’Amicale du Nid,
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Impunité des clients
« Pénaliser les clients, c’est une innovation ». Michèle Meunier, sénatrice PS rapporteure de la loi, est contre l’amendement qui a finalement reçu l’approbation de la commission du Sénat. Une innovation qu’accueillent volontiers certains mouvements comme le Nid, qui militent pour une abolition de la prostitution. Mais pour d’autres, sanctionner les clients apparaît simplement comme une façon de « clandestiniser » davantage l’activité.
« Ce n’est pas un outil valable pour lutter contre les réseaux », redoute Irène Aboudaram, coordinatrice de Médecins du monde. L’organisation se veut « pragmatique », ajoute-t-elle, qui rappelle leur positionnement neutre sur l’interdiction de la prostitution. Même raisonnement du côté du Syndicat du Travail Sexuel (Strass), qui défend les droits de ses membres : « Avec cette mesure, nous travaillerons dans des zones de plus en plus isolées, où nous serons plus exposées aux violences », détaille Morgane Merteuil, l’une des porte-parole.
Pénaliser pour à terme abolir ?
Irène Aboudaram soulève le paradoxe de cette proposition de loi :
« Je ne connais pas d’autre activité, légale, où un client peut être sanctionné. »
L’objectif de la loi n’est pas en effet d’interdire la prostitution. Mais pénaliser le client s’inscrit dans une « logique abolitionniste », rappelle l’Amicale du Nid. Cette logique se réfère notamment au modèle suédois, où le fait d’acheter un acte sexuel est sanctionné. Mais avec quelle efficacité concernant la protection des personnes prostituées ? Et qu’en est-il de certains travailleurs du sexe qui militent, eux, pour une dépénalisation de leur activité ? rappelle Morgane Merteuil.
Rétablissement du délit de racolage
Si la pénalisation des clients ne met pas tout le monde d’accord, le délit de racolage fait en revanche l’unanimité au sein des associations : il doit être abrogé. C’est ce que proposait l’Assemblée nationale dans l’article 13 de sa proposition de loi. Et pourtant, la commission du Sénat veut revenir sur ce point, prétextant « une perte notable d’informations sur les réseaux » en cas d’autorisation du racolage.
Ce revirement de la part de la commission étonne, puisqu’elle marque un retour en arrière par rapport aux travaux de l’Assemblée nationale. Instauré en 2003 par Nicolas Sarkozy, le délit de racolage permet l’arrestation des personnes qui proposent leurs services sexuels. Une façon de mettre en contact personnes prostituées et police, prétendaient les défenseurs de cette mesure. Mais plus de dix ans après, les effets observés sur le terrain sont désastreux : pour ne pas se faire arrêter, les personnes prostituées s’isolent. « La police n’est plus vue comme une instance de prévention mais de répression », ajoute Irène Aboudaram. « De ‘victimes’ dans le premier texte, les prostituées seraient de nouveau considérées comme des délinquantes », fait remarquer Michèle Meunier, sénatrice PS rapporteure de la loi. « On se trompe d’objectif ». Sa réaction est presque épidermique :
« Tout ça pour ça ? C’est vraiment dommage si on en revient à l’identique. »
Rien n’est joué
Mais la rapporteure de la loi garde bon espoir, et se veut rassurante :
« Les travaux commission ne sont pas toujours le reflet de ce qui est voté par la suite »
Si ces deux amendements sont adoptés, la loi perdra de sa substance, s’accordent à dire les deux mouvements interrogés. « On ne peut pas nier qu’il y a des améliorations au niveau de l’accompagnement », concède Hélène de Rugy, quand Irène Aboudaram reconnaît quelques progrès notamment pour les personnes sans-papiers. Mais les deux responsables restent sceptiques : où se trouve la cohérence si les personnes prostituées sont toujours considérées comme des délinquantes ? Quels moyens seront mis en œuvre pour appliquer ces mesures d’assistance ? La coordinatrice de Médecins du monde s’interroge finalement sur l’utilité d’une telle loi :
« Simplement en renforçant le droit commun, on pourrait renforcer la lutte contre les réseaux et le proxénétisme. Ce n’est pas cela qu’on veut ? »
Une fois voté par le Sénat, avec ou sans les amendements, le texte repassera de nouveau à l’Assemblée. Les débats sont loin d’être clos.
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