Dans “Au château de l’ogre”, Marie-France Bokassa, fille de l’ex-empereur et dictateur de Centrafrique, raconte son enfance des plus compliquées.
Si vous pensiez obtenir des détails sur la célèbre affaire des diamants de Bokassa en achetant ce livre, passez votre chemin : il est à peine question de cette histoire révélée par le Canard enchaîné en 1979 dans le livre de Marie-France Bokassa, Au château de l’ogre (Flammarion). Plutôt que de revenir sur cette polémique – rappel : son père, autoproclamé empereur de Centrafrique en 1977, offrira dans les années 1970 des plaquettes de diamants à Valéry Giscard d’Estaing (VGE ), les révélations du Canard intervenant quelques jours après la répression sanglante de dizaines d’écoliers, imputée au dictateur – l’autrice et fille de l’ex-empereur préfère revenir sur son enfance un peu particulière, passée entre la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, la Suisse et la France.
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Car être la fille de Jean-Bedel Bokassa n’est pas anodin. Cela signifie plusieurs choses : savoir son père condamné à mort par contumace – avant de voir sa peine commuée en prison à vie, puis à dix ans de détention -, être trimbalée d’une maison à l’autre, subir le courroux d’un paternel pouvant être violent et cruel, être séparée de la plupart de ses frères et sœurs – 56 au total, né.e.s de 17 femmes différentes -, supporter les paparazzis, subir le racisme à son arrivée en France avec son père, au château d’Hardricourt, dans les Yvelines, en 1983. En somme, comme l’écrit Marie-France Bokassa : “J’étais une princesse et vivais dans un château. Mon enfance, vue de loin, tenait du conte de fées. Et pourtant je ne fus pas heureuse. Car l’ogre était mon père.”
Privations et punitions
Elle poursuit un peu plus loin : “Les gens nous enviaient, glosaient sur notre vie de château, et beaucoup nous croyaient riches et heureux. Personne sans doute n’aurait pu imaginer les privations et les punitions qui faisaient notre quotidien.” Celle qui, depuis, a ouvert un restaurant et un salon de thé et s’est présentée sur une liste socialiste en 2008 dans la ville de Meulan (Yvelines) raconte ainsi comment la DDASS a pris en charge certain.e.s de ses frères et sœurs, abandonné.e.s par leur père après avoir tenté de voler une boîte de sardines au supermarché. “Nos chemins se sont séparés sur le parking du magasin”, écrit-elle.
Celle qui convoque ici ses souvenirs de petite fille estime qu’elle était un peu la chouchoute de son père, pouvant malgré tout entretenir avec lui des discussions intéressantes et n’ayant pas à subir les mêmes humiliations que d’autres membres de la fratrie – même si, le jour où elle lui tiendra tête avec virulence et prendra courageusement la défense d’une de ses soeurs, il lui enverra un adorable courrier, adressé à “LA BATARDE”.
Crimes contre l’humanité
Elle raconte d’autres histoires très dures, affirmant que l’un de ses demi-frères aurait tenté à plusieurs reprises de la violer – et que leur père, une fois mis au courant, furieux, serait allé le menacer avec un pistolet. Marie-France Bokassa vivra aussi un temps en famille d’accueil, fuyant les mauvais traitements d’une des femmes de son père, à l’époque incarcéré. Elle raconte comment celui qui deviendra président à vie en 1972 “ne supportait plus les accusations de crime contre l’humanité et de pillage de son propre pays” et “comment il désirait être jugé par les siens”.
Les “crimes contre l’humanité” en question, qui lui vaudront sa condamnation, ne sont en revanche quasiment jamais évoqués dans l’ouvrage, ceux-ci étant finalement un peu plus détaillés dans une chronologie en fin de récit (“1979 : émeutes lycéennes contre le port d’un uniforme payant en janvier, suivies d’une répression sanglante. En avril, manifestation d’écoliers : une centaine d’enfants tués”). L’autrice mentionne tout de même rapidement – sans le nommer – VGE : “[Mon père] racontait comment des années plus tard, il avait été trahi par un chef d’Etat européen, qu’il accusait d’avoir eu des relations intimes avec l’une de ses femmes. Il leur aurait ordonné de cesser leur relation, faute de quoi il l’aurait dévoilée aux médias internationaux ainsi que ses largesses en diamants. A la suite de cette menace, mon père disait avoir subi le courroux du chef de l’Etat. Celui-ci aurait organisé sa chute avec l’aide de l’ex-président de la République centrafricaine, David Dacko.”
Le dictateur – jamais présenté comme tel dans l’ouvrage, peut-être parce que l’autrice explique raconter son histoire depuis ses yeux d’enfants – décédera, en 1996, trois ans après avoir été gracié par le président centrafricain. Contrairement à l’un de ses frères, qui changera de patronyme, Marie-France Bokassa décidera de ne rien cacher : “Mon héritage le plus notable et parfois le plus lourd à porter a été ce nom qui a marqué à jamais mon histoire personnelle. J’ai pourtant choisi de le porter, de l’arborer, signe que j’assume tout mon passé.”
Marie-France Bokassa, Au château de l’ogre, éd Flammarion, 240 p, 19,90 €, parution le 20 février 2019
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