Le lock-out décidé par la direction de l’usine Philips à Dreux donne lieu à un émoi légitime. Et à beaucoup d’erreurs dans le récit de la crise. Il y a un mois, j’étais allée sur le site pour rencontrer les salariés.
Mi-janvier, les 212 salariés de Philips Dreux avaient attiré mon attention, une première fois. La direction avait annoncé en octobre leur licenciement inéluctable, prévu aux alentours de février. Après une succession de plans sociaux (350 emplois supprimés en 2005, 279 en 2008) et la fermeture d’un autre site du groupe à proximité, ils n’avaient guère de doutes sur leur sort à long terme. La production avait déjà chuté en quelques années.
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Mi-janvier, ils optent pour une solution originale, inspirée du grand conflit social des Lip dans les années 1970 : le contrôle ouvrier de la production. Une expérience initiée par les délégués CGT (dissidents de la confédération), dans une perspective autogestionnaire. Et non pas une « coopérative ouvrière », version formalisée et contractuelle de l’expérience, qui n’a jamais eu lieu sur ce site contrairement à ce qu’on a pu lire ici ou là.
En commandant les pièces nécessaires à l’assemblage des écrans plats, ils avaient produit puis séquestré les téléviseurs. L’épisode avait pris fin après l’intervention de la direction menaçant de licenciements pour faute. Et dans la désunion, le contrôle ouvrier ne faisant pas l’unanimité.
Le lock-out : un choc mais pas une surprise
Les salariés de Philips ont reçu samedi dernier une lettre recommandée leur intimant l’ordre de ne pas se rendre à l’usine lundi matin. Les bâtiments étaient fermés quand ils sont arrivés pour tenir une assemblée générale.
Depuis plusieurs mois, les salariés savent que les lettres de licenciement doivent arriver fin février-début mars. Mais en fermant le site avant même d’envoyer la lettre de licenciement, les salariés sont privés « de toute action syndicale », constate Dominique Maillot, de FO.
Proposer la Hongrie : une obligation légale
En même temps que la lettre annonçant le lock-out, les salariés ont reçu une proposition de reclassement en Hongrie, pour 450 euros par mois, à condition qu’ils parlent la langue. Détestable pratique étiquetée « patron-voyou ». « C’est vraiment se moquer du monde » s’est indigné le délégué syndical CGT Manu Georget.
Pourtant, c’est une obligation pour l’employeur de proposer aux salariés un poste équivalent dans le pays d’accueil.
Des solutions de « revitalisation » un peu légères
Dimanche, Christian Estrosi a annoncé que « l’implantation d’un centre d’appels » était « déjà prévue » dans la région, ainsi que l’arrivée d’un « centre de fabrication d’appareils électroménagers et une cuisine centralisée de Sodexo ». Au total, 300 emplois, plus que l’effectif total du site.
Rassurant. Philips a donc tout prévu pour ne pas laisser ses employés sur le carreau. Pourtant, le cabinet désigné pour examiner la viabilité économique de l’usine conclut dans son rapport (confidentiel) de novembre 2009 que « si les difficultés résultent en partie de l’environnement sectoriel, la responsabilité du groupe Philips apparaît pleinement engagée de par ses choix industriels. […] Alors que le site meurt d’une fin programmée par le groupe, ce dernier n’a pris aucun virage pour le sauver et n’a pas souhaité mettre en place les moyens de le diversifier. […] Aucune solution alternative (rapatriement d’autres productions) n’a fait l’objet d’étude chiffrée et précise. »
La suite en justice
Après le lock-out, les délégués syndicaux ont assigné leur direction en référé. Leur recours sera examiné mercredi par le tribunal de grande instance de Chartres.
Une procédure visant à contester le plan de sauvegarde de l’emploi en lui-même est déjà en cours. Les syndicats dénoncent l’utilisation par la direction d’une « business unit télévision » comme périmètre du plan social alors que cette « business unit » n’existe pas dans l’organigramme de Philips.
En signe de protestation et pour retarder l’échéance, le comité d’entreprise a décidé de ne pas rendre d’avis. L’avis étant seulement consultatif mais obligatoire, même si la direction considère aujourd’hui que les négociations sont terminées.
Photo : Assemblée générale des salariés de Philips Dreux, le 15 janvier (Les Inrocks/Camille Polloni)
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