Sous la forme d’un journal, Roberto Bolaño raconte l’histoire d’un jeune Allemand qui, lors de vacances en Espagne, passe ses journées sur des jeux vidéo de guerre. Dans une de ses premières oeuvres, l’auteur chilien conduisait déjà une intense réflexion sur le mal. Superbement inquiétant.
Depuis 2003, l’année de son décès, les romans de Roberto Bolaño nous arrivent à titre posthume avec la régularité d’un métronome. C’est pourtant assez récemment que le plus gros de son oeuvre a vu le jour en France : publiés coup sur coup en 2006 et 2008, Les Détectives sauvages et 2666 ont achevé de propulser l’auteur au firmament des lettres latino-américaines.
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A côté de ces odyssées rock et poétiques, sortes de courses de circuit temporelles et géographiques mêlant points de vue et niveaux de fiction, ses deux derniers livres parus font figures d’oeuvres de jeunesse – même si la formule a quelque chose de décalé quand on sait que l’écrivain chilien n’a rien écrit d’effectif avant 40 ans. Sorti l’année dernière et rédigé à quatre mains, Conseils d’un disciple de Morrison à un fanatique de Joyce s’avérait un magistral exercice de style sur les rives du roman noir.
Ecrit en 1989, ce nouvel opus réussit une inquiétante plongée vers les racines du mal, acoquinée pourtant à l’innocente surface d’un journal de vacances. Un jeune touriste d’origine allemande, Udo Berger, y raconte l’été qu’il passe avec sa fiancée sur la Costa Brava, dans un hôtel de son enfance.
[attachment id=298]En marge de la plage et des discothèques, des nuits d’ivresse, des matchs de foot dans les bars qui mûrissent en bains de minuit, le diariste s’adonne le jour à sa passion, volets fermés : les wargames, ou jeux de guerre miniatures, porteurs de noms délicieusement évocateurs (The Next War in Europe, Le Troisième Reich). De l’autre côté de l’été donc, ce “champion national” en son pays va rejouer toutes les étapes de l’offensive allemande entre 1939 et 1945, se livrant à un joli cas de révisionnisme historique.
A mesure que l’été se vide, d’autres personnages vont être happés par cette étrange activité : le Loup, l’Agneau et le Brûlé, autochtones inquiétants qui finiront par être les seuls acteurs d’une fiction bientôt hors saison.
Chemin faisant, Bolaño aura brossé un paysage de plus en plus lunaire, où une poignée d’adultes se retrouvent tels des enfants jouant à la guerre. Les questions soulevées par l’écrivain chilien touchent au primitif : la pulsion guerrière estelle intrinsèque à l’homme ? la guerre a-t-elle besoin d’un substitut qui fonctionne comme catharsis ? ou ce substitut n’est-il au fond que les prémices de l’éternel recommencement ? Interroger les origines du mal, les pulsions qui régissent l’homme à sa base, c’est le créneau fondamental de l’oeuvre future de Bolaño : celui qu’on va retrouver, dans Nocturne du Chili ou Etoile distante, appliqué aux dictatures sud-américaines, celle de Pinochet en tête.
En 1989, l’écrivain exilé en Espagne se contente de cultiver les embryons des gigantesques réflexions romanesques qui suivront. Son Troisième Reich est une critique avant l’heure des jeux de violence virtuelle – de sa représentation outrancière via la télé et le net – dont on se demande encore si elle peut se légitimer comme exutoire ou si elle relève de l’incitation. Autant d’énigmes qui, dans ce Blitzkrieg de pacotille, prennent une lueur moite de fin du monde.
Le Troisième Reich (Christian Bourgois), traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio, 420 pages, 25€
Illustration extraite du jeu vidéo Blitzkrieg
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