Deux jeunes écrivains français détournent le western, jusque-là réservé aux auteurs US. Pour jouer aux cow-boys et aux Indiens ?
Dans les plaines du Far West, vidées depuis deux siècles de leurs desperados, un étranger galope à l’horizon – un gringo en quête d’aventures, peut-être un chercheur d’or… Abondamment chevauchée par les auteurs US, la mythologie du western n’a été jusqu’ici que peu approchée par les écrivains de l’Hexagone.
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Une réserve en passe de s’assouplir, au regard de la parution simultanée de deux romans très orientés à l’Ouest – emboîtant le pas à toute une tradition littéraire américaine du western. Sans même parler des textes attachés à des figures légendaires (les lettres de Calamity Jane), des écrivains comme Dorothy M. Johnson (ses western fictions adaptées au cinéma dans les années 50, notamment par John Ford) ou Cormac McCarthy (Méridien de sang) ont contribué à alimenter le mythe de l’Ouest.
Même s’il est de bon ton de dire que la littérature n’a pas de frontières, l’intrusion (en force) du roman français dans cet espace interroge forcément. Envie de grands espaces ? Manque de munitions ? Et surtout : le voyage en valait-il la peine ?
Un voyage qui commence, dans le (très) court roman de Sébastien Doubinsky, sur une nouvelle résurrection de Billy the Kid – quarante ans après celle opérée par Michael Ondaatje dans Billy the Kid, oeuvres complètes. Quién es ? relate, sous la forme d’une confession, le destin du bandit haut comme trois pommes, criminel à 15 ans.
Ce monologue, prétexte à une réflexion sur le mal à l’âge de son expression la plus archaïque, a pour visée surtout de révéler l’envers d’un mythe. Le hors-la-loi, ce bloc monolithique, voit sa surface sublime se doubler d’un hors-champ – voix de l’intime, déluge de l’affect : ainsi donc, le Kid cacherait sous sa Winchester un coeur d’orphelin – dont l’illustre assassin Pat Garrett n’incarnera qu’un énième père de substitution.
Même recette dans Pas le bon, pas le truand, qui dote également deux figures archétypales d’un chant intérieur : “la brute” – échappée du film de Sergio Leone – et “l’idiot du village”, duo improbable de ce roman ultraviolent et ultrapoétique qui s’achève dans un carnage à la Peckinpah.
La cavalcade de la fiction française au Far West se passe donc selon un échange de bons procédés : elle prête au mythe un regard, qui lui cède en retour sa stature XXL, son destin grand format, bigger than life. Même s’ils dégagent une forte odeur de poudre, ces deux romans n’en sont pas moins d’énormes boules à facettes.
L’idiot voit le monde comme “un écran d’images (qui) se projettent en paysage, forment sous le bleu du ciel une terre à histoire panoramique”, tandis que Billy the Kid raconte l’édification de son mythe dans les gazettes, bientôt “acteur et spectateur” de sa propre vie.
C’est peut-être que le western d’aujourd’hui ne peut s’écrire qu’à partir de ses images déjà existantes – celles, par milliers, produites en Cinémascope puis par la bande dessinée. Comme dans le fabuleux roman Western de Christine Montalbetti, sorti en 2005, qui se déroulait comme un film intérieur nourri aux productions spaghetti, le western made in France veut jouer aux cow-boys et aux Indiens – mais sans perdre une miette du film.
Quién es ? de Sébastien Doubinsky (Joëlle Losfeld), 88 pages, 10,50€
Pas le bon, pas le truand de Patrick Chatelier (Verticales), 176 pages, 17,90€
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