Alan Sillitoe, géant de la littérature sociale anglaise, vient de s’éteindre, à 82 ans. Il était l’auteur de Samedi soir, dimanche matin ou de La Solitude du coureur de fond. Son fan-club comprenait les Smiths ou les Arctic Monkeys.
A 82 ans, on est peut-être un peu trop vieux pour être décrit comme un “jeune homme en colère”. Mais même jeune, Alan Sillitoe détestait déjà cordialement cette étiquette.
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Il vient de s’éteindre à 82 ans, et restera pour l’éternité un de ses personnages : soit un adolescent en guère contre l’austérité grise, l’ascenseur social en panne et l’étroitesse des mœurs d’une Angleterre qui, les vestiges de la guerre encore fumants, n’existe alors qu’en noir et blanc. C’était les années 50 et pour la couleur, il faudra attendre les swinging-sixties.
Les « angry young men », ancêtres des adolescents
Avec les auteurs John Osborne, John Braine ou Kinglsey Amis, il fut parmi les premiers à donner en Angleterre une identité, une voix à une génération qui n’avait alors le droit que de culpabiliser : d’être vivante quand d’autres sont morts à la guerre ; de vouloir s’émanciper quand l’Angleterre ordonne de penser à l’unisson ; de remettre en cause la fierté du labeur quand tout est à reconstruire. Plus tard, avec le rock’n’roll, on appellera ça l’adolescence. Mais elle n’existe pas encore vraiment lorsque se mettent à écrire, nerveusement, rageusement ces écrivains qui deviendront pour les médias outrés les “angry young men”.
Ils mettent en scène, sans le moindre costume, sans le moindre masque, sans le moindre fard des jeunes hommes coincés dans leur vie, engoncés dans ce qu’on attend d’eux : souvent prolétaires, comme Sillitoe lui-même, ils se savent pris au piège, coincés dans une vie programmée. Désabusés par la violence de ce constat, ils s’installent alors en marge de la société, qu’ils toisent avec cynisme, voire provocation.
[attachment id=298]La langue est brutale, directe, sans glamour : elle fait mouche. Les deux premier livres d’Alan Sillitoe, Samedi soir, dimanche matin (1958) et La Solitude du coureur de fond (1959) deviennent des best-sellers, puis des films à grand succès qui inaugurent en Angleterre un cinéma réaliste, social, dont Ken Loach sera le plus évident héritier. Si la Nouvelle Vague française n’a atteint que sans grandes conséquences les rives anglaises, ces films farouchement insulaires, vite baptisés “kitchen sink dramas”, rejoignent cette éthique anti-papa.
Ces deux livres/films de Sillitoe auront un impact profond sur la société anglaise : comme chez Salinger, beaucoup d’adolescents en rupture, parias malgré eux, se retrouveront dans la rage, l’ironie et la flamboyance de ces personnages qui refusent de vivre couchés ou à genoux.
Parmi eux, le chanteur Morrissey empruntera régulièrement l’esprit, voire la lettre, des livres de Sillitoe. Plusieurs pochettes de ses Smiths seront d’ailleurs tirées de films de cette génération. Pour résumer la largeur de leur impact dans le monde la musique, ces livres toucheront aussi bien les précieux Belle & Sebastian (qui ont enregistré Loneliness of a Middle Distance Runner) que les métalleux Iron Maiden, qui chanteront The Loneliness of the Long Distance Runner…
Alex Turner, des Arctic Monkeys, aura beau tenter de noyer le poisson dans l’eau : le titre de leur Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not est bel et bien volé du roman de Sillitoe, Samedi soir, dimanche matin – entre autres emprunts à ce livre fondateur. L’auteur, à sa sortie, avait d’ailleurs ainsi commenté ce premier album : “J’écoute plutôt de jazz et du classique, vous savez… Mais ceci dit, c’est merveilleux. J’adore l’album, je danse en l’écoutant chez moi… Ils semblent parfaitement en phase avec ce que les gens pensent et veulent dans la vraie vie.”
Ce qui peut s’appliquer parfaitement à Arthur Seaton ou Colin Smith, les anti-héros de Sillitoe.
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