D’un format parfaitement adapté à la lecture, l’iPad, qui sort en France aujourd’hui dans ses versions wifi et 3G, risque-t-il de bouleverser la presse et l’édition ?
« L’iPad peut-il sauver Newsweek ?” (Wired), “L’iPad peut-il sauver les magazines ?” (PC magazine), “L’iPad peut-il sauver l’édition ?” (The New Yorker), “L’iPad va révolutionner la façon dont on consomme les medias.” (Rupert Murdoch)…
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Les espoirs que suscite la tablette d’Apple dans le monde de la presse comme dans celui de l’édition semblent démesurés. Pourtant, tous ceux qui ont déjà manipulé l’appareil peuvent comprendre cet engouement, ayant constaté combien il est ludique et agréable d’y feuilleter des livres ou des journaux. Sur son grand écran tactile, les pages se tournent aisément, la définition des images et des textes est excellente et, connecté au web, il ouvre sur toutes sortes de contenus multimédias.
La presse espère passer du gratuit au payant
C’est certainement la presse qui place en l’iPad les plus grands espoirs. Elle voit en lui le moyen de pouvoir enfin passer du numérique gratuit (Internet) au numérique payant (les applications). Pour Jérémie Engel, PDG de Visuamobile, une entreprise qui développe des applications, “beaucoup considèrent ce support comme un nouveau moyen de revendre de l’information numérique”. Par abonnement, au numéro ou à l’article, on aura accès à du contenu spécialement formaté pour la tablette.
Techniquement, l’iPad permet bien plus qu’un simple copier-coller du format papier. Certaines applications déjà disponibles (Wall Street Journal, New York Times…) montrent comment les articles peuvent être enrichis de diaporamas, de vidéos… Toutefois, c’est d’abord l’ergonomie de l’iPad qui séduit les éditeurs de presse : on retrouve les codes et la mise en pages d’un journal, sans l’embarras du papier – ce qui, par ailleurs, affranchit les journaux des problèmes de diffusion et des coûts de production.
Ludovic Blecher, qui dirige les éditions électroniques à Libération, insiste sur la “mise en scène du journal papier” que permet l’appareil. “C’est ce qu’on veut valoriser en premier avec l’iPad”, explique-t-il. L’enrichissement des articles ou les contenus multimédias complémentaires viendront ensuite. Jérémie Engel pense que se développeront par exemple des “produits hybrides, qui réutiliseront l’information qualitative du papier et se connecteront à l’information rapide, temps réel et multimédia issue du web”.
Les internautes sont-ils prêts à payer ?
Cependant, plutôt que de payer des applications, les internautes ne risquent-ils pas de continuer à chercher l’information là où elle est gratuite, sur le net ? Jérémie Engel tempère : “Il y a une vraie complémentarité entre le web et les applications iPad. L’information web est souvent une information en temps réel, qui n’a pas été traitée par les rédactions. Au contraire, sur l’iPad, ça sera de l’information analysée, vérifiée, organisée en dossiers. Il apparaîtra normal qu’on la paie.”
Malgré la chute des revenus publicitaires avec la crise, la presse mise aussi sur la publicité sur iPad en espérant que les annonceurs seront attirés par les possibilités offertes par Apple. “Avec la création de l’offre iAd (régie pub pour mobile – ndlr), la publicité sur ces supports va prendre une autre dimension. On va dépasser la bannière pour aller vers des applications publicitaires innovantes. On peut imaginer des applis dans l’appli, où cliquer sur la publicité vous entraîne dans un jeu”, s’enthousiasme Jérémie Engel. Mais, rappelle Ludovic Blecher, “la vraie question sera celle de l’audience, qui est le préalable pour intéresser les publicitaires”.
Les éditeurs plutôt mitigés
Le monde de l’édition, qui ne sait pas toujours pas comment aborder la révolution numérique, se montre quant à lui plus modéré. L’iPad offre certes des potentialités inouïes, qu’illustre magnifiquement l’animation d’une ancienne édition d’Alice au pays des merveilles (voir la vidéo).
Mais pour Lorenzo Soccavo, spécialiste des nouvelles technologies appliquées à l’édition, bien que l’iPad soit plus sexy qu’un reader en noir et blanc, “sa vocation n’est pas d’être un dispositif de lecture. Il est pratiquement illisible en extérieur”, explique-t-il. Rétroéclairé, il demanderait en effet un effort visuel supplémentaire de 25 % par rapport au papier en fibres ou au papier électronique.
De plus, l’iPad arrive dans un contexte juridique et économique particulièrement complexe. Sur le marché du livre numérique, Amazon et Google mènent le jeu aux Etats-Unis. Le premier, qui a lancé le Kindle, a tenté (en vain) d’imposer ses prix aux éditeurs. Le second ouvrira sa librairie numérique en juillet et numérise à tout-va. Certains auteurs, comme Ian McEwan ou Stephen King, passent des contrats d’exclusivité avec Amazon pour la distribution en numérique de certaines de leurs oeuvres.
En France, les éditeurs se battent avec la TVA, qui est de 19,6% pour le livre numérique contre 5,5% pour le livre papier, ce qui fait que l’e-book ne peut pas être vraiment moins cher que son équivalent imprimé. Les auteurs de BD tentent de négocier leurs droits numériques et certains auteurs de romans refusent de voir leurs livres numérisés. Bref, le passage au numérique est un véritable casse-tête, d’autant que les éditeurs sont loin d’être sûrs du résultat. “Aujourd’hui, le numérique nous coûte beaucoup plus d’argent qu’il ne nous en rapporte”, témoigne Alban Cerisier, directeur du développement numérique chez Gallimard.
« Comment aborder la lecture sur écran d’un livre de 500 pages »
Bousculés, les éditeurs sont bien obligés d’aller de l’avant, de réfléchir à la mise en scène numérique de leurs collections. Les livres pour enfants, les BD, les livres pratiques et scolaires et les guides touristiques semblent les mieux adaptés au support numérique. Alban Cerisier s’interroge :
“Chez Gallimard, on est éditeur de littérature générale, et c’est difficile de savoir comment aborder la lecture sur écran d’un livre de 300 à 500 pages. Faut-il l’envisager en termes de complémentarité, de substitution ?”
Lorenzo Soccavo regrette le manque de recul des éditeurs:
“D’une part, il faudrait concevoir des produits éditoriaux qui ne soient pas seulement des copies conformes du papier, des PDF améliorés ; d’autre part, il faut proposer un contenu novateur adapté à ce que permet ce nouveau dispositif tout en restant dans le champ éditorial. Par exemple, sur l’iPad, il y a un risque que la BD numérique devienne du dessin animé.”
Pour ajouter à leurs réflexions, presse et édition vont devoir en outre composer avec les contraintes que leur impose Apple. Les applications ont ainsi des prix prédéfinis (79 centimes, 1,59 €, 3,99 €…), sur lesquels la firme prélève environ 30%. Des formules d’abonnement plurisupports (papier, web, application) pourraient permettre de contourner cet obstacle car elles échappent au pouvoir d’Apple.
Quant aux maisons d’éditions, elles négocient encore le prix de vente des livres numériques. Alban Cerisier explique:
“Il ne faut pas se précipiter tant qu’on n’est pas sûr que les conditions de l’iBook Store d’Apple ne nous sont pas aussi favorables et justes qu’on le souhaiterait.”
Elles aussi ont un moyen de prendre Apple de court : en développant leur propre application de lecture afin de rendre lisibles sur l’iPad les e-books achetés sur les portails de librairies.
Malgré les possibilités offertes, il est impossible de conclure à la renaissance de l’écrit via l’iPad. La grande inconnue reste de savoir si l’usage de l’iPad se généralisera. D’après le cabinet américain iSuppli, il devrait se vendre 20 millions d’iPad d’ici 2012. Son prix de vente (entre 499 € et 799 €) est certainement un obstacle à sa démocratisation. Sans compter le prix d’un (éventuel) abonnement 3G et celui des applications. Et, numérique ou pas, les consommateurs ne vont pas soudain s’abonner à des dizaines de journaux ou lire trois livres par semaine.
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