Début 2013, Booba, La Fouine et Rohff s’écharpaient sur disque et en interview pour des bagatelles. Mais ces clashs médiatiques sont surtout l’arbre qui cache la forêt de l’Interternet, autrement dit le web du « ter-ter » (quartier en argot). Une zone périphérique où, sur Youtube notamment, les rappeurs-clasheurs règlent leurs compte par vidéo interposée, lancent des chaînes culinaires à la sauce banlieue ou filment des Harlem Shake en prison. Décryptage du buzz made in ghetto.
Souvenez-vous, en décembre dernier: avec 9 mois de retard, une dizaine de détenus cagoulés se filmaient en train de réaliser un Harlem Shake dans les couloirs de la prison de Montmédy, dans la Meuse.
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La vidéo est postée sur Youtube (plus de 250 000 vues à ce jour) et allume la mèche du buzz: les chaînes d’infos en continu s’en emparent et l’affaire remonte jusqu’aux oreilles du député UMP George Fenech qui, à l’Assemblée Nationale, interpelle la garde des Sceaux Christiane Taubira. Surtout qu’au même moment, circule une deuxième vidéo où un détenu de Montmédy se balade tranquillement dans les couloirs, joint à la main, la polaire d’un surveillant sur le dos.
« On ne pensait pas que la vidéo du Harlem Shake allait autant faire parler mais pour celle avec la veste du maton, si, on s’est douté que ça ferait du bruit, explique un des membres du collectif Gangster D-Ter, à l’origine de ces vidéos. L’idée, c’est de faire entendre les détenus, faire parler de nous, de notre rap, nos clips, notre marque de vêtement. »
Nous voilà face à une application zélée de la maxime de Léon Zitrone (« Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi. »), déjà adoptée par bon nombre de candidats de télé-réalité. Car dans l’interternet, le bad buzz est un moyen comme un autre pour les rappeurs anonymes de se faire un peu de pub à moindre frais. Voire le seul moyen, avec les clashs estampillés Youtube.
Brocarde Yourself
Car pour se faire un peu de promo’, les clashs par vidéo interposée restent une valeur sûre. Un vieux filon que Rifin, membre de Gangster D-Ter et actuellement en prison, exploite allégrement en clashant le rappeur–réalisateur–styliste Morsay depuis sa cellule.
http://youtu.be/EtzwwU1MCP8
« Rifin a clashé Morsay pour faire le buzz, lui prendre un peu de son public et mettre notre marque en avant » poursuit notre interlocuteur de Gangster D-Ter. Pas certain que ces clashs aient boosté la vente de t-shirts « Gangster D-Ter » mais, au moins, Morsay lui aura accordé un peu de son temps dans une réponse à la poésie amère (« Je vais te violer, je vais t’enculer.« ). La portée de ces clashs oscille généralement entre 10 000 et 50 000 vues, ce qui peut sembler bien maigre à l’aune d’un sketch de Norman fait des vidéos ; ce qui paraît énorme quand on sait que ces vidéos ne sont qu’insultes de cour d’école, menaces stériles et grammaire violée.
http://youtu.be/P1FDi3CZ3wg
Certains représentants de l’interternet ont néanmoins réussi à tirer leur épingle du jeu. Il y a deux ans, Cortex, rappeur du 91, faisait figure de pionnier en s’attaquant au podcasteur Cyprien au moyen d’une vidéo intitulée « Cortex clash Cyprien le mongolien« . À ce jour, elle a été vue plus de deux millions de fois (contre 23 millions de vue pour la réponse de Cyprien). Un chiffre record un brin entaché par les 120 700 pouces rouges (contre 4 360 pouces verts) et les 50 000 commentaires peu flatteurs à l’égard de Cortex. Qu’à cela ne tienne, Cortex en a quand même tiré profit, participant dans la foulée à quelques programmes (Clash Food ou Patine avec les stars) sur des chaînes Youtube lancées par Endemol et gagnant ainsi ses premiers cachets en tant que comédien.
« C’est super cool, j’ai pu rencontrer Philippe Candeloro dans Patine avec les stars, raconte Cortex. Le clash avec Cyprien, ça m’a aidé à me faire connaître du grand public, ça m’a servi de tremplin. Cyprien croit sûrement encore que je suis méchant alors qu’en fait, si je le croise, je lui paie un verre. Au début, quand je l’ai attaqué, c’est parce que je trouvais qu’il était trop mis en avant, qu’il avait plus de succès que d’autres podcasteurs pas moins talentueux. »
S’en prendre à des podcasteurs ou à d’autres rappeurs, certains en ont fait un fond de commerce totalement assumé. C’est le cas de Breli-K, autoproclamé « rappeur clasheur d’internet » alias « l’agitateur de buzz », qui s’attaque tous azimuts à Morsay, Rohff ou les prétendants de l’émission La belle et ses princes.
Sur le site bigarré de ce Morandini version caillera, il incite même ses lecteurs à lui souffler le nom de personnalités à vilipender. Un passe-temps qui peut vous sembler bien vain mais est en fait crucial: ses clashs lui permettent de rabattre les quelques curieux pas encore découragés par ses laïus d’insultes débités face caméra vers ses morceaux de rap.
Ghetto au chocolat
Dans l’Interternet, « faire le buzz » est la raison de vivre de bon nombre de ses représentants. Biberonnés au rap (et marqués par les chicanes entre Booba-La Fouine-Rohff) et à la télé-réalité, ils veulent simplement avoir le droit à leur quart d’heure warholien. Passer à la télé, voire dans un programme de télé-réalité, semble être devenu une fin en soi pour les clasheurs-rappeurs. Cortex était d’ailleurs en pourparlers avec Endemol pour participer à Secret Story et ne se cache pas sa passion pour Hollywood Girls, L’Ile des vérités, Nabilla ou Un dîner presque parfait qu’il s’est amusé à imiter…
Quant à Morsay, il a récemment distillé plus d’une trentaine d’épisodes de « Morsay à Miami » tournés à l’iPhone et disponibles sur Youtube, où on le voit conduire des grosses voitures, se promener sur la plage, manger des glaces ou boire du lait de coco…. Dans le même esprit, l’illustre Tonton Marcel, « reporter du ter-ter » pour le site N-Da-Hood.com, tente de dénicher la nouvelle Nabilla avec la série Sissi la go de Paris (plus de 150 000 vues pour le 1er épisode), des vidéos amateur qui soulèvent une seule question: pourquoi font-ils ça ?
http://youtu.be/ZvnV_8kV1aw
Tonton Marcel, en téléspectateur averti, sait aussi que les émissions de cuisine ont le vent en poupe. Du coup, et vu qu’il est aussi chef cuistot dans le civil, il a lancé une chaîne Youtube en mode Boyz N Da Food, où il distille ses petits conseils culinaires: « Tonton Marcel – Une recette pour les étudiants qui ont pas le temps que l’huile chauffe! » ou « Tonton Marcel vous montre comment faire un bon gâteau au chocolat« . Prends ça le Fooding !
J’irai dormir chez vous version cité
Mais certains tenants de l’Interternet s’inscrivent dans une démarche aux antipodes des clashs puérils et du buzz à tout prix. Parmi eux, Teuchiland, nom de scène du tourangeau Karim et de sa marque de fringues. À la fin des années 2000, après un passage par la case prison, il emprunte la caméra de mariage de son cousin et entame une tournée en plein cœur des cités de France pour y filmer les rappeurs locaux qu’il met à l’honneur dans une émission artisanale, la bien nommée En direct du ter-terre.
« J’ai toujours voulu voir à quoi ressemblaient les autres cités, explique Karim alias Teuchiland. Je me vois comme une sorte de média sans mensonge sur la banlieue et c’est aussi une façon d’apporter une aide aux gens comme moi. Dans le rap, personne ne nous tend la main. Plus jeune, j’aurais aimé que quelqu’un me propose de faire un freestyle vidéo. »
Perpignan, Mulhouse, Soissons, Clermont-Ferrand, etc. Teuchiland a traîné ses guêtres et sa caméra dans une cinquantaine de quartiers. À chaque fois, avant de déclencher les freestyles à la facture très aléatoire, il demande à ses hôtes s’il y a du boulot dans leur cité. Et la réponse est toujours la même. « Personne ne m’a jamais répondu qu’il y a du travail, que les jeunes s’en sortent, raconte Karim. Moi, pourquoi je me suis mis à dealer, à voler, etc. ? Parce qu’il n’y avait pas de boulot. C’est aussi cette galère, le chômage qui m’ont poussé à écrire. Aller dans les cités, ça ne me rapporte rien, je dois payer le péage, l’essence, l’hôtel. Je fais ça avec le cœur car le cœur ça reste tandis que l’argent, ça part. »
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