L’eurodéputée et ex-magistrate Eva Joly parviendra-t-elle à sortir Reykjavík du gouffre ? Depuis mars dernier, à la demande du gouvernement islandais, elle cherche à établir les responsabilités dans la crise financière.
Suite à des problèmes de transcription, cette version des propos de Eva Joly comporte de légères modifications par rapport à celle à paraître dans les Inrocks du mercredi 13 janvier. La version publiée ici fait foi.
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Comment un pays de 320 000 habitants a-t-il pu se réveiller un jour avec une dette de 100 milliards de dollar ?
E. J. – Les Islandais ne l’ont pas compris eux-mêmes, c’était complètement démesuré. Ce qui me frappe c’est que les agences de notation qui observaient les banques islandaises auraient du tirer le signal d’alarme et abaisser leur note à ce moment là. Ce que je trouve comique c’est qu’elles le fassent aujourd’hui. C’est complètement hypocrite, parce que l’Islande n’a pas dit qu’elle ne paierait pas ses dettes. C’est une réaction a posteriori tout à fait inadaptée et ça été un choc pour la population.
Pourquoi les agences n’ont-elles pas réagi plus tôt ?
Il y avait une espèce d’inconscience collective, l’idée que les arbres allaient monter jusqu’au ciel. L’aveuglement n’était pas qu’Islandais. Les agences de notation se sont disqualifiées dans cette crise : il y avait quand même des articles qui tiraient la sonnette d’alarme dès 2007 !
Et une institution comme le FMI ne pouvait pas réagir ?
Ça fait partie de ses attributions. Mais le problème des marchés financiers aujourd’hui, c’est l’absence de régulateur global, à part le FMI. Or il est tenu par son conseil d’administration, avec toute la lourdeur d’une instance multilatérale. Nous pourrions commencer par avoir un régulateur européen, qui ait de véritables pouvoirs. Mais il faudrait pour cela un large consensus, qui comprenne les Anglais. Or les Anglais y sont opposés.
Les régulateurs nationaux sont-ils vraiment impuissants ?
On a bien vu ce que ça donnait. Pour Landsbanki, la Banque centrale et l’autorité des marchés islandais étaient censés contrôler la succursale qui opérait en Angleterre et au Pays bas. Mais évidemment, ce n’est pas 50 personnes à Reyjkavik qui vont avoir un contrôle effectif et efficace sur ce qui se passait à Londres ou à Amsterdam. Les succursales sont soumises au régulateur de leur maison mère, mais la directive européenne de 2002 dit aussi qu’il est de la responsabilité du pays où la succursalele opère de vérifier lui-même que ce contrôle a bien lieu. C’est là où l’Angleterre et les Pays Bas ont failli. Ce ne sont pas des victimes innocentes.
Quels sont les premiers résultats de l’enquête que vous menez pour déterminer les responsabilités dans la crise islandaise ?
Quand nous avons commencé en avril 2009 il y avait quatre personnes qui enquêtaient dans un bureau vide. Aujourd’hui ils sont 23 et il y a 4 procureurs, les meilleurs du pays. Nous avons une cinquantaine d’affaires en cours. Je sais déjà que nous allons pouvoir déterminer des responsabilités précises pour certains délits. Avec de la chance, nous allons recouvrer quelques dizaines de millions d’euros, quelques centaines tout au plus.
Pour Icesave aujourd’hui quel est l’ordre de grandeur ?
Icesave aujourd’hui cela représente 50% du PIB islandais ! C’est colossal. La dette qui est due aux dépôts de garantie payés par les Anglais et les Néerlandais dépasse les 3.8 milliards d’euros. Je me bats pour que l’Islande obtienne un accord négocié qui tienne compte des responsabilités des uns et des autres. On ne fait pas une diplomatie du 19ème siècle, de violence à l’égard d’un petit pays. Rappelons-nous de ce que disait le Prix Nobel de la Paix et Secrétaire d’Etat américain Elihu Root : « nous devons toujours faire attention, en particulier dans nos relations avec des Etats plus petits, à ne jamais proposer d’accord que nous ne saurions accepter si nous nous trouvions dans une situation inversée ».
Y a-t-il un risque pour la cohésion sociale islandaise en cas de victoire du non au référendum ?
L’inquiétude est là. La colère est là. La révolte est déjà là. Quels que soit le résultat de ce vote, les déchirures dans le tissu social sont déjà là. Il est de la responsabilité de la communauté internationale de ne pas faire du FMI un recouvreur de créances pour l’Angleterre et de trouver une solution équitable. Parce que c’est vrai qu’il y a un risque de déstabilisation de l’Islande. Le pays est très divisé, il s’est arrêté de fonctionner pendant une à deux heures à l’annonce du veto. De son côté le gouvernement fait face à une pression considérable, il a lui-même envisagé de démissionner. Or pour moi, il est aussi garant de l’indépendance de l’investigation.
Une question toujours parallèle, quand on évoque les dégâts de la crise : où en est on sur les paradis fiscaux ?
J’ai bien peur que les déclarations très volontaristes de Nicolas Sarkozy en disant « il n’y a plus de problème de paradis fiscaux » étaient un signal du fait qu’on enterre le problème. J’espère que non. Il y a un mouvement d’opinion, un mouvement de citoyens qui ont compris et qui, eux, demandent que cette question soit prise très au sérieux pour qu’on crée un système plus transparent.
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