Face aux chaînes tout info et à internet, le 20 heures et les émissions politiques de France 2 tiennent bon. Visite dans les coulisses d’un succès.
Une heure avant la prise d’antenne pour Des paroles et des actes (DPDA), l’émission politique de France 2, son présentateur vedette David Pujadas se concentre dans sa loge. Dans les coulisses du grand plateau situé à la Plaine-Saint-Denis, au nord de Paris, l’ambiance est quelque peu tendue en ce 23 février : arrivée avec son staff, Marine Le Pen fait déjà la tête. La présidente du Front national a prévenu : elle refusera de débattre avec Jean-Luc Mélenchon. Présent, Rémy Pflimlin, pdg de France Télévisions, semble soucieux. Jérôme Cathala, directeur des magazines d’information de France Télévisions, regarde sa montre et fait les cent pas.
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Le réalisateur, Jean-Jacques Amsellem, habitué des matchs de football, préfère se féliciter du dispositif :
« Je dispose de onze caméras. Cela permet de faire des gros plans, des travellings, de rendre l’émission plus dynamique, de casser le rythme. »
« Le Paul Amar des temps modernes »
A quelques minutes du début de l’émission, Marine Le Pen, tailleur strict et talons aiguilles dignes de Cruella, s’avance sur le plateau sourire crispé. Le dircom du FN, Alain Vizier, installé dans le public, en profite pour prendre une photo avec son iPhone. L’émission lancée, Julien Rochedy, président des Jeunes avec Marine, se fend la poire à chacune des blagues de sa candidate préférée : « Vous êtes un peu le Paul Amar des temps modernes », lance-t-elle à Pujadas en faisant référence au débat entre Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen diffusé sur France 2 en 1994, où Amar avait eu l’insolence de sortir des gants de boxe… Finalement, tout s’est bien passé. La bouderie en live de la candidate d’extrême droite face à Jean-Luc Mélenchon a été suivie par 5,9 millions de téléspectateurs. Sur l’ensemble de l’émission, une moyenne de 21,7 % de part d’audience – un vrai succès par rapport aux scores décevants du programme concurrent Parole de candidat, sur TF1.
Après l’émission, place à la détente autour d’un buffet. La leader frontiste boit quatre coupes de champagne tout en continuant de débattre avec les journalistes : « Non, mais vous croyez que les gens s’intéressent vraiment aux chiffres façon BFM Business de François Lenglet ? », tente-t-elle de se rassurer après sa prestation médiocre face au journaliste économique. Rémy Pflimlin l’écoute poliment, reste impassible.
Juste après l’émission, David Pujadas, encore tout excité par sa prestation, nous accorde un entretien. « François Lenglet, c’est la vérité des chiffres », se réjouit-il d’abord. « En 2007, je n’étais pas autant impliqué dans la campagne », remarque ensuite le présentateur du 20 heures. A l’époque, c’était Arlette Chabot, alors directrice de l’information de la 2, qui avait les honneurs des émissions politiques.
Aujourd’hui, Pujadas ne boude donc pas son plaisir quand il s’agit d’évoquer son bébé :
« Des paroles et des actes, je l’ai portée. Quand je l’imaginais sur le papier, ça devait être une émission charpentée du début à la fin. Il fallait trouver une mécanique pour parler du fond. Nous avons donc opté pour une même équipe de chroniqueurs extérieurs qui donnent des repères aux téléspectateurs. Cette émission, c’est comme une maison avec différentes pièces. Il y a toute une narration. On essaie de raconter une histoire. »
Un storytelling télévisuel rendu nécessaire depuis l’explosion des réseaux sociaux et la concurrence des chaînes tout info. Sur Twitter, les internautes ont même trouvé un hashtag : #dpda. Thierry Thuillier, patron de l’info pour le groupe France Télévisions, explique : « La primaire socialiste a été l’acte fondateur d’une telle émission, qui évoque avant tout le fond. Au début, nous n’étions pas nombreux à y croire et finalement ça a payé. Les Français veulent avoir des réponses à leurs questions. »
Justement, Nicolas Sarkozy avait à coeur de s’expliquer sur le dîner du Fouquet’s et le yacht de Bolloré. Après avoir choisi TF1 pour l’annonce – ratée – de sa candidature, le Président a choisi France 2 pour poursuivre sa campagne : un 20 heures, puis Des paroles et des actes. Annoncée sur le compte Twitter du présidentcandidat, l’affaire s’est réglée entre lui et les journalistes de la chaîne lors d’un déjeuner au Café Régalia, non loin de son QG de campagne dans le XVe arrondissement. Etaient présents David Pujadas, Fabien Namias, chef du service politique, Eric Monier, directeur de la rédaction, et Franck Louvrier, grand manitou de la communication à l’Elysée.
« On voulait être la première émission en prime de Sarkozy et qu’il mette les choses à plat, raconte Thierry Thuillier. L’émission est faite pour créer un enjeu. On souhaitait qu’il fasse des propositions chez nous car c’est la condition pour avoir de l’audience. D’un autre côté, les responsables politiques veulent être certains qu’ils ne tomberont pas dans un piège et ont besoin qu’on leur confirme que ça ne sera pas le cas. » En réalité, France 2 a négocié durant plus de huit mois : « Notre premier objectif était de faire une émission fin 2011 mais la crise a balayé à chaque fois une telle éventualité », note un membre de l’équipe de DPDA.
DPDA et le 20 heures, deux univers différents
Le 7 mars, au lendemain de la prestation de Nicolas Sarkozy, on retrouve à la rédaction de France 2 Gilles Bornstein, ancien rédacteur en chef de Ça se discute et aujourd’hui rédacteur en chef de DPDA, qui prépare la prochaine émission avec François Bayrou. En revisionnant celle du 8 décembre avec le leader centriste, il tombe sur une pépite : Bayrou n’avait pas précisé à l’époque quelles niches fiscales il comptait supprimer : « Je dirai précisément lesquelles dans quelque temps », avait-il répondu à François Lenglet. Pujadas était intervenu : « N’est-ce pas facile de rester dans des généralités ? » Le 8 mars, François Bayrou a donc eu droit à la même question.
Si DPDA est devenue incontournable, les équipes des journaux télévisés de France 2 semblent un peu à l’écart : « Ça reste cloisonné, ce sont deux univers différents », reconnaît David Pujadas. Le 20 heures est une tout autre machine. En conférence de rédaction du matin, on trouve d’un côté les rédacteurs en chef et David Pujadas, de l’autre les chefs de services et quelques journalistes. A un bout de la table, se postent Thierry Thuillier et Eric Monier. Après l’intervention de Sarkozy à DPDA, il s’agit désormais de se concentrer sur les propositions du candidat. David Pujadas souhaite des « entrées factuelles ».
On évoque l’idée d’une enquête sur ce que rapporterait l’immigration à la France : « Est-ce que c’est faisable dans la journée ? », s’inquiète le présentateur du 20 heures. Fabien Namias remarque : « Dans ce domaine, il n’y a pas de vérité des chiffres. » Le rédacteur en chef, Pascal Doucet-Bon, s’interroge : « Il y a un angle démographique, un autre qui concerne l’emploi… On ne sait pas quoi mesurer. Que veut dire être généreux dans ce domaine ? » Thierry Thuillier : « Il serait intéressant de voir quelle est l’évolution du nombre d’entrées sur le territoire. » Le soir même, les téléspectateurs apprendront que depuis dix ans le nombre d’étrangers arrivés en France est resté stable.
Pour ces journalistes du news, le temps manque parfois pour décortiquer l’ensemble des effets d’annonce de la campagne électorale. Ainsi, alors que la rédaction en chef du 20 heures avait réclamé au service économique le « hit-parade des entreprises qui n’ont pas payé d’impôts », Jean-Paul Chapel, éditorialiste économique de la rédaction, ne présentera que le seul cas de Total. « Le 20 heures ne peut exister que s’il offre une plus-value, constate Thierry Thuillier. Nous avons trois objectifs à concilier : la réactivité, l’expertise et la pédagogie. Nous n’hésitons pas à traiter de sujets considérés comme compliqués. La politique, l’économie, l’Europe, c’est notre ADN. »
A ce sujet, David Pujadas fait amende honorable : « Le 20 heures n’a plus rien à voir avec celui d’il y a cinq ans. Avant, on enfilait les perles… Aujourd’hui, on traite deux fois moins de sujets mais on les approfondit davantage. »
Autre clé qui explique le succès des journaux de France 2 : multiplier les dossiers et diffuser des reportages de trois à cinq minutes, comme lorsque la grande reporter Martine Laroche-Joubert est revenue de Syrie. Et la relève est assurée avec Julian Bugier, 30 ans, présentateur remplaçant du 20 heures : « Il a le feu sacré. La greffe a pris tout de suite », remarque Pujadas. Une manière comme une autre de rajeunir l’audience ?
Marc Endeweld
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