La semaine dernière, l’histoire d’une chute, un monde inconscient de ses tares, une maison de poupée symptomatique et une vie bizarre comme du Godard.
Mon cher Inrocks, les dés sont jetés ! La fin est écrite, tournée, montée. Mais nous ne sommes pas dans le secret des dieux. Il faut patienter pour la connaître. Quel sera le dernier mot, le dernier plan, le dernier microévénement qui éclairera l’ensemble ? Mad Men s’achève. Le destin de Don Draper est scellé. Le nôtre aussi, peut-être. “Depuis son premier épisode, Mad Men a raconté l’histoire d’une chute. Celle d’un homme sans aucun doute. Mais aussi, en filigrane, celle d’un monde inconscient de ses tares, rétif au changement et à la nouveauté. Le nôtre ?” Il s’est produit tellement de choses en sept saisons, et nous avons si peu changé. Rien n’entrave une chute.
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La vie « Mad Men »
“C’était quoi, le temps Don ? Une façon de confronter les strates d’une vie à l’illusion que la grandeur est possible. Une manière de buter en permanence sur la déception du réel.” On croit infléchir le cours des choses, être auteurs de nos histoires, pouvoir s’inventer et se réinventer. Changer tout. Nous demeurons “en proie aux mêmes problématiques (…) et incapables de (nous) en dépêtrer.” L’homme s’agite, se bat, “lutte (…) contre son propre renoncement à vivre, refusant d’admettre que tout était écrit”, mais rien ne l’arrache à l’immobilité de la vie, à la fixité du monde et de lui-même. Nous nous agitons, nous nous mettons en mouvement, butons sur la déception du réel, sommes “déséquilibrés jusqu’à la chute” avant de nous relever sans bruit, dans une autre position, et de recommencer. La vie Mad Men.
Une part inaccessible de nous-mêmes
Etre auteur de sa vie est une illusion. Une ivresse infantile de toute-puissance, comme lorsque Nella, l’héroïne du livre de Jessie Burton joue avec sa maison de poupée, jouet “le plus symptomatique de notre besoin, dès l’enfance de tout contrôler en s’inventant ses propres narrations”. La vie n’est pas un jeu d’enfant, “croire que nous décidons de nos vies ne serait qu’une illusion – la vie n’étant qu’une narration que nous n’écrivons pas”, nous sommes “réduits à n’être que de petites poupées dans une production miniature”. Dans les mains de qui ? D’un dieu ? Du hasard ? Du destin ? D’une part inaccessible de nous-mêmes ? Y répondre serait aussi infantile que de jouer à la poupée, et bien plus inutile. Une histoire se forme, se dessine, un peu avec nous, un peu à notre insu, sans que nous en connaissions le sens mais avec la certitude que comme Mad Men, elle connaîtra un jour son dernier épisode. Une vie bizarre, “diffraction des sons, des images, désordre à la fois chaotique et orchestré” comme les films de Godard décrits par Olivier Séguret. Nos vies ressemblent à un film de Godard. C’est pour cela qu’on n’y comprend que dalle. Et pour cela qu’elles en valent peut-être la peine. Alexandre Gamelin
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