Le fameux, et surestimé, “esprit Canal” a été bien mis à mal par Vincent Bolloré.
Le 24 septembre, Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi et de celui du groupe Canal+, sera auditionné par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Cette audition a été décidée “de concert”, précise-t-on du côté du CSA, ce qui signifie que les membres du Conseil et leur président, Olivier Schrameck, n’ont surtout pas convoqué Vincent Bolloré sur l’air du “C’est quoi, ce bordel ? Maintenant, tu vas nous expliquer !”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Non, ce n’est pas le genre de la maison, tout va se passer entre gens de bonne compagnie. Naturellement, ce petit oral ne sera pas public et on ne saura jamais avec certitude si un courageux ou une courageuse aura osé poser une seule question de nature à agacer l’industriel breton : pourquoi avoir censuré deux documentaires ? avez-vous vraiment voulu supprimer Les Guignols ? et reviendront-ils vraiment ?
Et du côté du CSA ?
Gageons qu’il ne va pas se passer grand-chose, du côté du CSA, mais que les soupçonneux et autres paranoïaques pourront toujours observer à la loupe comment Canal, D8 ou I-Télé – futurs C8 et CNews – rendent compte de ce non-événement. Enverra-t-on des caméras filmer l’entrée martiale du grand patron chez les supposés “gendarmes de l’audiovisuel” ? Si oui, faudra-t-il interpréter leur présence comme signe d’allégeance ou manifestation d’insolence ? Ah, on s’y perd…
Pour s’y retrouver, d’ici quelques mois, il faudra tâcher de se renseigner sur un des chiffres les mieux gardés de France : le nombre d’abonnés à Canal+ et CanalSat. Si Bolloré a semble-t-il beaucoup reproché au tandem Bertrand Meheut/Rodolphe Belmer de ne pas avoir réagi assez vigoureusement à la concurrence de beIN ou de Netflix, et d’avoir tenté de maquiller leurs pertes d’abonnés du premier semestre 2015 – ce qui aurait entraîné leur renvoi expéditif –, il est permis de douter de l’efficacité de sa propre stratégie industrielle, pour peu qu’elle existe vraiment.
Un vindicatif incompétent aux commandes
Comment peut-il ignorer à ce point que ses méthodes abîment l’image de la chaîne qu’il contrôle ? Pourquoi un abonné continuerait-il de payer 40 euros par mois pour une chaîne qu’on lui décrit aujourd’hui comme le lieu de toutes les censures et des purges les plus brutales, avec un vindicatif incompétent aux commandes ? Rien n’est moins sexy que l’abus de pouvoir permanent.
Pendant trente ans, non sans arrogance et exagération, Canal s’est vendue comme un grand club dont il était désirable de faire partie. Aujourd’hui que la chaîne ne détient plus les exclusivités qui faisaient son prix, le cinéma et le cul étant partout et le foot sur beIN, son fameux et surestimé “esprit” est tout ce qui lui reste pour demeurer une formidable cash-machine.
Conflits d’intérêts
Et cet esprit s’incarnait encore dans Les Guignols, ou dans les séries, domaine où Canal s’est rattrapée après un très net retard à l’allumage. Alors pourquoi faire la peau aux marionnettes quand on est aussi soucieux que Bolloré de continuer à engranger du cash ? Et comment peut-il sérieusement penser que Florence Foresti ou Gad Elmaleh lui auraient fait plus d’audience que Les Guignols ? Et pourquoi pas le Bébête Show aussi ? Tout ça ne tient pas debout.
Mais si les arguments des programmes font sourire, c’est bien que Bolloré a autre chose en tête, quelque chose de pas très difficile à deviner, entre l’hubris industriel d’un homme qui ne veut voir qu’une seule tête quand il contemple son groupe et le désir du conservateur gavé qui ne supporte pas la plus petite stridence, la plus mince perturbation, même celle, pourtant intégrée et domestiquée, des Guignols de l’info. A cet homme-là, le CSA devrait poser quelques questions, des questions de démocratie et de conflits d’intérêts, ce serait sûrement instructif.
Retrouvez l’intégralité du numéro 1034 des Inrockuptibles sur les Inrocks Premium dès le mardi 22 septembre
>> La chute de la maison Canal: comment Bolloré a imposé sa loi
Canal+ doit être intégré à la stratégie globale de Vivendi. Telle est la conviction de Vincent Bolloré qui, à grand renfort de purges, de coups bas et de censures éditoriales, normalise l’image de la chaîne. Un polar médiatique saignant.
>> Le pari d’amis de Louis Garrel et Vincent Macaigne
Dans Les Deux Amis, son premier long métrage de cinéaste – dans lequel il joue également –, Louis Garrel dirige son pote Vincent Macaigne. Entretien avec deux grands gamins espiègles et talentueux.
>> “Six jours” de Ryan Gattis : le roman des émeutes de Los Angeles
Venu du Colorado et graffeur à ses heures, Ryan Gattis peint dans Six jours la fresque des émeutes de 1992 qui mirent L.A. à feu et à sang. Un puissant roman polyphonique.
>> Disclosure : “on a voulu élargir notre palette musicale”
La culture club plongée dans le grand bain de la pop d’aujourd’hui : c’est Caracal, le nouvel album ambitieux de Disclosure. Rencontre avec ses deux têtes pensantes : les frères Lawrence.
>> Dominique Gonzalez-Foerster au Centre Pompidou : identification d’une artiste
Comme le démontre Dominique Gonzalez-Foerster, 1887-2058, sa rétrospective au Centre Pompidou, DGF est devenue une figure centrale de l’art contemporain. Rencontre à Beaubourg.
{"type":"Banniere-Basse"}