Syd Matters mais aussi José Gonzalez, Angus & Julia Stone ou Mogwai : le nouveau jeu du studio parisien Dontnod enchante par sa bande originale. Mais « Life is Strange » est aussi une merveille de récit interactif aux faux airs de film indépendant américain.
Alors, la jeune fille ramasse sa guitare, s’assied sur le petit sofa de sa chambre d’étudiante et se met à jouer un morceau mélancolique et doux. C’est Crosses de José Gonzalez que, quelques instants plus tôt, on avait entendu en allumant la chaîne. La caméra se déplace doucement, passe derrière elle, nous montre le mur couvert de polaroïds au-dessus de son lit. Cadre son visage, surprend son regard un peu rêveur, un peu en apesanteur. C’est un moment fort de Life is Strange, le nouveau jeu du studio parisien Dontnod (Remember Me) dont le premier épisode – il y en aura cinq – vient de sortir. Il ne se passe rien. Il se passe tant de choses.
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José Gonzalez, Mogwai, Angus & Julia Stone
Au cours des deux ou trois heures – selon le rythme du joueur, le nôtre est lent et frémissant – que dure cette portion d’une aventure dont on brûle déjà de vivre la suite, on n’entendra pas que José Gonzalez mais aussi Mogwai, Angus & Julia Stone et surtout Syd Matters dont le leader Jonathan Morali, après plusieurs bandes originales de films, a composé celle de Life is Strange.
https://www.youtube.com/watch?v=IN3OwGZGaOg
Mais pourquoi mettre en avant la musique d’un jeu vidéo qui, quelque part entre les point & click modernisés de Telltale Games (The Walking Dead, Game of Thrones…) et les blockbusters expérimentaux de David Cage (Heavy Rain, Beyond Two Souls), semble plutôt faire de la narration sa grande affaire ? Parce que ça fait Inrocks ? Parce que ça fait bien ? Plutôt parce qu’elle tient un rôle central dans l’expérience et que, si Life is Strange séduit en nous permettant de faire évoluer l’intrigue selon nos envies, notre caractère ou notre humeur, c’est par son ambiance, son atmosphère, sa manière de nous faire partager un certain être-là qu’il frôle le sublime.
La musique dilate et colore le temps
Etre là et pas ailleurs, dans ce dortoir des filles ou au bord de la fontaine du campus ou sur une balançoire ou sur un lit ou sur un petit banc en haut de la falaise ou dans la chambre de notre best friend forever décolorée bleu-tatouée et retrouvée après cinq années de séparation. Dans ces lieux débordant de signes qui les aident à exister, ces lieux qui ont tant de trucs à nous raconter. Etre là et peut-être un peu ailleurs aussi, tout bien réfléchi, entre deux souvenirs ou deux temps, entre une sourde inquiétude et une envie de ne rien rater, entre le jeu et notre vie à nous. La musique et les détails, posters sur le mur ou lumière changeante, silhouette entraperçue ou souffle du vent, sont essentiels. La musique dilate et colore le temps, que les développeurs nous offrent et que l’on prend. Life is Strange excelle dans la pause, la stase. Dans le presque rien qui contient tout (ce que le récit apporte et ce qu’on lui adjoint), il est même discrètement grandiose.
Mais, à part ça, on fait quoi ? A part ça, on dirige la jeune Max Caulfield (comme Holden, oui), élève de terminale dans une école privée qui a fait de l’enseignement de la photo sa spécialité. On croise la pimbêche pénible et l’ami un peu bizarre, l’agent de sécurité inquiétant et la voisine de chambre dont il faudra gagner la confiance. Le prof-photographe star de l’institution – pas follement crédible, voire embarrassant, sans que ce ne soit rédhibitoire.
Un côté « Un jour sans fin »
Et on fait des choix, de dialogue ou d’action, façon QCM, dont le jeu nous informe qu’ils auront « des conséquences ». Et puis on découvre qu’on a la possibilité de remonter (un petit peu) le temps pour modifier l’une de nos décisions pas forcément très inspirée et, aussi, pour résoudre des énigmes. C’est la composante la plus traditionnellement « jeu vidéo » de Life is Strange et, aussi, son côté Un jour sans fin. On peut recommencer tant qu’on n’a pas réussi. Mais on peut aussi, parfois, choisir d’en rester à notre première réaction même si, en voix off, Max regrette de ne pas avoir volé au secours de Kate, une camarade mal dans sa peau qui, soudain, en aurait eu bien besoin. Tant pis, on a choisi, on verra ce qui arrivera. On est dans la peau de Max. On joue (son rôle) mais on ne triche pas.
Il y a aussi une fille qui a disparu. Elle s’appelle Rachel Amber, on tombe sur des photos d’elle partout. Il y a un garçon sinistre et un homme qui ne l’est pas moins. Un rêve un peu trop réel. Le vertige, donc, et d’abord pour l’héroïne, de ces torsions du temps. Il y a peut-être un peu de Twin Peaks et de Virgin Suicides. Du cinéma indé US, assurément. Et, côté jeu vidéo, du Gone Home en plein air et avec des corps dedans. Il y a un style, un ton, un souffle. Quelques maladresses d’écriture, mais peu importe. Et surtout beaucoup de pistes qui s’ouvrent, de possibilités, de choses à vivre, à jouer, à imaginer. C’est une histoire d’adolescence qui, par bonheur, ne fait que commencer.
Life is Strange, Episode 1 : Chrysalis (Dontnod / Square Enix), sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et PC, environ 5 €
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